Le 3 juillet 2014, la CJUE a rendu un arrêt important en matière de transparence relative aux négociations commerciales. Cet arrêt fait suite à un recours déposé par une eurodéputée néerlandaise libérale (ALDE) suite au refus de la Commission européenne de lui transmettre l’intégralité des documents relatifs aux négociations entre l’UE et les USA sur l’accord dit TFTP-SWIFT. Cet accord a pour objectif de mettre à la disposition du département du Trésor des États-Unis des données de messagerie financière dans le cadre de la prévention du terrorisme et du financement du terrorisme. Les dispositions de cet arrêt peuvent largement être transposées à l’ensemble des accords commerciaux actuellement négociés par la Commission, notamment l’accord général négocié avec les États-Unis : le TTIP. Un article en ce sens a été écrit par le blog espagnol Economia Ciudadana. En voici la traduction ci-dessous.
Le 3 juillet, la Cour de justice de l’Union européenne (première chambre) a rendu un jugement historique, en réponse à un appel interjeté par le Conseil visant à refuser l’accès aux documents de négociations internationales pour les citoyens européens et leurs représentants au Parlement européen.
Bien que le jugement C 350/12 P ne se réfère pas spécifiquement au Traité transatlantique, il a un impact direct sur ces négociations, en établissant l’obligation totale de permettre ou d’accéder partiellement aux documents de négociations internationales aux citoyens de l’Union européenne et leurs représentants politiques élus au Parlement européen, annulant les stratagèmes les plus couramment utilisés par la Commission pour refuser l’accès à ces informations, généralement basés sur les dommages hypothétiques ou affirmant tout simplement que des pourparlers sont déjà en cours.
Comme il est de plus en plus habituel dans les pourparlers relatifs au TTIP, le Conseil européen et la Commission européenne bloquent systématiquement l’accès aux documents, sur la base du dommage hypothétique qui serait causé aux stratégies de négociations de l’UE, la Commission soutenant que cela donnerait un important avantage à l’autre partie.
L’arrêt de la CJUE équilibre exactement les intérêts des institutions : il doit, d’une part, assurer l’accès à toutes les informations concernant leur gestion, comme un moyen efficace de garantir le droit à la transparence des citoyens, et, de l’autre, garantir un niveau nécessaire de discrétion requis pour les processus de négociations internationales, afin d’éviter les stratégies de négociations de base révélatrices d’autres parties aux négociations.
Bien que la transparence doive être une qualité intrinsèque des institutions européennes – en particulier dans le cas du «défaut démocratique» de la Commission européenne –, la CJUE a été obligée de rappeler au pouvoir exécutif une série de vérités évidentes en matière de transparence : l’accès aux documents produits ou reçus par les institutions européennes et les droits des citoyens de base, tous consacrés par l’article 6 du traité de l’Union européenne et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La Cour reconnaît qu’il existe des exceptions à l’accès à tous les documents, notamment les renseignements personnels ainsi que les exceptions prévues par le règlement (CE) 1049/2001, les articles 4.1 a), troisième tiret, 4,2 secondes tableau de bord, et 6.
Dans le même temps, celles-ci étant des exceptions, par définition, elles ne doivent être utilisées que dans des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, quand elles sont utilisées de façon à refuser l’accès aux documents, ce doit être pour des objectifs et des motifs non hypothétiques. En aucun cas ne peut-on empêcher l’accès aux parties non exonérées de la documentation. En d’autres termes, alors que la Commission ou le Conseil peuvent censurer les aspects objectivement couverts par l’exception, ils ne peuvent pas bloquer l’accès du public au reste de la documentation.
La première conclusion à tirer en ce qui concerne le jugement est que, contrairement à la Commission européenne, où l’exception est devenue la règle, la Cour de justice a confirmé une fois de plus le sens original du concept : veiller à ce que des exceptions ne puissent être appliquées que lorsqu’il y a des faits spécifiques fondés sur des motifs et objectifs réels, et non sur des cas hypothétiques.
En conséquence, les négociateurs du traité doivent désormais permettre un large accès du grand public à tous les documents du TTIP, et ne censurer que les paragraphes qui pourraient affecter les stratégies de négociation importantes et qui ne sont pas déjà connues par l’autre partie aux négociations.
