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Oz ta droite… mais pas n’importe laquelle !

Oz ta droite… mais pas n’importe laquelle !
Oz ta droite… mais pas n’importe laquelle !

Par Julien Langella, animateur d’Academia Christania ♦ Polémia a déjà publié deux articles sur les Journées de Béziers : une analyse politique de Bernard Mazin et la mise en perspective idéologique de Jean-Yves Le Gallou. Voici un nouveau texte critique complémentaire. Son auteur, Julien Langella, animateur d’Academia Christiana, déplore certaines omissions dans les propositions finales et surtout regrette une tonalité qu’il juge excessivement libérale. Il est exact que si la droite est assez unie sur l’identité et la défense des valeurs traditionnelles, des divergences existent sur l’économie. Pire : l’exaspération causée par certaines propositions jugées démagogiques du Front national officiel (avec un déficit annuel de 80 milliards d’euros) pourrait conduire certains à reprendre sans discernement l’antienne libérale classique sans prendre en compte que nous vivons dans une économie d’oligopoles mondialistes. Dans ce domaine la synthèse de droite reste à faire. — Polémia


Mettant l’accent sur les principes d’identité, de transmission et de libertés, les propositions du collectif « Oz ta droite ! » expriment mieux que de longues tirades ce que peut être une véritable droite de conviction.

Les grands absents

Pourtant, il y a de quoi être surpris par l’absence d’autres propositions très attendues, comme la suppression des droits de succession (l’impôt idéologique par excellence puisqu’il décourage la transmission !), la baisse raisonnable des charges sociales (véritable frein au développement des petites entreprises) ou la suppression de la taxe foncière (qui impacte non seulement la transmission mais aussi, indirectement, la famille, puisqu’elle pénalise la propriété). Autant de prélèvements injustes qui nuisent à tous les Français.

Le capitalisme financier, pire que la CGT

On peut également s’étonner que les problèmes posés par la finance mondiale n’aient pas été abordés.

« Les dirigeants d’entreprise ne sont plus que les serviteurs des actionnaires dont ils poursuivent l’enrichissement : aucune autre préoccupation ne peut plus inspirer leur action (…) Une nouvelle frontière sépare le monde entre pays riches et pays pauvres, entre les actionnaires et le reste des mortels. »

Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui le dit mais le haut-fonctionnaire et dirigeant d’entreprise Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit Lyonnais, dans Le Capitalisme total, paru en 2005. Peyrelevade déplore que « des normes de rentabilité excessives conduisent les chefs d’entreprise à être les premiers agents d’une mondialisation sans frontières et à implanter leurs activités partout où ils peuvent trouver une main-d’œuvre moins onéreuse ». Travailler plus et plus longtemps, comme le propose le collectif « Oz ta droite ! » avec la suppression des 35 heures et la retraite à 65 ans, ne changera donc rien à la santé économique de la France tant qu’une entreprise pourra, du jour au lendemain, délocaliser ses usines vers un continent où la main-d’œuvre est corvéable à souhait. Les libéraux reprochent constamment à leurs adversaires d’ignorer la réalité de l’économie mondiale alors qu’eux-mêmes raisonnent comme si notre droit social était le seul responsable dans la crise actuelle.

Les discours sur la lourdeur du Code du travail ne sont pas dénués de vérité mais sont insuffisants et en partie périmés. Dans le contexte de la mondialisation sauvage, où quelques actionnaires américains ou japonais peuvent décider de l’avenir économique de toute une région française, il est trop facile de blâmer la CGT ou l’Etat-providence. Cette critique est même injuste dans la mesure où, pour les ouvriers menacés par une fermeture d’usine, les grandes centrales syndicales sont parfois les derniers remparts à la toute-puissance des gros bonnets du capitalisme nomade pour lesquels les nations sont des hôtels, et qui trouvent toujours le moyen – à la différence des petits entrepreneurs – de se « libérer » du Code du travail et du racket fiscal.

