Pour le juriste, les « choses » peuplant l’écosphère sont éligibles à trois catégories: res nullius, res communis, res propria.
Res, mot latin signifiant chose, s’oppose à la notion de personne. Pour Kant, une personne existe en soi par opposition à une chose dont l’existence dépend de l’action d’autrui. La Nature, dans une conception aristotélicienne, n’est ni chose ni personne. Ces interrogations sont au cœur de la pensée philosophique. Personne, chose, nature, culture, etc. ont nourri le discours philosophique depuis des lustres. Mais aujourd’hui, le contexte dans lequel s’inscrivent ces réflexions est radicalement différent de celui que connurent nos aïeux, rendant leurs propos parfois incompréhensibles pour des esprits neufs ou carrément dépassés pour nos contemporains visionnaires. Schématiquement, ils ont exercé dans un monde vide d’humains et peu artificialisé alors que nous sommes maintenant dans un monde surartificialisé et surpeuplé. Un seul chiffre pour valider ce constat : les avions commerciaux transportent 3 milliards de passagers par an, soit environ l’équivalent de la moitié de la population humaine, alors que, par nature, homo sapiens est incapable de voler.
Saisir les catégories utilisées par nos aïeux pour penser l’écosphère permet toutefois d’envisager de nouvelles conceptions pour penser un monde de demain radicalement différent.
Ainsi, res communis est une chose qui n’appartient à personne en particulier mais dont tous peuvent user. Il en est ainsi de l’air, de l’eau courante, voire de la chaleur du sous-sol. Res nullius, quant à elle, est une chose qui n’appartient encore à personne mais qu’il est possible de s’approprier sous réserve des lois en vigueur. S’il n’y a pas de loi, res nullius n’existe donc pas juridiquement. A partir du moment où elle est appropriée, elle devient res propria appartenant à un sujet de droit. Le sujet de droit est reconnu à qui a le statut de personne.
Depuis que la pensée juridique s’est développée, seules ces trois catégories l’ont animée. Le mouvement communiste, finalement, n’a fait que redonner à la catégorie res communis une prééminence que les révolutions bourgeoises avaient réduite à la portion congrue. Or, paradoxalement, ce mouvement a été marketé en un mouvement de progrès.
L’appropriation collective des moyens de production n’est donc pas la finalité utopique d’un progrès mais une organisation politique plurimillénaire. Sous cet angle, l’appropriation privée qui caractérise l’avènement de la Modernité depuis la romanisation de l’Europe jusqu’aux révolutions bourgeoises d’hier et d’aujourd’hui a créé une vraie rupture dont les historiens du futur analyseront la contribution à l’artificialisation de l’écosphère.
Mais force est d’admettre qu’à défaut de progrès, le communisme a été un mouvement réactionnaire dans la mesure où il s’est opposé à l’appropriation privée des biens communs organisant les sociétés depuis des temps ancestraux.
Vers la valeur écosystémique…
Envisager Marx comme un réactionnaire n’a comme but que de montrer que la suprématie relative de catégories juridiques ancestrales signe l’esprit d’une époque. A chaque période correspond une conception de l’homme et du monde. Ainsi, aux enclosures répondent la valeur-terre ; à la révolution industrielle, la valeur-travail ; au développement du commerce, la valeur d’échange ; à la saturation écologique…, la valeur écosystémique, objet des prochains articles.
Aujourd’hui, res propria domine. Tout est fait pour valoriser financièrement l’artificialisation de l’écosphère au détriment de fonctions et d’équilibres écosystémiques vitaux, donc de res nullius. Mais des mutations fondamentales laissent penser que ce dualisme bimillénaire se révélera obsolète à très court terme.
Cela oblige à créer d’autres catégories pour penser le monde et le gérer. Ainsi, la prochaine série d’articles reposera sur la notion de valeur écosystémique. Cette valeur écosystémique sera conçue comme une réponse à la nécessité d’intégrer le SurEnvironnement dans nos pratiques sociales; pivot d’une réflexion métapolitique rendue indispensable par les mutations que l’écosphère a connues depuis la moitié du XXe siècle.
Dit en termes plus concrets, il s’agit désormais de requalifier res nullius. On verra que cette valeur écosystémique permet, en subsumant la valeur-travail et la valeur d’échange, de penser res nullius comme l’ensemble des fonctions écosystémiques vitales, alors que le paradigme de la Modernité l’a identifié comme son SurEnvironnement fondamental. La conséquence est qu’aujourd’hui toute l’économie politique repose sur la valeur d’échange avec res propria comme pierre angulaire. Cela était peut-être pertinent dans une écosphère peuplée de quelques centaines de millions d’humains, mais aujourd’hui, l’artisphère atteint son climax.
La stabilité démographique des populations européennes ou asiatiques est le signe que nous avons atteint l’équilibre entre les aborigènes septentrionaux et leurs territoires. Comme nous l’avons exprimé dans d’autres articles, la population française de souche est stable depuis environ deux siècles. La croissance de la population vivant sur le territoire français européen est la conséquence de la sur-artificialisation de nos écosystèmes et de l’immigration allogène.
Aujourd’hui, seules les populations tropicales ou équatoriales participent à l’anarchie démographique, mais au risque que des guerres futures, épidémies ou famines – comme l’histoire le montre – lissent ces excès et résorbent brutalement ces migrations interclimatiques si la politique se révèle incapable de le faire par des transitions douces.
Aussi, le défi actuel n’est pas le statut de res propria ou de res communis, mais celui de res nullius que l’expansion de la civilisation industrielle menace jour après jour. Cette dernière participe au triomphe d’une posture anthropocentrée, pierre angulaire de la Modernité dans toutes ses manifestations religieuses ou profanes, alors qu’une attitude écocentrée s’impose désormais. C’est cette mutation anthropologique fondamentale que nous allons vivre sous peu. Marx aura alors été un des penseurs mesurant les mutations que l’ère moderne a réalisées entre les temps ancestraux et une écosphère à son climax.
Fin.
Frédéric Malaval
Mai 2015