Un second point intéressant concernant le jugement est que, alors que la Commission et le Conseil ont soutenu que la documentation pourrait révéler des anomalies pouvant éventuellement affaiblir la position de négociation, la Cour a conclu que la simple existence d’incohérences n’était pas en soi suffisante pour conclure à un risque de préjudice causé par l’accès à la documentation.
Ce point, qui, dans toute démocratie semblerait aller de soi, est celui sur lequel l’Union européenne et ses institutions «démocratiques» (le Conseil et la Commission) ont dû être rappelées.
Le troisième point à noter est que l’arrêt annule le statut extraordinaire accordé par la Commission européenne aux négociations internationales, de sorte qu’elles restent inaccessibles pour le grand public alors qu’elles sont encore en cours. Ce motif a permis au groupe de négociations de refuser les pétitions des citoyens pour l’accès aux documents.
Dans cette ligne, la Cour de justice de l’Union européenne nous rappelle que le règlement 1049/2001 (qui réglemente également les exceptions), en son 4e considérant et son article premier, assure le plus large accès possible aux documents des institutions et établit que les exceptions doivent être interprétées et appliquées strictement.
Ci-dessous les articles 52 et 53 de l’arrêt :
52 « En effet, d’une part, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant aux questions de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement n° 1049/2001 que cette institution invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. »
53 « D’autre part, lorsqu’une institution applique l’une des exceptions prévues à l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1049/2001, il lui incombe de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation du document concerné et, notamment, l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible, eu égard aux avantages découlant, ainsi que le relève le considérant 2 du règlement n° 1049/2001, d’une transparence accrue, à savoir une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel ainsi qu’une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique. »
Le quatrième point digne de considération du jugement est la référence faite au rôle de la Commission européenne dans les négociations internationales, où elle agit non seulement en sa qualité de dirigeant, mais aussi dans sa capacité législative. En conséquence, il y a un besoin intrinsèque de transparence dans les orientations fondamentales fixées par les négociateurs européens.
En effet, l’alinéa 76 de l’arrêt démolit la prétention de la Commission que les négociations doivent être tenues secrètes jusqu’à ce que l’accord ait été signé par les parties et que le rôle du Parlement européen devrait être limité à approuver ou rejeter l’accord dans son ensemble.
La Cour indique : « L’intérêt public relatif à la transparence du processus décisionnel serait vidé de son contenu si sa prise en compte était, comme le propose la Commission, limitée au cas où la procédure décisionnelle est mise à son terme. »
Cette conclusion de la Cour annule la posture antidémocratique visant à cacher le contenu du TTIP afin d’éviter un débat public et de montrer les divergences qui existent à l’égard de l’accord.
L’arrêt de la CJUE fournit les arguments nécessaires pour une pétition formelle pour l’accès aux documents de négociations, sur la base de :
- Les documents consolidés sont déjà connus des deux parties. Par conséquent, il ne peut être considéré que de donner leur accès nuirait aux lignes de négociations stratégiques.
- Le fait que les pourparlers de TTIP sont actuellement en cours n’est pas une raison suffisante pour refuser l’accès aux documents.
- Selon le jugement, les citoyens ont accès non seulement aux documents produits par les négociateurs de l’UE mais aussi à ceux produits par les États-Unis qui sont maintenant entre les mains des négociateurs de la Commission du commerce.
- Bien que la Cour reconnaisse certaines exceptions à la transparence dans des sections où aucun accord n’a encore été conclu, elle reconnaît également que ces exceptions ne peuvent pas être facilement appliquées pour refuser l’accès à d’autres parties non exemptées des documents.
- La Cour de justice rappelle à la Commission que lorsque les pourparlers ont un impact sur la législation, les exigences de transparence sont plus importantes encore.
- Les exceptions appliquées pour bloquer partiellement l’accès aux documents doivent être objectivement justifiées, non hypothétiques et non contraires au traité de l’Union européenne et à la Charte des droits fondamentaux.
Economia Ciudadana
Source originale : economiaciudadana.org
Traduction française (source) : contrelacour.fr
23/07/2014