« Selon Lepers et Mucchielli, la vraie cause de la surpopulation carcérale réside dans le comportement de la police qui cible en priorité les immigrés. »
France 2 a présenté, le 25 novembre 2014, un reportage intitulé « Immigration et délinquance, une enquête qui dérange » et réalisé par Christophe Nick, Gilles Cayatte et John Paul Lepers. Celui-ci, en vedette, fait un tour de France des cités et des psychologues sociales pour vérifier si l’assimilation des immigrés et de l’insécurité est vérifiée par les faits. On devine tout de suite la réponse de la chaîne publique : il s’agit de « préjugés » et cette assimilation n’est, en novlangue, qu’un « amalgame ».
Lepers, qui soutient qu’il a « abandonné son idéologie », a en fait présenté deux films. Comme l’indique un article d’Infrarouge :
- le premier film « apporte, à tout citoyen de bonne foi, des exemples concrets et des chiffres précis, qui constituent potentiellement une boîte à outils pour combattre ceux qui ont intérêt à opposer les communautés qui forment la France ». Suivez mon regard. Et notez bien que la France est formée de communautés.
- le deuxième documentaire, intitulé « La fabrique des préjugés », s’attache « à nous expliquer comment naît un préjugé, et pourquoi nous en sommes, en fait, victimes. Une plongée scientifique et subtile dans nos imaginaires collectifs ».
On se sent tout petit, et penaud, des mauvaises pensées inspirées par une sortie récente dans le métro.
Six semaines après ce reportage rassurant, c’était le massacre de l’hebdomadaire dit satirique. Si ce n’était pas tragique on en rirait, tellement la coïncidence explose à la figure des propagandistes. Peut-être Lepers soutiendra-t-il que les assassins étaient français. Mais, foin d’une ironie trop facilitée par les événements, examinons sommairement les « travaux » de l’auteur.
La démarche présentée comme statistique et rigoureuse par Lepers
Lepers a tenté, en utilisant la base de données du ministère de l’Intérieur, de trouver des villes à forte proportion d’immigrés et de vérifier si elles font exploser les chiffres de délinquance.
Il a commencé par aller à Aubervilliers, commune qui bat le record de la proportion d’immigrés au sein de sa population : 40% des 73.000 habitants. Il n’a pu que constater que le taux de délinquance y est plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale. Cela commençait mal.
Alors il est allé à Beausoleil, cité dortoir ensoleillée dont la population va travailler tous les jours dans la principauté de Monaco. Deuxième dans le classement des villes avec immigrés : 38%, la délinquance y est au niveau de la moyenne nationale. La population est d’origine très diverse, il fait beau et chaud, la ville est agréable, il y a de l’emploi et, surtout, l’embauche est faite avec un contrôle de sécurité sévère, ce qui explique bien des choses. Ce n’est pas un bon exemple.
Direction Oyonnax, cité de la plasturgie touchée par la crise, avec une forte proportion d’immigrés : 28% et un taux de délinquance faible et inférieur de 5 points à la moyenne nationale. Dans cette petite ville tranquille et bien tenue par les polices, il n’y a pas de délinquance, mais il y a des incivilités et de l’irrespect. Le film ne cache pas la vérité des témoignages locaux. Le problème est que Lepers, comme ses congénères, prend ce sentiment de crainte à l’égard des incivilités pour une illusion injustifiée et de toute façon sans portée ni intérêt.
Alors il a comparé deux agglomérations, l’une, Caen, avec un très faible taux d’immigrés, 5%, et Montbéliard, en crise, avec 30% d’immigrés. Et là, surprise et alléluia : les taux de délinquance sont identiques, c’est-à-dire 20 points au-dessus de la moyenne nationale, et même parfois au désavantage de Caen. Donc, donc, enfin, il est possible d’affirmer que le nombre des immigrés n’a pas d’influence sur la criminalité.
Un spécialiste de la délinquance qui est aussi un idéologue immigrationniste
C’est ce que confirme Laurent Mucchielli, sociologue spécialiste de la délinquance. Chercheur engagé à gauche, ce que ne dit pas le reportage, il se réclame de la pensée du sociologue Pierre Bourdieu. Il dénonce « le spectacle de la violence » organisé par les médias, la récupération politique du thème de « l’insécurité », l’action de certains lobbies sécuritaires proches de la police, l’usage abusif des « statistiques de la délinquance » et le discours « catastrophiste » de ses collègues criminologues au premier rang desquels les universitaires Alain Bauer et Xavier Raufer.
Il dénonce en particulier les statistiques de la police, destinées à faire du chiffre, qui amalgament des délits de natures et d’importances très diverses et qui ciblent les immigrés. C’est ce qui expliquerait le taux élevé d’immigrés dans les prisons. Bref, le Système est, à ses yeux, pervers et injuste ; du moins c’est ce que l’on peut comprendre.
