Par Pierre Boisguilbert ♦ C’est une drôle de conception de la défense de la liberté de la presse que d’obliger une chaîne d’information de fermer. Le pluralisme n’est plus depuis longtemps un gage de démocratie médiatique. Il s’agirait en fait de lutter contre la désinformation et le complotisme pro-Poutine en empêchant un média étranger et prétendument mensonger de diffuser de la propagande.
On peut donc fermer les frontières médiatiques contre certains virus. Quand on veut tuer son chien… Tout cela, bien sûr, au nom du respect de la vérité informative. La vérité, c’est la traduction de la Pravda, journal plus que dominant de l’ère soviétique, considéré par nombre de nos intellectuels comme une référence ou une source d’information. Au nom de la vérité idéologique, la Pravda mentait quotidiennement et éliminait les médias dissidents. Nous n’en sommes pas loin avec la censure d’une chaîne russe par assèchement de ses ressources financières. Plus facile que de priver le média de téléspectateurs. Car sans téléspectateurs pas de télé. Personne n’est obligé d’aller s’informer par la chaîne diabolique qui vient de l’est.
Il devient « impossible » pour la chaîne d’information russe en français de « poursuivre son activité dans les mêmes conditions qu’auparavant », a annoncé la présidente et directrice de l’information de RT France, Xenia Fedorova. La dirigeante a expliqué avoir reçu un courrier de sa banque l’informant que « tous les fonds présents sur le compte sont gelés à la demande de la direction générale du Trésor ». Sans argent, il devient impossible à RT (anciennement Russia Today) de régler les salaires de la centaine de salariés encore en poste, ainsi que les factures des prestataires techniques auxquels elle a recours. Accusés d’être des instruments de « désinformation » du Kremlin, les médias Sputnik et RT (y compris sa version francophone RT France) ont été interdits de diffusion dans l’Union européenne depuis le 2 mars 2022, à la télévision comme sur Internet, à la suite d’un accord des Vingt-Sept peu après le début du conflit en Ukraine. Saisie par RT France, la justice européenne avait confirmé cette décision en juillet. Selon l’AFP, Moscou a promis de prendre des mesures de rétorsion contre les médias français en Russie. « Elles resteront dans les mémoires si les autorités françaises ne cessent pas de terroriser les journalistes russes », a averti une source au sein de la diplomatie russe, citée par les agences de presse russes RIA Novosti et Tass. C’est certes excessif mais cela montre bien la dégradation des relations entre Paris et Moscou.
On peut s’étonner que le pays de toutes les libertés, sauf de celles qui la gênent, n’accepte pas un média étranger ayant une lecture différente et bien sûr orientée de l’information, notamment sur la guerre en Ukraine. La vérité officielle imposée au nom des valeurs démocratiques par une mélodie soviétique, c’est tout de même assez étrange. Il est vrai que RT France est une chaîne d’opinion qui prenait parfois quelques libertés. Mais c’était un moyen d’avoir un regard différent et des commentaires divergents et même dissidents. Apparemment, dans notre médiacratie, c’est insupportable. On notera tout de même que la volonté de censure est à géométrie variable. Personne n’annonce qu’on va toucher à Al Jazeera qui pourtant, dans la manipulation des faits par rapport à sa ligne idéologique, ne fait pas dans la dentelle. Mais, sans aller si loin, que dire du traitement de la guerre en Ukraine par LCI ? La propagande pro-Zelenski et anti-Poutine est permanente et parfois frôle, pour ne pas dire plus, la désinformation. Mais c’est dans le camp des gentils et cela ne choque personne, c’est approuvé et en plus ça fait de l’audience ; l’outrance médiatique, ça plaît. Le seul problème, c’est que RT était dans l’autre camp : celui des méchants qu’il faut faire taire.
La vérité ni la démocratie, pas plus que la liberté de la presse ni encore moins des opinions n’ont rien à voir dans cela. On interdit ce qui gêne car ça ne dit pas la même chose que la doxa dominante. C’est un précédent télévisuel dangereux ; la presse écrite des mauvaises opinions en a, elle, l’habitude.
On serait journaliste à CNews qu’on aurait quelques inquiétudes.
Pierre Boisguilbert
24/01/2023