Jean-Yves Le Gallou, homme politique, créateur et président de la Fondation Polémia
♦ De quoi cette folle campagne électorale est-elle le nom ? Que signifie ce carnaval électoral ? Faut-il confondre morale et politique ? La démocratie représentative est-elle possible si l’on détruit les immunités parlementaires ?
L’Etat de droit est-il autre chose que le nom de comédie de la tyrannie judiciaire ? Jean-Yves Le Gallou apporte sans faux semblant des réponses à l’abbé de Tanoüarn dans le numéro d’avril de Monde et Vie.
Polémia.
Monde et Vie : Jean-Yves Le Gallou, l’organisation de l’élection présidentielle vous a amené à réfléchir sur les rapports entre morale et politique…
Jean-Yves Le Gallou : Il s’agit assurément de deux plans différents. Bien sûr, j’ai admiré le vieux Romain Cincinnatus, le dictateur choisi pour six mois par ses concitoyens. Six mois, c’était, de par la loi, le temps dont il disposait pour sauver Rome en danger. Il a eu en main tous les pouvoirs et, ensuite, son devoir accompli, il a simplement repris sa charrue sans rien demander à personne. J’ai beau avoir été nourri au lait de l’histoire romaine, j’ai pris conscience qu’il s’agissait d’une vision idéalisée des événements. Et quand bien même des hommes de la trempe de Cincinnatus auraient existé, il faut souligner qu’un tel dévouement au bien public trouvait sa place dans une petite ville, à une époque où les rapports entre l’argent et le pouvoir (l’un permettant l’autre et l’autre l’un) ne s’étaient pas encore développés dans la Cité aux sept collines. Si je regarde l’histoire de France, je suis obligé de reconnaître que, du point de vue de l’histoire financière, il est bien difficile de donner un brevet de vertu à qui que ce soit. Mazarin et Colbert sont des corrompus. Richelieu est a priori plus honnête, mais une partie de sa réussite politique repose sur le fait qu’il a produit de l’argent. Prenons, plus près de nous, Jules Ferry, qui, outre son rôle dans l’élaboration d’un enseignement laïc, gratuit et obligatoire, a aussi construit une partie de l’Empire colonial français : c’est un affairiste, mouillé dans ce qu’on a appelé l’Affaire du Tonkin. Ses adversaires à la Chambre des députés l’apostrophaient avec le sobriquet de « Ferry-Tonkin ». Quant à Clemenceau, c’est un « chéquard », qui a été pris dans les remous de l’Affaire de Panama… De Gaulle ? Il a utilisé les trop fameux barbouzes et a laissé faire ce que l’on a appelé plus tard le « gaullisme immobilier » (les Sanguinetti, Tomasini et autres) pour financer l’UNR. A propos de De Gaulle, on peut dire qu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel, mais des pratiques financières peu recommandables. Une campagne ça coûte toujours de l’argent, il faut le trouver ! De ce point de vue, on pourrait dire qu’il n’y a d’hommes politiques vraiment indépendants (et encore !!!) que les milliardaires : voyez le cas de Trump, qui paie sa campagne sur ses propres fonds.
Mais on a l’impression que les entorses au code de bonne conduite se multiplient en ce moment…
On a une société qui a évolué dans trois directions : d’abord, un élargissement considérable des incriminations pénales possibles au titre du financement des partis, de la transparence des marchés publics et des abus de biens sociaux. On constate, ensuite, des incriminations pénales souvent floues qui offrent la possibilité d’engager des actions contre beaucoup de monde. Enfin, de manière générale, on a allongé les délais de prescription. Cet épaississement du Code pénal renforce l’arbitrage des juges. S’il fallait appliquer strictement le Code pénal à toutes personnes, il y aurait vingt millions de Français en taule… Maintenant tout est dans l’opportunité des poursuites. On va poursuivre en priorité tel acte ou telle personne. La politique judiciaire devient déterminante face à la justice.
Lorsque vous parlez de politique judiciaire, vous visez l’intervention des politiques dans le domaine du pouvoir judiciaire…
De toute façon, le pouvoir politique a autorité sur le parquet, puisqu’il en nomme les juges. Et dans le cas du parquet national financier que l’on a vu à la manœuvre ces derniers temps, tous les juges ont été nommés par François Hollande et Christiane Taubira. Mais il faut ajouter dans ce contexte institutionnel les dangers d’une société de transparence, où tout est numérisé, donc retrouvable facilement voire piratable : téléphones portables, ordinateurs… Il y a désormais une masse énorme de données qui deviennent accessibles à une recherche ciblée.
Prenons un sujet donné ou une personne, quelqu’un qui se trouve à la tête d’une pyramide politique ou gouvernementale : en cherchant bien on trouve forcément quelque chose à lui reprocher. Ensuite, on feuilletonnise, en violant ce que le Code pénal définit à propos du secret de l’instruction. Ces fuites peuvent être le fait des policiers, des juges ou des cabinets des ministres de l’Intérieur ou de la justice auxquels ils rendent compte. Après cela, il y a l’impact du jeu de l’opportunité ou non des poursuites…
Qu’est-ce que vous entendez par « l’opportunité des poursuites »?
Pourquoi aujourd’hui les enquêtes portent-elles de préférence sur Fillon et pas sur Macron, dont les parts d’ombre sont plus grandes ? D’un côté, nous trouvons quelques centaines de milliers d’euros et, de l’autre, quelques millions ou même quelques milliards d’euros. Mais il est évidemment plus facile au grand public de comprendre le petit jeu personnel de Fillon que de mesurer les avantages retirés par Macron de la vente de SFR à Drahi ou de la braderie d’Alstom, pilier de la filière nucléaire française (y compris de la filière militaire), à General Electric.
