Quand on fait un film sur Napoléon, on est certain de faire des mécontents. Mais celui de Ridley Scott avec Joaquin Phoenix dans le rôle de Napoléon bat un certain nombre de records.
On passera sur les erreurs historiques. Ce film, en réalité, aurait dû s’appeler Joséphine. C’est elle le personnage principal aux côtés d’un Bonaparte ou Napoléon qui tarde à percer. Le sujet, c’est l’amour, les faibles prestations sexuelles du petit caporal, sa dépendance vis-à-vis de Joséphine. L’empereur est sous emprise. Le cinéaste n’a pas pour autant choisi franchement l’angle de son film et c’est pourquoi il est largement raté. Il y a des moments de grand cinéma, à côté de longueurs interminables de guimauve sentimentale. La bataille de Waterloo est exceptionnelle, comme la scène du retour de l’île d’Elbe où ceux qui devaient l’arrêter se rallient à leur empereur. On créditera Ridley Scott de ne pas avoir sacrifié au wokisme : pas de trace de dénonciations de misogynie dans le film, et surtout pas un mot sur l’esclavage. Mais cela ne suffit pas à sauver le film. On regrettera l’oubli complet de l’épisode du duc d’Enghien, et la faiblesse des Fouché et Talleyrand. La grande déception, c’est Joaquin Phoenix. Le formidable Commode de Gladiator, l’exceptionnel Joker n’a pas senti son rôle. Mal dirigé, mal inspiré, il n’incarne pas l’empereur. Cette fois, il n’a pas perdu un kilo, et il est aussi gros quand il est Bonaparte, ce « chat maigre et botté », dans les salons de Barras que quand il est devenu un Napoléon enrobé mais qui jamais ne met sa main dans son gilet.
Ce film m’a poussé à revoir une série télévisée – qui n’a pas eu de succès car l’empereur n’est pas à la mode dans les médias français –, avec Christian Clavier dans le rôle-titre. Certes, on a du mal à considérer Jacquouille la Fripouille en empereur des Français, mais le tout est complet avec, cette fois, de formidables Fouché et Talleyrand – Gérard Depardieu et John Malkovich –, Isabella Rossellini portant superbement l’âge de Joséphine. Bien sûr, rien de comparable avec le fantastique Napoléon de Sacha Guitry, en deux époques avec deux acteurs, l’un pour Bonaparte, Daniel Gélin, un autre pour Napoléon, Raymond Pellegrin, et un texte admirable… Du Guitry, quoi ! Et puis il y a même des bluettes impériales plus réussies. On citera le Désirée de Brando avec Jean Simmons dans le rôle de la future reine de Suède, épouse de Bernadotte. Brando, fantastique Marc Antoine dans l’adaptation cinématographique du César de Shakespeare, est le plus ténébreux Napoléon que l’on puisse imaginer, rayonnant mais accablé et écrasé par son destin.
Phoenix renaîtra certainement des cendres de ce Napoléon, mais une chose est sûre, il ne sera pas atteint du syndrome Dieudonné. L’acteur interprète mythique de l’empereur dans le Napoléon indépassable d’Abel Gance a fini par se prendre pour Napoléon, comme Johnny Weissmuller pour Tarzan, et finira enterré dans son costume de cinéma de l’empereur. Napoléon, un costume bien trop grand pour certains, décidément. Il paraît que le film de Gance va être restauré grâce à Netflix. C’est exaltant mais inquiétant, comme tout ce qui touche à cet homme unique, qui prouve que les grands hommes font l’histoire. Sinon, pour qui se serait levé le soleil d’Austerlitz ?
Pierre Boisguilbert
28/11/2023
Crédit image : Domaine public
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