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Mes vacances au Bélarus

Mes vacances au Bélarus

par | 31 mars 2014 | Société

Mes vacances au Bélarus

Passer ses vacances au Bélarus, quelle idée ! Mais venons-en au fait : où est–ce vraiment ? Le Bélarus est difficile à situer avec précision sur une carte, à moins de posséder un Atlas géographique d’une édition récente ; c’est un pays d’Europe orientale sans accès à la mer, bordé à l’ouest par la Pologne, au nord par la Lettonie et la Lituanie, à l’est par la Russie et au sud par l’Ukraine. C’est tout simple ! Son nom a connu plusieurs variantes : appelée Russie blanche ou Ruthénie blanche dans les Atlas du début du XXe siècle, puis Biélorussie pendant toute la période soviétique, cette ancienne République socialiste soviétique depuis 1918, indépendante depuis la dissolution de l’URSS en 1990, est maintenant mieux connue sous le nom de Bélarus. Cette vaste plaine couverte pour un tiers de forêts a vu passer Napoléon et ses grognards qui, sur le chemin du retour, ont connu un des épisodes les plus éprouvants de la campagne de Russie, le passage de la Bérézina (novembre 1812). Depuis, le pays a terriblement souffert de la dernière guerre, notamment lors de l’offensive allemande de juillet 1941 et de l’offensive russe durant l’été 1944. Notre contributeur, Frédéric Malaval, nous a remis ses souvenirs d’un voyage pittoresque dans des contrées qui méritent d’être visitées. Polémia

Quand on désire connaître la météo de Saint-Pétersbourg via Google, il faut chercher la ville en Asie. Dans la vision US, l’Asie commencerait donc à un peu plus de 1000 km à vol d’oiseau de la frontière française. Selon Google, la Russie est désormais reléguée en Asie ; l’Oblast de Kaliningrad au bord de la mer Baltique aussi. En revanche, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, l’Ukraine et le Bélarus sont toujours rangés en Europe. Il est vrai que les trois ex-républiques soviétiques baltes sont bien ancrées dans le « monde libre » maintenant, car membres de l’Otan et de l’Union européenne. Pour l’Ukraine c’est en train de se jouer actuellement. La Crimée restera sans doute en Asie. Enfin, même dénué de toute logique géopolitique, on comprend bien que la future cible est le Bélarus. Aussi, avant que « Die große Propaganda » s’emballe, je voudrais livrer un témoignage sur ce que j’ai ressenti dans ce pays pendant l’été 2012. Ces lignes ont été écrites dans la foulée de ce séjour; sans intention de les publier alors, car je suis loin de mes eaux territoriales en abordant ce sujet.

Ainsi, l’été 2012, alors que la majorité des vacanciers allait vers le Sud, j’ai opté pour le Bélarus, l’ancienne Biélorussie. Plus particulièrement Rogachev, Bobruisk, Minsk et Vitebsk. En réalité, j’y suis allé pour évaluer l’opportunité de monter un bizenesse.

Sincèrement, je m’attendais à visiter le Stalingrad de février 1943.

Quelques années auparavant, j’avais envisagé d’aller à Saint-Pétersbourg par le train. Pour voir. L’agent de la SNCF m’avait garanti qu’il pouvait m’amener jusqu’en Pologne, mais qu’après il ne garantissait rien. La Biélorussie m’était alors apparue comme un immense no man’s land. Finalement, j’étais allé à Péter par avion, en passant par Helsinki.

Il est difficile d’avoir une image positive du Bélarus. L’appareil médiatique français affirme régulièrement que c’est une tyrannie, que les gens souffrent, etc. Difficile d’échapper à cette litanie. De plus, rares sont les personnes capables de situer sans hésiter ce pays sur une carte. Pourtant sa superficie est d’environ un bon tiers de celle de la partie européenne de la République française, pour une population équivalente à celle de la Belgique. Avant d’y aller, j’étais à tel point méfiant que j’avais prévu une issue de secours par la Pologne.