Les 35 heures, un épouvantail médiatique

D’ailleurs, ce droit du travail a beau être complexe, il n’empêche cependant pas les Français d’être plus productifs que leurs homologues anglais (de l’aveu même du magazine libéral britannique The Economist) et de distancer leurs voisins de la zone euro, et même les Japonais ou les Coréens ! Cela fait des années que toutes les études disent la même chose sur ce sujet. « Les pays où l’on travaille le moins sont en général ceux où la productivité du travail est la plus forte », relève même le journal libéral Contrepoints. À l’instar des Pays-Bas, souvent présentés comme un modèle de rigueur budgétaire, où l’on travaille 30 heures par semaine en moyenne (1.357 heures par an contre 1.387 en France).

En réalité, les 35 heures ne sont pas un cadre rigide et « totalitaire », comme certains l’affirment avec exagération. Dans un article du 26 novembre 2014, l’Express rappelle que de nombreux dispositifs permettent déjà de contourner la loi Aubry : loi Bertrand 2008 qui fait primer la négociation d’entreprise, accord de branche, annualisation, compte épargne-temps, forfaits jours, etc. Le lien entre compétitivité et durée du temps de travail n’étant pas établi, il est regrettable que cette question génère autant d’hystérie. On oublie trop souvent que la loi Robien, votée par la droite en 1996, était la première à inciter les entreprises à la réduction du temps de travail en accordant une baisse des cotisations patronales en échange. Le principe de l’exonération des cotisations patronales a d’ailleurs été conservé par la loi Aubry. Dans ce domaine comme ailleurs, le clivage gauche/droite a tué l’intelligence.

De l’ordre en économie aussi

Si la droite, c’est la justice et l’ordre (l’un n’allant pas sans l’autre puisque l’injustice est la première cause de désordre), n’y a-t-il pas aussi un ordre à faire respecter dans la vie économique ? Le principe d’ordre ne serait-il valable qu’en droit pénal ? Le collectif « Oz ta droite ! », qui réclame, dans sa partie « De l’air », le primat du « principe de supériorité politique sur le juridique » en vue de la « limitation du principe de constitutionnalité », devrait être cohérent et aller jusqu’au bout de sa logique : « Principe de supériorité du politique sur l’économique : limitation des mouvements de capitaux, du pouvoir des actionnaires, de la rémunération des cadres supérieurs et des dirigeants d’entreprise, interdiction des parachutes dorés ». On ne peut pas vouloir rétablir l’indépendance et la souveraineté de la France sans remettre en cause le capitalisme financier.

La représentation politique des groupes socioprofessionnels

Un autre moyen de remettre de l’ordre en économie serait d’assurer la représentation politique des métiers. La profession d’un homme rend mieux compte de sa vie et de ses préoccupations que son adhésion à tel ou tel parti politique. Le système des partis est un moyen d’opposer les gens entre eux : dans l’entreprise, entre amis, en famille, dans l’Eglise, etc., les partis politiques ne sèment que la division. Comme disait José-Antonio Primo de Rivera, porte-parole de la Phalange espagnole :

« Personne n’est jamais né membre d’un parti politique. En revanche, nous naissons tous membres d’une famille, nous sommes tous habitants d’une commune, nous nous livrons tous à l’exercice d’un travail. »

C’est pourquoi, en 1969, De Gaulle soumit à référendum son projet de réforme du Sénat : sur 323 sénateurs, 146 seraient élus par des organismes représentatifs des activités sociales, culturelles et économiques du pays (salariés, agriculteurs, professions libérales, familles, etc.).

