Propos recueillis par Camille Galic pour Présent du 18 janvier 2022 ♦ Dans Les Lumières et leur « homme rétréci » puis Du temps des Lumières à Napoléon (éd. Dominique Martin Morin), le professeur Xavier Martin, grand spécialiste de cette période, a récemment évoqué l’héritage laissé par les esprits « éclairés ». Pilier de la Fondation Polémia, auteur de La Superclasse mondiale contre les peuples et de La Nouvelle Guerre des mondes (éditions Via Romana), Michel Geoffroy, lui, annonce carrément Le Crépuscule des Lumières.
Le progressisme sociétal conduit à l’effondrement de notre civilisation
Camille Galic : Quel rapport entre les philosophes du XVIIIème siècle et la superclasse mondiale ?
Michel Geoffroy : Le progressisme hérité des Lumières est l’idéologie de la superclasse mondiale, dans sa version libérale, libertaire et mondialiste. Ainsi Emmanuel Macron, qui se prétend progressiste, déclarait le 27 décembre 2020 , pour justifier sa politique sanitaire : « Nous sommes le pays des Lumières et de Pasteur : la raison et la science doivent nous guider. » C’est tout dire !
Michel Geoffroy : Comme les philosophes des Lumières, l’oligarchie croit au despotisme éclairé, qui a le droit de faire le bonheur des gens malgré eux, au prétexte qu’il incarnerait la science et la raison. Mais en réalité sa prétendue raison ne correspond qu’à l’état limité des sciences du XVIIIème siècle : une mécanique simpliste de la société et un matérialisme. C’est pourquoi les progressistes sont des gens dangereux, comme ils l’ont prouvé maintes fois dans l’histoire : ils prétendent bâtir le paradis terrestre, qu’il se nomme « société sans classes », « libération des mœurs » ou « gouvernement mondial ». Ils se prennent pour des dieux — la référence aux Lumières emprunte à l’évidence à l’illumination religieuse mais en la détournant— mais ils finissent toujours par se comporter en démons. Pour cette raison, le siècle progressiste, ce qui a vu le triomphe de l’idéologie de la gauche, le XXème siècle, a été le siècle des pires guerres mondiales, des guerres civiles et des génocides. Et le nouveau progressisme sociétal du XXIème siècle est en train de conduire à l’effondrement de notre civilisation .
Camille Galic : Vous affirmez : « le chaos migratoire qui menace la survie de notre civilisation trouve son origine dans les Lumières ». Constatation, ou provocation ?
Michel Geoffroy : Non : réalité historique ! Les Européens ont affirmé au XVIIIème siècle les droits de l’homme : l’idée, d’essence chrétienne en réalité, que l’homme était un être libre et responsable par essence et que l’Etat devait respecter cette nature. Les droits de l’homme devaient donc garantir la liberté des sociétaires et c’est ainsi que beaucoup l’ont compris. Mais dès le départ cette affirmation repose sur une ambigüité : parle-t-on des droits des citoyens — donc des hommes enracinés dans un ordre politique concret — ou bien de l’homme comme abstraction philosophique ?
Au XXIème siècle, sous les coups du mondialisme et du libéralisme, c’est la seconde acception qui va s’imposer : on a oublié le citoyen — puisqu’on veut détruire les nations — et on ne parle plus que de l’homme en général. Tout homme est donc désormais réputé jouir des mêmes « droits », y compris celui de s’installer où bon lui semble. Le gouvernement des juges se fonde sur cette conception extrémiste pour donner aux étrangers les mêmes droits que les citoyens, voire des droits supérieurs. Ce qui ouvre bien la voie au chaos migratoire.
Progressisme : une idéologie totalitaire et violente – Michel Geoffroy [Forum de la Dissidence 2021]
Camille Galic : Attribuez-vous aussi aux Lumières la réduction de nos contemporains à des « adolescents » incapables de penser et de se conduire en adultes ?