J’y suis arrivé dans un 4×4 Chevrolet Niva immatriculé en Russie, en passant par Novgorod. Entre ces deux pays, pas de frontière. C’est comme dans l’Union européenne. On ne voit ni douaniers, ni policiers. Surprise : le paysage change aussitôt. Alors que l’immensité de la Russie fait que les belles routes à l’européenne sont rares, au Bélarus les routes sont impeccables, les bordures tondues, les champs cultivés, les forêts traversées sont parsemées de panneaux invitant à respecter la nature. Donc pas de cacadromes ni de ces jolies décharges sauvages associant papier-toilette usagé et déchets plastiques durables qui s’égaillent sur nos routes de France. C’est propre. Mon premier sentiment fut que je me retrouvais en Suisse dans les années 1960-70, quand, enfant, nous passions l’été régulièrement aux Gets, en Haute-Savoie. Plusieurs faits marquants sont ainsi durablement imprimés dans mon cerveau. Par exemple, j’ai vu des automobilistes s’arrêter sur une route à 4 voies pour laisser passer des piétons sur un passage protégé. Véridique. La première fois, je ne l’ai pas fait. J’avais pris ces marques sur la chaussée et ces groupes le long de la route pour des éléments de décor. Je ne m’étais pas arrêté. Mais, bon, j’avais une plaque russe… Donc ils n’ont pas rouspété après un Français. Puis, devant faire le plein (moins cher qu’en Russie), j’ai demandé un gant pour me protéger les mains. La préposée m’en donna tout en signalant qu’ « Ici, nos pompes sont propres ». Et c’est vrai. La Suisse, j’vous dis.

Finalement, arrivée à Rogachev par un beau jour ensoleillé. Première visitée, la ville est modeste, mais les habitants paraissent heureux. Les mamans s’occupent de leurs enfants. Plusieurs éléments accrochent le regard. Le premier, c’est l’omniprésence de la cigogne, en vrai et comme symbole. On les voit marcher derrière les tracteurs dans les champs pour attraper ce qu’ils extraient. Ces charmants volatiles nichent même au cœur de la ville. Pour l’écolo que je suis, la cigogne est considérée comme un bon indicateur écologique. Donc, c’est propre. Effectivement cela ne sent pas mauvais. Ayant passé en une autre occasion un mois en Russie loin de toute urbanisation, j’ai, depuis, un odorat très sensible. Là-bas, difficile de détecter des produits chimiques dans l’air. Il est vrai qu’une partie de leur territoire est condamné depuis l’accident nucléaire de Tchernobyl (1986). Ils savent ce qu’est une catastrophe industrielle, radioactive de surcroît. Une affiche rappelant que 10% (?) du territoire biélorusse est condamné depuis – et pour longtemps – est posée à côté du guichet où l’on retire son visa à l’ambassade à Paris. On sent une sensibilité à la nature bien plus forte que chez nous. Les panneaux invitant à respecter les animaux dans les forêts sont autant de manifestations de cette posture écologique. Cela ne les empêche pas cependant de faire un peu de « bizenesse » avec la chasse d’animaux que l’on ne trouve plus chez nous, comme les ours, les loups ou les élans. Mais bon… Pas de jugement. Les chasseurs viennent majoritairement de l’Ouest.

Autre fait marquant : les monuments à la gloire des héros de 1941-45. Les T-34 trônant au milieu de parcs sont soigneusement astiqués. Ils paraissent plus neufs qu’à leur sortie d’usine. Et il y en a partout. Les monuments aux héros sont tout aussi soignés. De belles photos N&B rappellent aux passants les visages de ces soldats tués en se battant pour l’URSS. Enfin, les statues de Lénine sont dans le même état, propres et brillantes. Mais, à côté on trouvera systématiquement Marie et Jésus. Eux aussi impeccables. Pas besoin de faire beaucoup de kilomètres si l’on vénère à la fois Lénine et Jésus : quelques dizaines de mètres suffisent pour vivre cet œcuménisme. Parfois on les trouve ensemble sur le même panneau. Bon, c’est vrai qu’ils sont issus de la même matrice.