Nous ne sommes pas encore dans le programme de la Phalange mais on s’en approche ! Pour Primo de Rivera,

« L’État espagnol peut se limiter à l’accomplissement des fonctions essentielles du Pouvoir en se déchargeant, non plus de l’arbitrage, mais de la réglementation complète de bien des secteurs économiques sur des entités ayant une longue autorité traditionnelle, sur des syndicats qui ne seront plus des architectures parasitaires, comme dans l’organisation actuelle du travail, mais des associations verticales englobant tous ceux qui coopèrent aux réalisations de chaque branche de production. » (*)

Le projet de Primo de Rivera supposait une refonte totale du syndicalisme pour le rendre vraiment représentatif de tous les acteurs de la vie économique (les pontes de la CGT ou de la FNSEA s’étrangleraient devant un tel programme), l’épuration des compétences de l’Etat (idée que ne renierait pas un libéral honnête) et proclamait l’inanité de la lutte des classes dont la conflictualité destructrice a été transposée dans la vie publique par le bavardage des partis politiques, d’où un nécessaire changement de régime : une troisième voie que les hommes de bonne volonté doivent redécouvrir et actualiser à la lumière des enjeux contemporains.

La liberté d’innover, une idée de gauche

Le collectif « Oz ta droite ! » propose également de « Supprimer le principe de précaution et [d’] instaurer une liberté d’expérimentation ». Proposition bien imprudente dans la mesure où cette même liberté d’expérimentation, facilitant l’avancée des recherches sur la fécondité, a ouvert un carrefour aux revendications pro-PMA et GPA. Puisque c’est techniquement possible, chacun devrait y avoir droit ! Toute considération morale est mise de côté au nom d’une mentalité d’enfants pourris gâtés estimant que tout ce qui est faisable devient dès lors nécessaire.

C’est au nom de cette même logique que le businessman Jean-Michel Truong, fondateur de la société d’intelligence artificielle Cognitech et consultant en haute technologie, souhaite la création de cyborgs. Dans Totalement inhumaine, un essai paru en 2001, il affirme que « bientôt, nous n’hésiterons pas à mettre [les ordinateurs] dans notre corps ou dans notre cerveau ». Dans un entretien pour le Financial Times du 10 avril 2015, Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google et consultant pour l’armée américaine, se félicite de l’introduction de nano-robots en solution buvable : « La révolution de la biotechnologie reprogrammera notre héritage biologique ». Larry Page et Serguei Brin, fondateurs de Google, sont eux aussi des transhumanistes fervents. Les partisans du transhumanisme ne sont pas de gentils geeks un peu loufoques mais des entrepreneurs et des ingénieurs, des scientifiques et des consultants qui brassent des millions et font autorité un peu partout : de la Silicon Valley à Pékin en passant par le Pentagone… et la France, où s’est tenu en novembre 2014 un premier colloque transhumaniste dans les locaux de l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. En attendant les humains robotisés, vous pouvez déjà avoir une machine en guise de patron, comme les salariés de la firme Deep Knowledge Venture de Hong-Kong, où le robot VITAL a le statut légal de membre du conseil d’administration. Quant aux employées de Facebook ou d’Apple, leur assurance-santé inclut la congélation et le stockage de leurs ovules afin d’avoir des enfants plus tard, en dépit de leur infertilité due à l’âge. Le 17 avril 2014, le magazine économique Bloomberg Business Week titre : « Faites congeler vos œufs, libérez votre carrière ».

La liberté d’innover, c’est d’abord la liberté de repousser toutes les frontières : morales, physiques, nationales, sexuelles, identitaires et biologiques. Au nom de cette fausse liberté, les Etats disposeront de moyens de contrôle sans précédent sur leurs citoyens. On ne peut pas dénoncer la « dictature socialiste » et s’opposer au libéralisme-libertaire du Parti socialiste tout en voulant dynamiter les derniers garde-fous de la recherche scientifique. Il faut être cohérent. La première des libertés est celle de vivre dans un environnement sain et décent.

