Michel Geoffroy a récemment publié Occident go home ! plaidoyer pour une Europe libre aux éditions Via Romana. Dans son style truculent habituel, Frédéric Eparvier, cadre dirigeant au sein d’une grande entreprise française à caractère stratégique, évoque son dîner avec l’auteur de cet excellent ouvrage.
Polémia
Cuisine et géopolitique
Michel Geoffroy est venu dîner à la maison la semaine dernière et, comme c’est un homme délicieux et bien élevé, il m’a apporté son dernier ouvrage : Occident go home !
J’avais cuisiné un plat très simple, du poulet au paprika et des pommes au four dont j’avais trouvé la recette sur le livre de bord du bateau qui avait emmené Lénine dans sa résidence au bord de la Léna. Inutile de rappeler ici qu’il n’y avait que des premières classes. Servi avec un saint-nicolas-de-bourgueil, ce fut, de l’avis unanime, un délice. Quant aux babas au rhum de chez Cyril Lignac, ils sont ce qui se rapproche le plus sur terre du petit Jésus en culotte de velours ; la proportion de rhum étant tout simplement parfaite. Trop en mettre étant une tentation fréquente et vulgaire.
Après le dîner, pendant que les femmes parlaient tricot, nous nous sommes retirés dans la bibliothèque pour discuter de son dernier livre. Alors que nous étions confortablement installés dans les Chesterfield, réchauffant doucement un vieux rhum (un JM de la plantation Crassous de Médeuil, quand même) dans le creux de nos mains, la discussion a porté sur ce qu’est l’Europe, sujet que j’ai abordé dans un article pour Polémia du 10 décembre 2023, et la vision que Michel vient d’en donner dans son dernier livre. Comme nous sommes globalement d’accord, la discussion a tout simplement été passionnante.
Occident et américanisation
Comme toujours avec Michel, le livre est bien écrit dans un français simple et clair, bien à l’image de ce que nous apprenaient nos maîtres d’antan : « Ce qui n’est pas clair n’est pas français. » Mais surtout c’est un livre d’espoir, car, même s’il ne nie pas l’effondrement actuel, Michel Geoffroy veut surtout, par un diagnostic franc et lucide du monde actuel et de son évolution, écrire l’étape nécessaire à une renaissance européenne.
Que dit-il donc de si intéressant ? Eh bien, tout simplement, il part du constat que l’Occident n’existe plus (s’il a jamais existé) et qu’il n’est que la tunique de Nessus de la puissance hégémonique américaine, qui lentement empoisonne l’Europe : « Ce que l’on nomme Occident ou “monde libre” de nos jours désigne en réalité l’espace dominé, formaté, et surtout décomposé par l’américanisme[1]. » Et nous avons longuement discuté de ce que l’Amérique avait eu d’européen, et de ce qu’il en restait aujourd’hui. Nous sommes tombés d’accord pour dire : pas grand-chose. Et le rhum, malgré sa qualité, ne nous a pas permis de comprendre pourquoi Ursula et ses Walpurgis voulaient tant que nous devenions comme elles… Mystères et boules d’opium.
L’Occident en décrépitude
Ce constat posé, Michel Geoffroy observe froidement, et sans nostalgie aucune (ce qui est généralement le risque du genre), la scène internationale, pour conclure que « l’Occident » va perdre cette guerre contre son hégémonie : « Le monde devient justement multipolaire parce que les autres civilisations ont désormais les moyens de résister à la prétention occidentale à imposer sa loi et sa conception du “progrès”[2]. »
Et c’est là que la discussion est devenue passionnante, car, si nous étions tous d’accord que l’idée d’Occident et son bras armé, l’OTAN, n’est plus qu’un instrument d’assujettissement de l’Europe, nous avons fortement discuté le point de savoir si c’était l’idée d’origine, votre serviteur émettant de fortes réserves là-dessus, Michel tenait la ligne que de cette fin d’un monde pouvait naître la possibilité de la renaissance : « Nous allons donc vivre dans un monde dangereux. Mais dans le péril croît aussi ce qui sauve. […] On nous fait oublier que le génie de l’homme européen consiste à refuser tout fatalisme[3]. »
Quel avenir ?
Et même s’il commençait à se faire tard, nous avons poussé Michel à nous donner sa vision (les consultants auraient parlé de blueprint) pour le redressement européen. Les solutions qu’il avance sont toutes de bon sens, et il les a magnifiquement résumées dans le dernier chapitre de son essai : « Dans le monde polycentrique qui vient, si nous ne voulons pas de soumission à l’OTAN ni aux BRICS ni à l’oumma, il faut se faire respecter, ce qui suppose une démographie saine, une économie et une industrie fortes, des approvisionnements sécurisés, une société homogène et bien sûr des forces armées respectées. Donc tout le contraire de l’UE, ouverte à tous les mauvais vents[4]. » Et c’est sans doute pour cela qu’elles nous ont tant plu.
Et là où nous nous sommes totalement retrouvés, c’est sur la nécessité de reconstituer une Europe, mais puissante et civilisationnelle, car « [désolé] pour les amoureux du temps passé, il n’y a pas d’alternative à la constitution d’un espace de puissance en Europe dans laquelle la France doit jouer un rôle moteur[5] ». Pour y arriver, il faudra tout à trac arrêter l’immigration-invasion qui nous détruit, retrouver le sens du sacré (quel rôle pourra avoir une Église catholique, donc universelle, dont les gros bataillons ne sont plus en Europe, mais en Amérique latine et en Afrique ?), et remettre de l’ordre entre les fonctions : « Dans notre civilisation, depuis des millénaires, la fonction marchande et de production doit en effet céder devant la fonction guerrière et surtout devant la fonction de souveraineté[6]. »
Ce chemin qui passera immanquablement par le fait de retrouver les valeurs de travail, de courage, d’aventure qui ont fait la force et la grandeur de l’Europe, commencera en nous dissociant de ces médias de grand chemin qui, aux ordres, nous « vaselinent », avant que les vrais maîtres ne préparent le coup d’après. Mais il commençait vraiment à se faire tard, et nous avons dû nous arrêter là, sans arrêter de complimenter Michel pour son excellent petit livre de combat et d’espoir.
Nous avons juré de nous revoir et, la prochaine fois, nous inviterons à nos discussions du lundi le jeune professeur David Johannes Engels qui écrit de très jolies et intéressantes choses sur notre vieille Europe, comme Le Déclin – La crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine. J’ai prévu de cuisiner une spécialité sud-africaine dont j’ai ramené la recette de mon dernier safari : boerewors au four et riz malay à la sauce du Cap que j’accompagnerai d’un Kanonkop de la région du Cap. Hum lekker[7].
Frédéric Éparvier
01/10/2024
Notes
[1] Geoffroy (Michel), Occident go home, p. 14.
[2] Ibid., p. 46.
[3] Ibid., p. 16.
[4] Ibid., p. 82.
[5] Ibid., p. 85.
[6] Ibid., p. 101.
[7] « Plus bon » en afrikaans.
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