Une visite au musée de Rogachev permet de saisir combien ces endroits furent imprégnés de judaïsme. A son apogée, 70% de la population de la ville était juive. Une immense salle du musée leur est consacrée. Sans même que vous posiez de questions, après vous avoir exposé comment ils vivaient, le guide affirme simplement qu’ils sont partis depuis. Les trois zones mentionnées sont les Amériques, l’Europe de l’Ouest et Israël. Pourtant des statues leur sont dressées. Il en est ainsi dans la ville de Bobruisk où en plusieurs endroits un castor habillé en bourgeois vous salue et montre avec ostentation qu’on est « bien » en Biélorussie. Peut-être pas comme Dieu en France, mais pas loin. A peine quelques pas dans la ville et vous êtes invité à contempler ces statues dont une se trouve juste devant les locaux où se tiennent les foires commerciales locales. Rogachev c’est aussi le lieu où est produit le meilleur lait concentré de toute l’ex-URSS. C’est vrai qu’il est bon. Le packaging n’a pas dû changer depuis l’époque soviétique. Pour ceux qui aiment le look vintage tendance Brejnev, c’est top.

Deux jours à Bobruisk pour visiter des usines – ils sont très ponctuels – puis départ vers Minsk, par une magnifique route à quatre voies gratuite. Toutes les autoroutes sont gratuites en Biélorussie, sauf celles menant vers les États baltes, membres de l’Union européenne.

Minsk. Là c’est le choc. Une ville d’une propreté surprenante. Des gens bien habillés. De la circulation, mais sans embouteillages comme à Paris, Moscou ou St-Pétersbourg. Des voitures récentes. Des pistes cyclables. Des magasins. Des bâtiments bien entretenus et immaculés. Pas d’agressivité. Pourtant la ville n’a cessé d’être détruite, ces territoires au centre de l’Europe étant le lieu privilégié où se rencontraient Russes, Polonais, Allemands, Suédois, Français, Autrichiens, etc. C’est un peu le Péloponèse ici. Les monuments historiques sont assez rares. De-ci de-là, un obélisque rappelle telle ou telle bataille. Pas de publicités tapageuses non plus. Encore moins d’anorexiques obscènes pour vous faire bouffer de la chimie, mais de jolies stèles issues du réalisme soviétique montrant de virils soldats et de plantureuses travailleuses. Faucilles et marteaux entretiennent la nostalgie de l’URSS. Des statues classiques évoquent tel ou tel aspect de l’histoire du territoire. On trouve quand même MacDo et Coca. Une précaution, peut-être !

Autre surprise : pas un immigré. Autant à Rogachev, puis Bobruisk cela paraissait normal, autant à Minsk ce fut la surprise. Que des Européens ! La seule personne que j’ai vue à l’apparence singulière était une jeune Rom accompagnée d’amies de son âge. Elle paraissait parfaitement intégrée. Propre, bien habillée, souriante et jolie, elle s’amusait bien dans ce restaurant à l’ambiance « jeune » du centre de Minsk. Déjà, à Péter, les immigrés ne sont pas nombreux, mais l’héritage impérial fait que vous croisez des Turcs et des Asiatiques. En revanche, très peu d’Africains ou d’Arabes. Cela fait très drôle quand on vient de France. On est même un peu inquiet, confronté à la blancheur de la population – et rassuré quand on voit des Africains déambuler en groupes dans la rue. Une fois, alors que je donnais un cours à l’Université, il y avait un Africain parmi les étudiants. J’étais content. J’ai toutefois eu beaucoup de mal à admettre qu’il ne parlait pas français. Je m’adressais à lui dans ma langue. Comme réponse j’avais ses grands yeux remplis d’incompréhension. Donc à Péter on en voit. Pas beaucoup, certes, mais quand même. En revanche, au Bélarus, c’est absolument white white. On se croirait dans une réserve. Remarquez, quand on s’appelle le Bélarus, c’est difficile de faire autrement : Bélarus signifie Russie blanche. Pourquoi ? Parce que ce sont des zones ayant échappé à la domination mongole des XIII-XVIe siècle ap JC, contrairement au reste de la Russie européenne. À plusieurs reprises, j’ai entendu à Péter que le type français y est très répandu car beaucoup de soldats de la Grande Armée, fatigués de combattre, auraient opté pour une installation sur ces terres en 1812. À vérifier… Rappelons que le pouvoir russe a toujours cherché à installer des paysans de l’Ouest. Il y a(vait) bien les Allemands de la Volga, pourquoi pas les Français du Dniepr ?

