Monseigneur Tony Anatrella vient de publier : « Mariage en tous genres » aux éditions l’Échelle de Jacob (146 pages, 16,50 euros) dans lequel, il a repris et considérablement développé les interviews diffusées dans Zenit de juin 2012 à mai 2013 au sujet de « la Manif pour tous » engagée contre le « mariage » homosexuel. Il a déjà publié de nombreux ouvrages sur la question ces dernières années et a été parmi les premiers auteurs a sensibiliser dès le début des années 1990 l’opinion publique sur cette question et sur celle de la théorie du genre : « Non à la société dépressive », « L’amour et le préservatif », « Époux, heureux époux » trois livres édités chez Flammarion. « Le règne de Narcisse », aux éditions les Presses de la Renaissance, « La tentation de Capoue », Biliothèque interuniversitaire Cujas ; et « Le gender/La controverse », Pierre Téqui éditeur. Mgr Tony Anatrella est psychanalyste et spécialiste en psychiatrie sociale, consulteur des Conseils pontificaux pour la famille et pour la santé, il enseigne et consulte également à Paris.
Zenit – Quel est le fil conducteur de votre nouveau livre « Mariage en tous genres » publié aux éditions l’Échelle de Jacob ?
J’ai voulu mettre en perspective les enjeux de la loi française permettant le « mariage » homosexuel qui fissure le cadre porteur de la société. Une loi qui entretient toujours une profonde division et une fracture sociale jusqu’au sein des familles. Le résultat négatif et prévisible lors des élections municipales en France est, pour une part, la conséquence du rejet par une majorité de français des lois sociétales qui dénaturent le sens du mariage et de la filiation. Il y a d’autres urgences et d’autres nécessités que de légaliser des comportements par une loi qui pervertit le langage pour élargir des caractéristiques qui ne concernent que l’union d’un homme et d’une femme.
Mais n’y avait-il pas à trouver un moyen pour que soient protégés par la loi ceux qui se trouvent dans ces situations ?
La loi protège déjà tous les citoyens. La France a également voté le Pacs (1999), un contrat civil – signé à 93% par des hommes et des femmes et très peu de personnes de même sexe -. Alors pourquoi, devant cet insuccès, fallait-il favoriser le « mariage » homosexuel ? L’enjeu est idéologique, même si ce type de mariage restera dans l’avenir une coquille vide. Il fallait surtout à travers cette manipulation politique égalitariste reconnaître légalement l’homosexualité. Or, ce n’est pas à la société de légitimer et d’organiser socialement le fonctionnement des orientations sexuelles, et encore moins en instrumentalisant le mariage. Si des cas particuliers existent, la loi civile ne peut pas organiser ce qui est et restera psychologiquement incohérent et moralement transgressif.
Quels sont les enjeux de cette loi ?
En réalité, Il y a au moins trois enjeux :
1. Si l’homosexualité a toujours existé, elle est toujours restée du domaine du privé et du particulier. Elle renvoie la personne à la façon dont elle organise inconsciemment les représentations mentales de ses pulsions sexuelles. C’est pourquoi d’ailleurs cette tendance singulière ne trouve pas son origine dans des influences génétiques, hormonales ou neurologiques. La plupart des hypothèses en ces domaines ont été invalidées. La dernière en date qui est actuellement soulignée dans des sessions organisées dans des diocèses auprès des animateurs en pastorale familiale, est d’affirmer qu’elle serait liée aux interactions hormonales de la période fœtale. Nous sommes toujours dans l’idée paradoxale de trouver une origine physiologique à l’homosexualité afin de prouver qu’elle est une tendance naturelle là, où en même temps, on dénie le sens de la différence sexuelle et de la famille naturelle.
2. Le législateur, en votant à marche forcée la loi du « mariage » pour tous, a voulu mettre de l’égalité là où elle n’existe pas. Encore faut-il savoir à partir de quel sexuel se fondent le couple et la famille ? Il a voulu attribuer à un duo de personnes de même sexe toutes les caractéristiques psychologiques et sociales du couple formé par un homme et une femme. Il s’agit d’un déplacement sémantique, d’un effet de langage et d’un mensonge social car nous sommes, comme je le décris dans le livre, en présence de deux structures affectives et sexuelles qui ne sont pas de même nature et ne sont pas comparables. Si nous sommes tous égaux en dignité et donc devant la loi civile, cela ne veut pas dire que toutes les situations sont égales ou encore sont d’égale valeur. Il est ainsi préférable et bénéfique pour un enfant d’être éduqué entre un homme et une femme.
On se refuse à réfléchir, à analyser et à discerner les structures et les enjeux des comportements humains en lien, entre autres, avec la complexité du développement de la sexualité humaine qui débouche parfois sur des singularités que beaucoup acceptent et assument sans avoir à faire le siège des responsables politiques pour être reconnus là où ils ne parviennent pas à se reconnaître eux-mêmes.
