Par Olivier Piacentini, essayiste ♦ Depuis plusieurs jours, les présentateurs de télé nous annoncent en boucle, sourire aux lèvres, que l’industrie Française se porterait comme un charme : ce serait le pays le plus attractif de l’Union européenne, devant l’Allemagne. C’est un bureau d’études dénommé EY qui le dit. Mais alors, comment expliquer que nous percevons une déroute absolue de nos industries depuis trente ans ? Serions-nous d’incorrigibles pessimistes ?
Non, l’activité industrielle en France n’est pas au beau fixe !
Mais non, nous n’avons pas la berlue : tout l’indique, c’est bien d’une véritable déroute qu’il s’agit.
Aujourd’hui, la France est, en terme de production industrielle, au 4e rang dans l’UE, loin derrière l’Allemagne, mais aussi l’Italie, et juste derrière l’Espagne et à un niveau voisin de celui du Royaume-Uni, selon les sources Insee.
En termes de proportion du PIB, même constat : alors que les industries représentent plus de 23 % du PIB allemand, et 19 % du PIB italien, elles ne représentent plus que 14 % du PIB français, ce qui nous situe au même niveau que l’Angleterre. Sauf que le Royaume-Uni s’est délibérément recentré, durant les années Thatcher, sur les services et les activités financières, qui ont effectivement compensé les restructurations industrielles.
La France, écrasée de taxes, charges, règlementations, paralysée par les 35 heures et le droit du travail, est, de tous les pays, celui qui persécute le plus ses activités manufacturières.
En effet, l’industrie est l’activité la plus exposée à la concurrence internationale, et le titre peu envié de pays le plus taxé du monde que nous détenons affaiblit particulièrement nos usines.
Des taxes handicapantes
Charges, taxes, et impôts en plus, c’est d’autant moins d’argent disponible pour l’emploi, l’investissement, l’innovation, la recherche et développement.
Les usines Françaises sont donc handicapées face à leurs concurrents, non seulement asiatiques, mais également européens.
Entre 1990 et 2015, la France a perdu plus de 2 millions d’emplois industriels. Et comme l’industrie pèse énormément dans la balance commerciale, la nôtre est depuis dix ans catastrophique : entre 50 et 70 milliard d’euros de déficits annuels, quand l’Allemagne est excédentaire de 220 milliards d’euros, et l’Italie de 20 milliards d’euros.
Et ceci reflète parfaitement le niveau de compétitivité de nos pays respectifs. Selon un rapport de la Commission européenne, la France est le pays d’Europe où les marges bénéficiaires des entreprises sont les plus faibles : environ dix points de taux de marge en moins que tous les concurrents comparables.
Au-delà des chiffres, tout le monde peut le constater : alors que la France excellait dans la chaussure, le textile, l’ameublement… des régions entières sont désormais sinistrées à cause de la quasi-disparition de ces activités (voir la région de Romans, par exemple). Même la pharmacie et les hautes technologies, même l’aéronautique sont désormais atteintes, et délocalisent non seulement vers l’Asie, mais vers d’autres pays de l’Union européenne.
L’industrie française attire… les vautours !
Alors, comment peut-on nous vendre le tableau d’une industrie Française florissante, alors qu’elle est exsangue, au vu et au su de tous ? L’étude du cabinet EY nous parle d’attractivité de la France, qui attirerait les capitaux étrangers.
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Effectivement, nombre de nos entreprises disposent d’un savoir-faire d’exception, mais sont toutes sous cotée en terme de valorisation, voire en difficulté à cause de tout ce qui a été décrit plus haut. Elles deviennent ainsi des proies faciles pour les vautours de la finance, ou les multinationales américaines, chinoises, allemandes ou autres.
Récemment, l’entreprise aéronautique Latécoère, fleuron de notre technologie, a été reprise par un fonds d’investissement américain : les journaux télévisés n’en ont guère parlé.
Depuis quinze ans, combien ont subi le même sort ? Pechiney, Alstom, les Chantiers Navals de Saint Nazaire, Technip, tout ceci ne vous rappelle rien ?
Beaucoup des industries revendues aux capitaux étrangers se retrouvent bradées, dépecées, démantelées et finalement délocalisées ailleurs, comme Arcelor, reprise par Mittal. Un pays qui affaiblit délibérément ses industries, au point de les livrer à prix cassés à la finance internationale, devient de facto attractif : il passe pour une sorte de hard-discounter des industries nationales, qui attire effectivement tous les vautours internationaux alléchés par les bonnes affaires…
Voilà à quoi tient la fameuse « attractivité Française », annoncée dans la bonne humeur par nos journalistes…
Olivier Piacentini
19/01/2020
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Domaine public