Le libéralisme, idéologie de la décadence

La tendance lourde chez les essayistes de droite français constitue à prendre le contre-pied systématique de la gauche au risque de servir des causes qui n’ont plus rien de « droite ». Pour rappel, historiquement, la « droite » vient de cette partie de l’Assemblée constituante, après 1789, où se réunissaient les députés partisans de conserver au roi un pouvoir de veto sur l’activité législative. Plus tard, au XIXe siècle, les députés libéraux comme Frédéric Bastiat, apôtre du libre-échange avec l’Angleterre, siègent à gauche. Dans son essai La loi paru en 1851, Bastiat écrit :

« Il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de société, conducteurs de peuple, pères des nations, etc. Trop de gens se placent au-dessus de l’humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s’occuper d’elle. »

Les libéraux du XIXe siècle, dont certains hommes « de droite », se réclament par maladresse, sont les pères spirituels des idéologues de la déconstruction : de Cohn-Bendit à Vallaud-Belkacem.

La confusion autour du mot « libéral »

La confusion autour du mot « libéral » est un obstacle sérieux à la compréhension du débat.

Il est couramment utilisé par des gens de bonne foi pour signifier leur opposition au racket fiscal et aux intrusions de l’Etat dans nos vies. Mais cette défense des libertés n’est pas du libéralisme, ce serait plutôt du populisme au sens noble. Le libéralisme est un projet politique total qui prône le renversement de la hiérarchie des valeurs sociales : auparavant, le bien commun l’emportait ; pour les libéraux, la liberté individuelle prime sur tout. Le résultat, annonçait le pape Léon XIII dans son encyclique Rerum novarum, c’est l’appropriation de la vie économique par une minorité de gens dont la situation de pouvoir empêche mécaniquement les plus modestes d’accéder à la propriété et de peser réellement dans les décisions qui sont prises en leur nom. La preuve en est la disparition des chants populaires, des petits métiers et de toute création authentique au profit d’une sous-culture de masse, fabriquée sur mesure pour le monde entier et imposée par quelques multinationales. L’homme n’étant pas, contrairement à la croyance libérale, un être 100% autonome dans son libre-arbitre, c’est l’offre qui crée la demande et non l’inverse. La société de consommation libérale a ainsi façonné un monde où la médiocrité, la vulgarité et la bassesse morale sont la règle.

Plutôt que le libéralisme, défendons les libertés : le droit de propriété, de transmettre son héritage, de parler librement, d’embaucher qui l’on veut sans se faire tomber dessus par les ligues de vertu antiracistes, d’entreprendre dans les limites des besoins réels de la communauté, etc.

Etre de droite

Etre de droite, c’est être conservateur : vouloir préserver les fruits de l’expérience du passé sans remettre en cause les nécessités de la réforme. A ce titre, utiliser le mot « conservateur » comme injure politique à destination de la gauche et des syndicalistes est une erreur intellectuelle et tactique majeure.

Un homme de droite est un amoureux de la prudence et du bon sens, il n’a pas grand-chose à voir avec des multimilliardaires qui rêvent de greffer des puces sous la peau des gens. « Innovation » et « liberté d’expérimentation » sont d’autres mots pour dire « progrès social » et « émancipation » : trop d’auteurs de droite reprennent inconsciemment le combat des soixante-huitards qui scandaient « Jouir sans entraves ! » en le recyclant sous la forme du « Entreprendre sans entraves ! ». La double origine du principe de précaution est la vertu chrétienne de prudence et son pendant grec : la Phronesis d’Aristote. C’est une valeur fondatrice de la pensée européenne et un principe éminemment de droite.

« Je suis contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour les couples homosexuels ou hétérosexuels (…) Je ne crois pas que le droit à l’enfant soit un droit. (…) Pour moi, tout ce qui est manipulation sur le vivant, qu’il soit animal, végétal et encore plus humain, est quelque chose qui doit être combattu. »

Quel homme de droite cohérent est l’auteur de ces propos ? José Bové.

Julien Langella
31/05/2016

(*) José Antonio Primo de Rivera, La Réponse de l’Espagne, anthologie, Éditions du Trident, 2003.

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