Le titre du dernier essai d’Olivier Pichon, agrégé d’histoire, Professeur d’économie en classe préparatoire, essayiste et patron d’émission bien connu sur TV Libertés, Les Nouvelles Routes de la servitude[1], constitue évidemment un clin d’œil au livre que Friedrich Hayek publia en 1944, intitulé La Route de la servitude. Car, si Hayek voyait dans le socialisme et ses avatars la principale source de servitude, Olivier Pichon nous montre une réalité nettement plus complexe et finalement plus paradoxale : de nos jours, c’est bien le libéralisme mondialiste et woke qui nous conduit à la servitude. Et, d’une certaine façon, c’est ce qu’Hayek voulait opposer à la servitude socialiste qui nous y précipite !
L’esprit utopique de l’Occident
Tout au long des treize chapitres, denses et riches de très nombreuses références, qui constituent son essai, Olivier Pichon démontre que la tyrannie emprunte de multiples voies, d’où le pluriel du titre : la mondialisation, l’individualisme fanatique, la trahison des clercs, le wokisme, la destruction de l’État, les médias, la ploutocratie, l’américanisme, le déclin de l’enseignement et l’Union européenne, devenue la prison des peuples, principalement.
Car, si le socialisme comme volonté de rompre avec le capitalisme est mort avec l’URSS, l’esprit utopique n’a pas disparu pour autant en Occident, bien au contraire : il s’incarne maintenant dans la nouvelle oligarchie mondialiste qui a pris le pouvoir en Europe et qui, comme l’avait très bien vu Christopher Lasch, a décidé de bouleverser la société d’en haut et à son seul profit.
Une oligarchie qui poursuit, à la suite de l’américanisme, un agenda eschatologique de domination et qui ne voit les peuples européens que comme un obstacle à surmonter, sinon à détruire.
Le néo-capitalisme s’attaque au gouvernement des hommes
Pour Olivier Pichon, les célèbres analyses de Tocqueville dénonçant « un pouvoir immense et tutélaire » qui prétend être « l’unique agent et le seul arbitre » de notre bonheur s’appliquent parfaitement à nos sociétés prétendument libres et démocratiques.
Pourquoi ? Parce que « la démocratie et le marché ont divorcé. La mondialisation reproduit les caractères inquiétants d’un totalitarisme dissimulé, qui travaille contre les communautés organiques et les nations, plus puissant que les États mais tout aussi envahissant que l’était l’État soviétique, le goulag en moins[2] ».
Pour cette raison, le bon vieux libéralisme d’Adam Smith comme la « science économique » ne nous aident plus à rendre compte du monde dans lequel nous vivons désormais. Un monde placé sous le signe de la financiarisation coupée de l’économie productive et du « crack up capitalism », selon l’expression de Quinn Slobodian : un capitalisme qui entend se libérer de toute forme d’emprise démocratique et se désencastrer totalement de la société, notamment en détruisant l’État-nation. Car l’oligarchie ne se borne plus à s’enrichir toujours plus : elle s’attaque maintenant au gouvernement des hommes et pas seulement à la seule administration des choses.
Et Olivier Pichon détaille l’idéologie de ce crack up capitalism, ce qu’il nomme le WVW : l’alliance toxique du World Economic Forum de Davos, de l’écologisme punitif des Verts et du wokisme. Et cette « trilogie idéologique est le moteur des sociétés progressistes et le moyen du contrôle social[3] ». Une trilogie qui est en passe de s’attaquer à tous les savoirs, à toute culture et qui infeste l’Université, les médias et finalement les esprits.
Un système malade
Les Nouvelles Routes de la servitude ne se bornent cependant pas à décrire dans le détail les rouages de ce nouveau totalitarisme.
Leur intérêt réside aussi dans le fait qu’Olivier Pichon montre l’usure de ce système car « nous vivons un triple crépuscule, celui de l’Occident, celui de l’Amérique et celui de la mondialisation[4] », ne serait-ce que parce qu’on ne bâtit pas une civilisation sur l’argent.
L’hégémon qui nous domine est malade et de plus en plus contesté. Car tout le monde voit que l’Occident est « un mythe, le faux nez des intérêts américains, tandis que l’UE n’est pas une alternative à l’Amérique, mais son prolongement[5] ».
Un cycle, le cycle progressiste, s’achève en réalité sous nos yeux.
Le chapitre qu’Olivier Pichon consacre à la France, soumise à Emmanuel Macron, est d’ailleurs sans appel : « 7 ans de malheur[6] » – car l’auteur a le sens de la formule – et un déclin de plus en plus visible que la propagande et la censure médiatiques ne parviennent plus à cacher.
Garder l’espoir
Mais, paradoxalement, en détaillant les rouages de notre servitude, en mettant le doigt là où nous avons chuté, l’auteur nous incite à l’espoir.
Chacun de ses chapitres montre en effet des intellectuels qui analysent avec exactitude ce qui advient, prenant le contre-pied du « messianisme républicain d’une très grande faiblesse intellectuelle, qui a éteint tous ses feux depuis longtemps[7] » – comme autrefois le marxisme à la fin de l’URSS – et dans lequel baigne le discours officiel français.
Ce qu’illustre aussi son émission « Politique & Éco » sur TV Libertés, qui voit défiler depuis des années de multiples experts à rebours du politiquement correct et au discours novateur.
Olivier Pichon cite d’ailleurs à la fin de son essai ce passage de l’épître de saint Paul aux Corinthiens : « Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? »
Alors, lisons Les Nouvelles Routes de la servitude non comme un bréviaire du déclin, mais comme le levain de notre renouveau !
Michel Geoffroy
15/02/2025
[1] Pichon (Olivier), Les Nouvelles Routes de la servitude – Essai sur le totalitarisme au xxie siècle, Presses de la Délivrance, 2024, 22 euros.
[2] Pichon (O.), op.cit., p. 62.
[3] Ibid., p. 92.
[4] Ibid., p. 183.
[5] Ibid., p. 267.
[6] Ibid., p. 287.
[7] Ibid., p. 266.
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