Les faiblesses de la méthode Lepers
Il ne s’agit pas de contester les chiffres de Lepers qui sont ceux du ministère de l’Intérieur. Il faut cependant bien noter qu’ils datent de 2009 et sont vieux de cinq ans.
Lepers ne parle que des immigrés qui ne représentent que 8% de la population. Il oublie les descendants directs d’immigrés de la deuxième génération. L’INSEE estime que les deux catégories représentent 12 millions de personnes, soit à peu près 19% de la population française. Ce constat change bien des choses.
On ne perçoit pas clairement sur quels délits et crimes porte précisément la comparaison des deux agglomérations.
Enfin sa conclusion repose sur une seule comparaison, celle des deux agglomérations de Caen et de Montbéliard.
En définitive, la méthode Lepers présente des lacunes trop significatives pour ne pas mettre en doute ses conclusions.
Quelques chiffres différents
La Région Midi-Pyrénées regroupe une agglomération importante, celle de Toulouse, avec de nombreux immigrés dans des cités bien connues comme Le Mirail et des départements majoritairement ruraux. Sur la base des données locales de « criminalité et délinquance 2012 » du ministère de l’Intérieur et de l’ « Atlas des populations immigrées Midi-Pyrénées » il est possible de comparer les performances de la Haute-Garonne, département de Toulouse, avec le Lot pour les délits d’atteinte à l’intégrité physique, d’atteinte aux biens, d’escroquerie et autres délits financiers et d’infractions révélées par les services dont les stupéfiants. La Haute-Garonne concentre beaucoup d’immigrés : 40% de cette population de Midi-Pyrénées vit dans l’arrondissement de Toulouse. Dans le Lot, la proportion d’immigrés est comprise entre 5 et 6,5%. Dans le premier département, le ratio de ces actes de délinquance/population du département est de 6,8%. Dans le Lot il n’est que de 2,9%, soit plus de deux fois moins. La Haute-Garonne représente 43% de la population de Midi-Pyrénées et 61% des délits de cette région.
Il est possible d’objecter que cette différence provient de la comparaison d’une grande agglomération avec un département très rural.
Comparons l’Ariège, qui a un taux d’immigrés supérieur à 8%, avec l’Aveyron dont ce taux est entre 3,5 et 5%. L’Aveyron est pourri d’éoliennes industrielles mais est un désert d’immigrés. On ne peut pas tout avoir. Le ratio de délinquance de l’Aveyron est de 2,3% et celui de l’Ariège de 3,5%, soit 50% de plus.
Jean Yves Le Gallou (1) a rappelé, dans Boulevard Voltaire, qu’une étude de l’INHESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice) montre que sur les quatre départements de la Petite Couronne d’Ile-de-France, de 2007 à 2013, 76 meurtres ont été commis dans le 92 mais 204 dans le 93. Or, si les deux départements ont à peu près la même population, le 93 a trois fois plus d’immigrés que son voisin qui compte pourtant Aubervilliers dans ses rangs.
Les principes bafoués de Mucchielli
Ces calculs prouvent-ils la corrélation immigration/délinquance ? À nos yeux, subjectivement, ils la confirment. Cependant ils n’observent pas suffisamment les règles statistiques pour être retenus scientifiquement et rigoureusement en l’état.
En revanche, ils infirment ceux de Lepers qui ne respectent pas les propres principes de Muchielli :
« 1) On ne peut rien dire d’un chiffre si l’on ignore comment il a été fabriqué ; 2) Un seul chiffre ne saurait permettre de décrire ni mesurer un phénomène social complexe ; 3) Les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes, c’est nous qui les faisons parler ».
C’est pourtant ce qu’a fait Lepers.
Des chiffres officiels : un thermomètre à ne pas casser
Lepers et Mucchielli invoquent dans le reportage les méthodes d’enregistrement par la police des faits de délinquance qui seraient biaisées et contestables. Mais ces chiffres reflètent une telle réalité que les écarter aussi dédaigneusement et aussi rapidement revient à nier les faits et à casser le thermomètre pour ne pas soigner la fièvre.
Selon l’INSEE (2011), les étrangers représentent 6% de la population française mais 19% des détenus au 1er avril 2014 (2), selon le ministère de la Justice, soit un coefficient multiplicateur de plus de trois. Cela est confirmé par les statistiques semestrielles de la population prise en charge en milieu fermé qui annonce 15.310 étrangers sur 80.470 détenus au 1er avril 2014, soit 19%. Ce taux qui apparaissait déjà dans l’annuaire statistique de la justice en 2007 est constant depuis trente ans.