Balade dans la ville. Nickel. J’ai vu un clochard qui se lavait les cheveux dans un petit étang à proximité d’une église. J’ai la photo. Même leurs clochards sont propres. Pas un brin d’herbe qui dépasse et toujours l’alternance de faucilles et de marteaux, d’une part, et d’icônes, d’autre part. Pas loin de l’ambassade de France s’impose une agence de la BelSwiss Bank avec le drapeau de la Confédération helvétique comme emblème. J’ai les photos. Le soir à Minsk à l’hôtel: télé. Film très intéressant pris en cours de massacres. Pendant plus de 3/4 d’heure j’ai assisté à la torture de voyous par d’autres voyous, et réciproquement. Le tout dans une ambiance hémoglobine à faire passer Quentin Tarantino pour un scénariste de la Walt Disney Company. La dernière scène du film est belle : les deux voyous rescapés, habillés en respectables « bizinessemannes », sont dans de magnifiques bureaux avec une vue imprenable sur le Kremlin de Moscou ; une secrétaire, ayant sûrement plein de qualités mais pas forcément celles pour taper des lettres, sort de la salle, la main d’un des voyous collée à ses fesses ; l’autre, assis comme un cow-boy sur son bureau, les pieds sur le fauteuil, contemple le Kremlin de son regard de prédateur. Faut-il expliquer le message du film ? Bienheureux les Biélorusses ayant échappé aux joie de l’économie libre de l’ère Eltsine.

Comme marque de leur particularisme, j’ai entendu à Minsk, dans une foire aux livres, un aborigène refusant de dialoguer en russe et optant résolument pour le biélorusse, idiome proche du polonais. Mais sans animosité. C’est loin d’être comme en Catalogne espagnole où souvent, après vous être adressé à des autochtones en castillan, on vous répond en français, l’air pas gentil – ou alors on fait semblant de ne pas comprendre. Au Bélarus, même avec une plaque russe, habillé en Russe, aucune animosité ne s’est manifestée à mon égard. Bon c’est vrai que j’aurais l’air d’un Français pur jus, même de loin. J’ai simplement fait l’objet d’un seul coup de klaxon alors que je conduisais ma voiture russe. Or, on ne klaxonne jamais à Minsk. Nous avons donc quitté cette ville dans le silence le plus total. Cap sur Vitebsk.

On n’évoquera pas la nuit passée dans un relais de chasse avant d’y arriver. Proche de la frontière russe, on sentait bien que, si la situation devait exploser, c’est là que cela se ferait. Tout est dans un état de quasi-abandon, un peu comme côté russe à la frontière, au nord, avec la Finlande. Grand contraste avec les villes « européennes » visitées auparavant : le lit était cassé ; en me brossant les dents, j’ai failli me prendre le lavabo sur les pieds. Pourtant de nombreux hommes habitent l’endroit : un coup de tournevis de temps en temps ne serait pas du luxe. Ils sont toutefois contents de vivre là, conscients que la situation de leurs homologues côté russe est plus difficile. Ce fut le souvenir contrasté du voyage. Passons.

Vitebsk, c’est la ville de Chagall. C’est à Vitebsk aussi qu’une cathédrale surplombant la ville a été inaugurée en 2010. Nos dirigeants inaugurent des mosquées, les leurs inaugurent des cathédrales. Là encore, c’est propre.

D’autres souvenirs resteront figés dans ma mémoire, nombreux. Une analyse politique en est issue mais, comme cela est en dehors de mes eaux territoriales, je la garde pour moi. Une idée s’impose toutefois : il y a un modèle biélorusse. Le comprendre serait intéressant. J’invite les curieux à aller voir par eux-mêmes. En attendant, on pourrait inviter Loukachenko discourir à Science-Po (*). Cela créerait un peu d’animation au milieu de tous ces enseignants américanolâtres. Leur idole c’est Obama, pas Loukachenko.

Retour à Paris. À Roissy-CDG, à peine la douane franchie, trois militaires armés, dont un Africain, épient les voyageurs l’air suspicieux, le doigt crispé sur la détente de leurs FAMAS que j’espère vides. Quel contraste avec le sourire débonnaire des rares policiers biélorusses que j’ai croisés !

Frédéric Malaval
24/03/2014

 (*) Finalement, ce n’est pas une bonne idée. Il y aurait trop de risques que les étudiants, forcément idéalistes, fassent de « Vive la tyrannie biélorusse ! » leur cri de ralliement. Trop dangereux.

Frédéric Malaval

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