Michel Geoffroy : L’idéologie des Lumières repose sur un individualisme méthodologique radical. Pour les progressistes, seuls existent les individus et ils ne voient la société, comme le marché, que comme une agrégation instable de désirs égoïstes et changeants. Les hommes des Lumières ont en outre inventé la délégation de la souveraineté, fiction rousseauiste par laquelle l’individu abandonne sa liberté au profit de la Loi et de l’Etat censés la lui rendre en retour. En supprimant tous les corps intermédiaires, la révolution des Lumières a en réalité laissé l’individu sans défense face à un pouvoir d’Etat sans cesse croissant et intrusif. Comme en déconstruisant toutes les protections sociales, le libéralisme mondialiste laisse le salarié sans défense face à la toute puissance des grandes entreprises mondialisées.
Camille Galic : Au passif des Lumières, vous inscrivez également « la haine » des oligarques qui « méprisent le peuple et s’acharnent à détruire tout ce qui faisait sens pour lui, notamment les traditions, la religion, la morale, la famille, la nation et les valeurs viriles ». Pourquoi ce prurit de déconstruction ?
Michel Geoffroy : A l’origine de la révolution politique des Lumières il y a le tiers état bourgeois qui veut prendre la place de la noblesse, y compris au prix de la destruction de l’ordre ancien. Toute révolution progressiste est d’abord « un déplacement de servitude » comme l’écrivait Gustave Le Bon.
Aujourd’hui la superclasse mondiale veut détruire les Etats car elle entend exercer la souveraineté à la place des peuples. C’est le sens réel de l’appel au « gouvernement mondial » qui ne serait que la dictature des grandes entreprises et des grandes banques mondiales. Une dictature dont la folie sanitaire et « vaccinale » actuelle nous donne un avant-gout…
Les hommes des Lumières ne peuvent s’empêcher de faire violence à la société parce qu’ils refusent de reconnaître qu’il puisse exister une nature humaine, voire une réalité extérieure à la volonté humaine. Par conséquent, tout projet progressiste suppose de se heurter à l’existant et donc de révolutionner l’ordre des choses, c’est-à-dire de le détruire par la violence ou la contrainte d’Etat. Les hommes des Lumières n’ont jamais rien compris au rôle positif des traditions .
Camille Galic : Le dogme actuel de l’état de droit est-il réellement une arme contre les peuples ?
Michel Geoffroy : Ce que l’on nomme état de droit en novlangue désigne en réalité le gouvernement des juges. C’est-à-dire la suprématie de juges cooptés et irresponsables, sur les législateurs élus par le peuple. Il s’agit d’une régression par rapport aux promesses de la révolution française qui avait fait des juges non pas un pouvoir comme sous la monarchie déclinante mais une simple autorité. Or, la crise sanitaire a montré les limites de ce prétendu Etat de droit, censé protéger nos droits « inaliénables » : tant le Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel ou les juges européens, d’habitude si chatouilleux quant aux « droits » des migrants, ont totalement validé l’avalanche de mesures liberticides prises par les gouvernements ! Le gouvernement des juges ne nous protège pas, il sert à imposer l’idéologie mondialiste aux législateurs et aux peuples.
Des Lumières à la nuit occidentale
Camille Galic : En quoi les Lumières sont–elles en voie d’extinction ?
Michel Geoffroy : D’abord parce qu’après l’échec du communisme au XXème siècle, nous sommes en train de vivre l’échec du progressisme libéral/libertaire et mondialiste, à son tour impuissant à réaliser ses promesses, comme toutes les révolutions « éclairées » précédentes.
Le nouveau progressisme débouche en outre sur la nuit occidentale. Car il correspond à des valeurs devenues folles (woke, culture de mort, décolonialisme, haine de soi) s’attaquant à la civilisation même qui a inventé les Lumières. C’est la fin du cycle de déconstruction car il se détruit lui-même : toute révolution finit par dévorer ses enfants.
Enfin, depuis le XXème siècle, les sciences ne cessent de contredire les postulats matérialistes et mécanistes du progressisme. Comme les sciences du vivant contredisent l’anthropologie sur laquelle reposent les Lumières. C’est une révolution silencieuse mais bien profonde qui ébranle tout l’édifice progressiste.
Le fameux culte de la raison se réduit à la raison raisonnante des intellos qui tourne à vide sur elle-même et qui se coupe de la réalité . « Commençons donc par écarter tous les faits, car ils ne touchent point à la question » écrivait Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’inégalité ! Enfermé dans la virtualité, le progressisme s’épuise et ne séduit plus les peuples.
Entretien avec Camille Galic pour Présent
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