Relayée par l’Observatoire du journalisme, la vigilance de Polémia quant aux dérives médiatiques commence à porter ses fruits, au sein même de la profession. En témoigne, après plusieurs autres, le livre de Jean-Jacques Cros, pourtant un homme du sérail : grand reporter (à France 3 notamment), il a en effet enseigné à Sciences Po et dans de nombreuses écoles de journalisme. C.L.
Fin juin 2013, cinq jeunes gens étaient poignardés à mort, du Val-d’Oise aux Alpes-Maritimes, lors de rixes entre bandes rivales. Qui s’en est ému parmi les journalistes qui avaient précédemment consacré force reportages lacrymatoires (1) à l’ « assassinat » du militant antifasciste Clément Méric par le skinhead Esteban lors d’une bagarre que le défunt et ses potes avaient pourtant eux-mêmes provoquée ainsi que l’ont montré les bandes vidéo et le témoignage du vigile de l’établissement où les « antifas » avaient commencé leurs provocations ?
Manipulation et mimétisme érigés en système
S’il fallait une preuve que l’information matraquée par les médias est une « grande illusion », cet exemple, entre mille, atteste que cette information relève trop souvent de la manipulation.
Certes, cet « effet manipulatoire » a toujours été dans la nature du journalisme, estime Jean-Jacques Cros mais, ajoute-t-il, il s’est considérablement aggravé au cours des dernières décennies, surtout du fait de contraintes économiques. Se livrant une concurrence insensée alors que leur situation financière est fragilisée par la raréfaction de la manne publicitaire due à la crise, confrontés à l’irruption d’Internet qui les prive non seulement de public mais aussi de ressources publicitaires, la grande presse et les grands médias audiovisuels – où la concentration fait rage – n’auraient plus le temps ni les moyens de procéder à des recherches approfondies, en commençant par celles de sources fiables, ni à des approches originales de tel ou tel sujet. Le « mimétisme » règne en maître… aux dépens du plus élémentaire pluralisme.
L’exaltation des marginaux : la preuve par les Femen
Toutefois, « une recette marche à tous les coups pour obtenir ou conserver l’audience à son plus fort niveau : jouer sur les émotions et même les pulsions des gens qui les regardent ». Aussi, « pour séduire les “consommateurs de médias”, les rédactions utilisent (certaines consciemment, d’autres spontanément) des méthodes qui ont fait leurs preuves, même si elles sont déontologiquement contestables et provoquent un malaise perceptible dans le public ».
« Cette attirance pour le sensationnel, déplore notre confrère, va favoriser le marginal ou le minoritaire. Pour passer dans les médias, plus besoin d’être nombreux, d’être représentatifs ou d’être légitimes. Il suffira qu’un petit groupe donne en pâture aux journalistes quelques images fortes, quelques opérations spectaculaires pour avoir une place dans les médias sans commune mesure avec sa représentativité. Avec l’effet de loupe des médias, les minorités agissantes […] acquerront une légitimité qui leur permettra de parler d’égal à égal avec les institutions. »
Difficile de récuser ce constat désabusé à l’heure où le chef de l’Etat profite du 14-Juillet pour présenter officiellement un nouveau timbre dont la Marianne est inspirée du visage de… la Femen en chef, Inna Shevchenko, de surcroît ukrainienne ! Laquelle, dès le lendemain, remerciait le président Hollande (et les Français dont elle ignore superbement la langue bien qu’elle ait sollicité et obtenu chez nous le statut de réfugiée politique) en ces termes élégants : « Femen is on French stamp. Now all homophobes, extremists, fascists will have to lick my ass when they want to send a letter » (Femen est sur un timbre français. Maintenant, tous les homophobes, extrémistes, fascistes, devront lécher mon c… quand ils voudront envoyer une lettre – cf. le compte twitter.com/Femen_France).
Médias en servitude
Catastrophique en soi pour l’image de notre pays à l’étranger, l’affaire a du moins le mérite de démontrer la collusion entre les médias, sans lesquels les Femen n’existeraient pas, et le pouvoir politique, auquel ils sont financièrement soumis. M. Cros rappelle utilement qu’aujourd’hui, au nom de la fameuse « exception culturelle » française, « l’Etat verse à l’ensemble de la presse écrite plus d’un milliard d’euros par an, ce qui représente environ 20% du chiffre d’affaires de ce secteur » ; peut-être pas pour l’éternité, d’ailleurs : le jour où Bruxelles « considérera que la presse est un secteur marchand comme un autre, la presse française sera obligée de quitter son cocon protecteur et beaucoup de journaux en mourront ».
Mais l’audiovisuel est tout aussi dépendant, qu’il soit public ou privé. Dans ce dernier cas, les groupes capitalistiques qui possèdent les grandes antennes (Bouygues, Bolloré, etc.) doivent, en effet, se concilier les bonnes grâces de l’exécutif pour obtenir les « contrats du siècle », l’augmentation de leurs fréquences… ou simplement éviter le harcèlement fiscal. Ils ont donc tout intérêt à marcher droit sur le sentier très balisé du Polit’Correkt, fût-ce au mépris de la vérité ou de l’objectivité. Et il en va d’ailleurs de même d’Internet où les sites d’information (Slate, Rue89, Mediapart…) qui se targuent d’une indépendance totale, sont eux aussi subventionnés, comme le soulignait il y a deux ans la brochure Les médias en servitude, éditée par Polémia (2).
On aimerait parfois que Jean-Jacques Cros soit plus incisif, qu’il livre le nom des responsables quand il relate des scandales particulièrement patents, qu’il se montre plus sévère envers les nouvelles générations de journalistes auxquels une inculture crasse et le conformisme (merci l’Éducation nationale pour ce formatage si réussi !) tiennent trop souvent lieu de déontologie. Il n’empêche que son essai, qui ne se veut pas un pamphlet, aurait fait l’effet d’un pavé dans la mare dans les milieux concernés.
Quant à savoir si ceux-ci vont tenir compte de l’avertissement et respecter davantage le public (et la simple réalité), on se gardera de toute… grande illusion. Déjà, à la suite du courageux Robert Ménard, plusieurs journalistes ont mis les pieds dans le plat. Parmi eux, Paul-François Paoli, auteur de Pour en finir avec l’idéologie antiraciste (3), Francis Puyalte, auteur de L’Inquisition médiatique (4) ou encore Jean Stern à qui l’on doit Les patrons de presse, tous mauvais (5). Mais, jusqu’à présent, ces réquisitoires n’ont guère été couronnés de succès.
Claude Lorne
19/07/2013
Jean-Jacques Cros, Médias, la grande illusion, Jean Claude Gawsewitch Editeur, Paris 2013, 247 pages (sans index).
Notes
1. L’affaire Méric II : les remous d’une imposture
2. « Les médias en servitude »
3.« Pour en finir avec l’idéologie antiraciste » de Paul François Paoli
4. « L’inquisition médiatique » de Francis Puyalte
5. « Les patrons de la presse nationale / Tous mauvais » de Jean Stern