Dans son rapport 2014 le très officiel ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales) note que depuis 2008 la part des étrangers mis en cause pour des crimes et délits, hors délits routiers et infractions à la législation sur les étrangers, est passé de 15% en 2008 à 20% en 2013. Sur cette période, le nombre d’étrangers mis en cause pour vol avec violence a progressé de 75%, la part des étrangers dans les atteintes aux biens étant de 25,4% tandis que pour les vols sans violence, elle monte à 29,9%, et pour les vols à la tire, à 84,1%. C’est accablant. Pourquoi cette différence avec les chiffres précédents ? C’est que probablement ceux-ci, plus globaux, reprennent des délits plus spécifiquement autochtones comme les délits routiers.
Il convient de souligner que les immigrés et descendants d’immigrés représentent environ 19% de la population française. Par extension statistique, leur représentation au sein des prisons pourrait ainsi être estimée à environ 60% de la population carcérale.
Enfin, selon le rapport Larrivé de l’Assemblée nationale, « environ 40.000 détenus peuvent être considérés comme de religion ou de culture musulmane », soit 50% de la population carcérale alors que les musulmans ne représentent, selon les estimations, que 6% à 9% de la population. Bref, un coefficient multiplicateur de délinquance de plus de 5.
Cela fait probablement 60 à 70% d’étrangers et/ou d’immigrés d’origine dans les prisons : 50% de musulmans, plus environ 10 à 20% d’étrangers non musulmans venus d’Europe (Roms, notamment) ou de la partie non musulmane de l’Afrique. Cela fait au grand maximum 30.000 Français de souche en prison pour 80.000 détenus. S’il y a surpopulation carcérale, c’est bien l’immigration qui en est la cause.
Que l’on ne nous reproche pas d’utiliser des chiffres approximatifs. Ils le sont. Ils ne le seraient pas s’il n’existait pas un obscurantisme statistique des pouvoirs publics dénoncé de manière cinglante par Michèle Tribalat.
La responsabilité est reportée sur la police
Selon Lepers et Mucchielli, la vraie cause de la surpopulation carcérale réside dans le comportement de la police qui cible en priorité les immigrés. Au cours de l’entretien que Lepers a avec Claude Dilain, alors maire socialiste de Clichy- sous-Bois, celui-ci attribue clairement la responsabilité des émeutes de 2005 à la police qui avait poursuivi de malheureux jeunes gens qui ne faisaient rien mais qui s’enfuyaient. C’est le même maire qui, dans un autre reportage télévisuel, considérait comme une victoire et une revanche la reconstruction du gymnase incendié lors des événements. On peut s’interroger sur le sentiment de revanche des contribuables qui ont payé la dépense.
L’indifférence à l’égard des Français
Lepers nie le lien entre l’immigration et la délinquance. L’insécurité se résume à un sentiment irrationnel qui nourrit les peurs sans vraie cause de ces malheureux Français qui ne se « raisonnent » pas.
C’est écarter la réalité des incivilités et de l’irrespect. C’est oublier la crainte de toutes nos compatriotes qui rentrent chez elles le soir et doivent affronter des groupes de jeunes hommes encapuchonnés et hostiles et leur humiliation lorsqu’elles se font insulter si elles ne sont pas mariées et qu’elles vivent leur vie. C’est oublier la Place Arnaud-Bernard à Toulouse près de laquelle un Français qui klaxonnait parce qu’un véhicule bloquait la rue s’est fait assommer par une vingtaine de courageux individus. C’est oublier les coups de couteau pour ne pas avoir baissé les yeux. C’est oublier l’arrogance avec laquelle deux petites frappes parlent dans le reportage au maire de Montbéliard ou aux policiers d’Oyonnax. Ce sont des millions de nos compatriotes qui vivent un calvaire quotidien dans la plus grande indifférence des gouvernants de notre pays qui s’isolent chaque soir dans leurs citadelles des arrondissements parisiens et bourgeois.
Conclusion
C’est à l’aide d’une méthode discutable, avec l’appui d’un chercheur qui est aussi un militant et d’une manière condescendante que Lepers ravale le lien entre l’immigration et la délinquance à un préjugé. Nous inclinons à penser, quant à nous, qu’il existe des réalités et des faits et que ce sentiment relève plutôt du postjugé.
André Posokhow
20/01/2015
Notes
- Immigration et délinquance : bobard d’État sur France 2
- Direction de l’administration pénitentiaire, n°137, Bureau des études et de la prospective, statistiques trimestrielles de la population prise en charge en milieu fermé (PDF)
- Demandes d’asile. Des données inquiétantes pour 2021 - 1 février 2022
- Expulsions de clandestins en baisse : Covid et manque de fermeté politique - 26 janvier 2022
- Naturalisations : la machine à fabriquer des Français administratifs tourne à plein régime ! - 22 janvier 2022