Mais quelle est l’opportunité ? Quel est le dessein ? Faire élire Macron ?
Le dessein est d’abaisser la fonction politique et d’évacuer le débat politique. En invoquant les costumes de M. Fillon ou le garde du corps de Marine Le Pen, on évite de poser la question de la continuité politique ou idéologique entre Hollande et Macron. Pour faire élire le successeur d’un président qui est à 10% de bonnes opinions, on occulte le débat de fond et on occupe l’opinion avec des histoires secondaires. La France a 2000 milliards de dettes et reçoit chaque année 250.000 étrangers. On constate qu’en Ile-de-France 65% des naissances ne sont pas d’origine européenne. Mais la campagne tourne autour des quelques milliers d’euros versés par Fillon à sa femme et à ses enfants. Le Penelopegate est un médiagate au sens où les médias sont en train de voler le débat de la présidentielle aux électeurs français. Ne vous y trompez pas : quand Emmanuel Macron dit « Pas de programme », cela signifie avant tout « Pas de débat ».
Comment retrouver une société dans laquelle la dictature de la transparence (avec les chasses à l’homme que cela permet) n’ait pas le dernier mot ?
La base de la démocratie représentative, il faut y revenir, c’est l’immunité parlementaire et présidentielle, pour éviter que l’ « opportunité des poursuites » ne s’applique à telle ou telle personnalité de manière sélective en fonction des intérêts de quelques-uns. Autrefois, il y avait une pratique : la discrétion judiciaire pendant la campagne. Evidemment cela s’est totalement perdu. De manière générale, partout où on l’envisage, sauf cas exceptionnel, la suppression de l’immunité parlementaire a pour effet d’abaisser la fonction politique, ce qui entraîne, d’un côté, le renforcement d’un pouvoir économique et, de l’autre, l’émergence d’un véritable pouvoir médiatique. On affaiblit le seul pouvoir qui devrait émaner du peuple et on perd des capacités de décision.
Est-ce une mesure suffisante, cette sanctuarisation de la politique nationale ?
Il faut aussi revenir sur l’intempérance législative des trente dernières années. Aujourd’hui vous avez une affaire, puis une loi. Mais la loi ne règle pas le problème, elle aggrave l’arbitraire et elle favorise une opacité juridique qui avantage les puissants. Prenons un exemple : prétendument pour moraliser la vie politique, plusieurs lois ont réformé le code des marchés publics – au bénéfice des… grandes entreprises, parce qu’elles sont les seules à disposer des services juridiques capables de rédiger les appels d’offres. Quant aux petits, ils n’ont pas ces moyens de se repérer dans la complexité de la loi et doivent s’incliner. Le droit est devenu à la fois vaste et mou. On peut choisir de poursuivre ou de ne pas poursuivre. Regardez : Macron organise une grande foire technologique aux Etats-Unis. Pour l’Inspection des finances, les marchés avec les entreprises qui ont participé à l’organisation de l’événement ont été passés de manière douteuse. Aujourd’hui, le PNF ne s’intéresse pas à l’affaire. Trop de droit peut tuer le droit !
Vous parlez des lois. Et les juges ?
Il faut remettre la justice dans son lit et cesser d’invoquer à tout propos l’Etat de droit en le confondant avec la République des juges. Etat de droit ? Au départ, c’est une belle idée, mais aujourd’hui l’expression fait partie de la novlangue. Elle décrit la tyrannie des juges, adossée au médiatiquement correct. Il faut revenir à ce que Donald Trump appelle une conception originaliste du droit et ne pas faire dire aux textes ce qu’ils ne disent pas, en invoquant des principes généraux comme les droits de l’homme (ou l’interprétation qu’on en fait), au nom desquels on place une interprétation du droit sur le même plan que le droit. En France, le Conseil constitutionnel (comme aux Etats-Unis la Cour suprême) a développé un droit prétorien, en surinterprétant les textes généraux. Le pouvoir des juges, de plus en plus vaste en principe, devient arbitraire de ce fait…
Et vous-même, d’où vous vient une telle liberté de ton ?
Je peux me permettre de tenir ces propos car la politique ne m’a pas enrichi et je n’ai jamais eu avec l’argent de rapports de dépendance qui auraient pu me pousser à dériver. Mais aujourd’hui, vu la prolifération des lois, il est impossible de rester judiciairement indemne, même en faisant des choix très rigoureux. C’est le cas de répéter avec Péguy que pour avoir les mains pures, il ne faut pas avoir de mains. Bienvenu dans la post-démocratie, ce Système dans lequel le pouvoir économique, le pouvoir médiatique et le pouvoir judiciaire remplacent le pouvoir des élus. Nous assistons aux derniers moments de la démocratie représentative.
Il y a comme une enflure de l’Etat de droit, en fait…
Bien sûr, mais on a déjà assisté à ce phénomène : savez-vous qu’en URSS les dissidents étaient poursuivis sur la base du Code pénal ? Ce sera la même chose chez nous : la transparence, appliquée de manière sélective, pourrait tuer dans l’œuf toute dissidence, mais au nom de la loi et des juges.
Jean-Yves Le Gallou
Propos recueillis par l’abbé G. de Tanoüarn
6/04/2017
Entretien avec Jean-Yves Le Gallou, Monde et Vie, n° 938, 6 avril 2017, p. 22-23.
Image : La démocratie représentative, régime politique dans lequel la volonté des citoyens s’exprime par la médiation de représentants élus qui incarnent la volonté générale.
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