Michel Lhomme, politilogue
♦ Lancée il y a deux semaines par le collectif des « Citoyens inquiets de Mayotte », la pétition sur le 101e département français, destinée au président de la République, vient d’être close. Elle réunit 12.642 signatures. Un véritable succès.
C’est probablement le seul succès dont peut s’enorgueillir l’île des Parfums, depuis sa départementalisation en 2011 par Sarkozy qui pourrait la placer sur son tableau d’excellence en deuxième position juste derrière la Libye.
Polémia
Cette pétition lancée en ligne, mais aussi sur papier dans de nombreux lieux de l’île était destinée à alerter les plus hautes autorités françaises de la situation du département : insécurité en tête (agressions quotidiennes y compris dans les collèges), mais également fiscalité (des impôts locaux à 1500 euros voire plus mais que ne doivent payer que les métropolitains !) et toujours et encore l’immigration. Alors que l’objectif initial était d’atteindre 5000 signatures afin qu’elles soient envoyées au président François Hollande, la pétition en question a finalement atteint 12.642 signatures, lors de son comptage final, vendredi 19 février. Un résultat attesté par un huissier de justice, bien au-delà des attentes, et qui traduit le sentiment de ras-le-bol généralisé qui s’empare actuellement de Mayotte. Ce chiffre correspond à 5 % de la population de l’île (à titre de comparaison, cette même proportion en métropole correspondrait à une grogne de 3.250.000 personnes), et 10 % de sa population adulte. Les autorités de la République pourront-elles continuer longtemps à ignorer la dégradation sans fin de Mayotte, l’île aux Parfums ?
Mayotte est dans l’impasse
Le candidat aux primaires, Alain Juppé lui-même, s’en est rendu compte après une brève visite à Mamoudzou, la préfecture du département. Il a aussi pris sa plume pour s’adresser à Manuel Valls. Il lui dit redouter carrément des « affrontements interethniques » autrement dit la chasse aux blancs et des « flambées de violence à court terme ». Alain Juppé, plutôt modéré d’habitude, avertit de la gravité de la situation et pointe même du doigt l’immigration débordante en provenance des Comores mais aussi de Madagascar et des autres pays africains.
A Mayotte, l’insécurité, dit-il, est devenu »extrême ». On peut croire Juppé car si c’était un extrémiste, on le saurait depuis longtemps. Le 19 janvier 2016, Mansour Kamardine, député républicain de Mayotte, affirmait lui que l’île était « au bord de la guerre civile ». La maternité de Mamoudzou détient le record de France du nombre annuel de naissances : plus de 7.300 enfants y ont vu le jour en 2014 avec des chambres saturées de patients, des équipes qui travaillent en flux tendu et une qualité de l’accueil et des soins totalement menacée malgré la modernité des installations. Du point de vue de la sécurité, la semaine dernière, alors que la mesure est déjà applicable en Petite-Terre, le « couvre-feu » pour les mineurs a dorénavant été imposé dans certaines communes comme Chirongui (nombreuses bagarres inter-bandes ces dernières semaines avec des blessés à l’intérieur même du Collège) et la délibération est à l’étude dans la commune du chef-lieu Mamoudzou. Ces mesures sont adoptées dans un contexte de recrudescence des actes d’incivilités, de vols et de montée de la consommation de l’alcool et de la drogue chez les jeunes, en particulier de nuit.
Récemment, l’hebdomadaire Le Point titrait : « Violences à Mayotte : la délinquance peut provoquer un cataclysme ». Les chiffres sont inquiétants : les agressions physiques ont augmenté de 50 % en 2015 et le nombre de mineurs passés devant le juge a explosé. Le procureur de la République de Mayotte a déclaré lui-même lors de son réquisitoire tenu à l’occasion de l’audience de rentrée du tribunal de Mayotte, que 2017 pourrait être l’année du « cataclysme » si la délinquance continuait d’augmenter : « Restons lucides : nous ne pourrons pas continuer longtemps à ce rythme », a averti le procureur Joël Garrigue, rappelant les chiffres des derniers états-majors de la sécurité à Mayotte : en 2015, le nombre d’agressions physiques a augmenté de 50 % par rapport à 2014 et un tiers des faits de la délinquance totale sont imputables à des mineurs, un chiffre bien au-delà de la moyenne nationale à « un peu moins de 20 % », selon le procureur de la République.
Le magistrat a fait état de chiffres en constante augmentation : nombre de mineurs passés devant le juge pour enfants en 2015 (31 % de plus qu’en 2014 et 55 % de plus qu’en 2013), nombre de journées d’incarcération (3.430 en 2014, 4.440 en 2015) et nombre moyen de mineurs incarcérés (10 en 2014, 14 en 2015 et déjà 20 en 2016).
Il y a deux causes à l’accroissement de cette délinquance : l’arrivée de la drogue de synthèse, « le chimique » (la Ice, le crack) et les violences inouïes déclenchées par les rivalités inter- villageoises. De fait, cette semaine un inspecteur général de la police et un général de gendarmerie sont arrivés à Mayotte pour une inspection du dispositif de sécurité de l’île. Ils ont rencontré tous les services de l’Etat en lien avec la sécurité, mais aussi certaines associations et la protection judiciaire à la jeunesse. Ils sont repartis atterrés le 5 mars pour Paris pour livrer leur analyse du terrain : elle est dramatique.
Mayotte : un bel héritage sarkozyste.
La départementalisation fut non seulement un échec complet mais une pure folie. Sarkozy avait promis à Mayotte le département comme Hollande vient de promettre à Papeete les « indemnisations nucléaires ». Or, Mayotte n’a été départementalisé par Sarkozy c’est-à-dire les Républicains que pour des raisons électorales : 50.000 voix d’assurés et, en politique, quand les scrutins sont justes, 50.000 voix cela compte même s’il faut y sacrifier l’intérêt général.
La Cour des comptes est en veille
De fait, la Cour des comptes s’était aussi penchée en début d’année sur l’Ile aux Parfums pour estimer en mots polis que la départementalisation de Mayotte avait « été mal préparée et mal pilotée ». Mayotte est devenue officiellement le cent unième département français voilà bientôt cinq ans, le 31 mars 2011. Le chômage sur l’île demeure le plus élevé des DOM (36,6 %) et le PIB par habitant, bien qu’ayant augmenté de 65 % entre 2005 et 2011, ne s’élève qu’à 7.900 euros contre 31.500 euros au niveau national et 18.900 euros à la Réunion. Dans la situation insécuritaire totale que traverse l’île, avec des forces de l’ordre en sous-effectif, les opportunités de développement économique sont purement hypothétiques. Qui voudrait aujourd’hui investir à Mayotte ? La plupart des entrepreneurs fuient le département et l’Education nationale ne parvient même pas à mettre en face des élèves des professeurs compétents, faute d’ailleurs de vouloir les payer convenablement et de mégoter en permanence sur leurs conditions de travail.
Le tourisme, qu’en est-il ?
Certains voyaient pourtant dans l’extension toujours reportée de l’aéroport, un probable développement du tourisme. Pure illusion. Les infrastructures hôtelières sont inexistantes ou inadaptées et puis enfin, soyons réaliste, qui voudrait aujourd’hui passer des vacances dans une île musulmane sous les cocotiers où l’alcool et le nudisme restent proscrits ? Si la départementalisation est un échec total, elle a aussi complètement déstabilisé une société matriarcale, islamisée à 95 %, très peu francophone mais autrefois tranquille, agréable et chaleureuse.
Relativement pauvre par rapport à ses voisins (les Comores et Madagascar), la population mahoraise n’en demeure pas moins en forte croissance. Evaluée à quelque 220 000 habitants au 1er janvier 2014, elle a triplé depuis 1985. La moitié des habitants ont moins de dix-sept ans et demi mais ils ne sont pas en fait mahorais. Ils sont les enfants de France c’est-à-dire comme en France, les enfants de la générosité suicidaire du droit du sol. Dans un entretien au Figaro, le député Kamardine affirme que « la population d’origine mahoraise y serait en fait aujourd’hui minoritaire ». C’est presque vrai.
Quelle population à Mayotte ?
On vote d’ailleurs Front National à Mayotte, en particulier dans la vieille cité royale du nord de l’île, la fière Mtzamboro parce que Mayotte anticipe à sa manière dans un ultime instinct de survie ce que sera demain le peuple français, un peuple minoritaire. Selon l’Insee, les étrangers régulièrement installés à Mayotte représenteraient 40 % de la population mais ce chiffre est tronqué comme à son habitude puisque l’Insee est incapable de comptabiliser les clandestins. Or, combien sont-ils ? Des milliers cachés dans les forêts, surtout de jeunes garçons dont les parents ont souvent été reconduits à Anjouan, un de ces scandales de la République des Droits de l’Homme, un scandale comme celui de Calais, l’abandon des mineurs dans la jungle comme au pire temps du marronnage caribéen et guyanais.
Il faut revoir la copie, redéfinir complètement le statut de Mayotte.
Pour y parvenir, une seule solution à court terme, généraliser au niveau national la suppression des départements, une suppression nécessaire qui nous débarrasserait des doublons administratifs comme de ses élus territoriaux totalement inutiles. Seule la suppression à l’échelle nationale des départements français pourra permettre, dans le calme, de reposer la question mahoraise pour, pourquoi pas, alors imposer par le haut un retour dans le giron comorien dans le cadre d’un Etat associé, une Union des Comores-République Française.
Déjà, depuis 2013, un Haut conseil paritaire réunit ainsi des représentants français et comoriens. Il est peu actif car braqué sur des conceptions passéistes, sur des questions souverainistes alors qu’il faudrait dans l’urgence humanitaire se tourner vers l’avenir, vers le devenir réel d’une jeunesse comorro-mahoraise qui a autant de potentiel qu’une autre. Aujourd’hui, les jeunes mahorais n’ont aucune autre perspective de travail que celle d’émigrer vers La Réunion ou la métropole où très vite, ils grossissent le nombre des sans-emploi ou les quartiers chauds de Marseille.
Il faut donc revenir au plus vite sur le statut antérieur de Mayotte, condamné par plusieurs résolutions de l’ONU, soit rendre l’île aux Comores dans une création juridique nouvelle d’Etat associé qui pourrait à terme servir aussi de modèle pour la Polynésie française, soit trouver un statut moins contraignant de COM (collectivité d’outre-mer) comme à Wallis-et-Futuna ou Saint-Martin. Sans changement radical, Mayotte sera un jour au premier plan des actualités françaises mais dans le drame. La ministre des Outre-mer Georges Pau-Langevin ne veut pas y croire : elle a tort car quels que soient les efforts de l’Etat consentis pour endiguer les flux migratoires, Mayotte restera confrontée à la pression inhérente aux déséquilibres régionaux.
Mayotte saignera.
Michel Lhomme
19/03/2016
Correspondance Polémia – 19/03/2016
Image : Mayotte : trois meurtres en 2015, la question des chombos dans la ville
http://www.linfo.re/ocean-indien/mayotte/679689-mayotte-trois-meurtres-en-2015-la-question-des-chombos-dans-la-ville