3. La loi civile a érigé l’identité de genre et les orientations sexuelles en normes référentes de la société. Elle est soutenue en ce sens par le Parlement européen de Strasbourg, la Cour européenne des droits de l’homme et les agences Onusiennes. Je l’ai souligné depuis de nombreuses années, on a voulu remplacer la différence sexuelle (de l’homme et de la femme) par la différence des sexualités en se basant sur la libération des pulsions partielles. Celles-ci sont les premières pulsions qui apparaissent dans la vie psychique de l’enfant qu’il va, dans un premier temps, vivre sur son corps avant qu’elles soient hiérarchisées dans sa psychologie génitale, s’il y parvient. Or, les orientations sexuelles sont la résultante de pulsions partielles quand elles sont recherchées pour elles-mêmes sur son propre corps, et quand elles sont en dehors de la dimension relationnelle de la sexualité s’inscrivant dans la psychologie génitale qui implique l’intégration de la différence sexuelle et achemine vers l’altérité des sexes.
Autrement dit, en rester aux orientations sexuelles, fixe les personnes sur le pulsionnel parfois à l’état brut comme on peut le constater dans le voyeurisme infantile de la pornographie. Voyeurisme qui fait partie des orientations sexuelles quand il n’est pas transformé en fonction supérieure.
Par contre, l’identité sexuelle de l’homme et de la femme, il n’y en a pas d’autres, est du côté de la structure masculine et féminine qui permet d’intégrer psychiquement le pulsionnel dans leur identité respective. Sinon, le pulsionnel libéré pour lui-même favorise des conduites et des pratiques de plus en plus incohérentes et psychologiquement déstructurantes comme on a pu le constater lors des ateliers du gender organisées à Sciences-Po Paris.
Le programme des ABCD de l’égalité diffusé, maintenant de façon masquée, dans certaines écoles françaises, s’appuie sur l’idéologie de l’égalité de genre et des orientations sexuelles. Dans ce contexte, on s’étonnera du climat de violence qui se développe avec une vision agressive de la sexualité souvent retournée contre soi. Il est dans la structure des orientations sexuelles recherchées pour elles-mêmes, puisqu’elles ne sont que pulsionnelles, d’être agressives, possessives et narcissiques et donc auto-centrées et auto-référencées uniquement à partir de soi puisque, situé de cette façon, le sujet n’accède pas vraiment au sens de l’altérité et du tiers. Il développe surtout un faux self.
Que penser du reportage du journal télévisé de France 2 où l’on mettait en valeur un enfant de cinq ans qui voulait changer de sexe et des cliniques américaines prêtes à répondre à cette demande ?
Il est classique de constater des hésitations identitaires pendant l’enfance et l’adolescence. La question est délicate car la plupart du temps cette attitude correspond au besoin de « jouer » à l’autre sexe pour mieux intégrer ses caractéristiques et les mettre en dialogue avec celles de son propre sexe. Il s’agit d’un mouvement que Freud a qualifié de « bisexualité psychique ». Cela ne veut pas dire que le sujet a les deux sexes en lui ou qu’il souhaiterait devenir l’autre sexe, même s’il l’affirme verbalement. Mais on peut assister à la naissance d’une « tendance » à partir de laquelle, il faudra accompagner psychologiquement et pédagogiquement l’enfant. Il serait hâtif et criminel comme le préconisait le Dr John Money dans les années 1950 (inventeur de la séparation du sexe biologique et du genre) de confirmer l’enfant en ce sens, voire de l’opérer et de le mutiler sexuellement. Ces situations singulières doivent être approchées avec beaucoup de délicatesse car se jouent ici, inconsciemment, les identifications précoces de l’enfant à l’égard du parent de l’autre sexe pour être comme lui ou encore pour chercher à correspondre au désir inconscient de son père ou de sa mère qui aurait préféré avoir une fille à la place d’un garçon et vice-versa. La vision américaine de la psychologie humaine n’est pas toujours très subtile. Elle est très positiviste, très pragmatique et colle à l’immédiat sans chercher à comprendre la signification subjective du refus de son corps sexué que l’enfant a à intégrer. Dans le cas précité, il s’agit du refus de son corps. Cette vision enchante le romantisme médiatique qui se plaît à la diffuser et, de ce fait, à nous tromper.
Vous dites que la loi du « mariage pour tous » n’a pas d’avenir. Comment est-ce possible ?
Les lois civiles ne sont pas intangibles. Une loi peut en remplacer une autre surtout lorsqu’elle est irréaliste et injuste puisqu’elle fausse le sens du mariage et de la famille. Dans la plupart des pays où cette loi est entrée en vigueur, les chiffres du « mariage » entre personnes de même sexe se sont effondrés pour devenir insignifiants. Pendant ce temps-là, on a quand même modifié le Code civil en redéfinissant le couple, le mariage, la famille et la filiation à partir des orientations sexuelles et de l’homosexualité en particulier. Ce qui est une aberration, c’est-à-dire une attitude en dehors des catégories de la raison et de la logique.
La question qui se pose ici est de s’interroger afin de savoir comment une orientation sexuelle peut être à l’origine d’Institutions sociales ? Comment peut-on en faire un système parmi d’autres ? L’homosexualité n’a jamais été un principe de différenciation sociale puisqu’elle relève d’abord d’une problématique psychique qui s’éloigne de la différence sexuelle qui, elle, dépendante du lien objectif de l’homme et de la femme, opère cette différenciation psychique et sociale, et encore davantage dans la filiation. Bien entendu, ce ne sont pas les personnes concernées qui sont en question, mais la volonté non pas d’ouvrir le mariage mais de le redéfinir à partir d’une sentimentalité particulière (et pourquoi pas à d’autres ?) alors que mariage n’est pas la reconnaissance des « sentiments » par la société, mais est et reste l’alliance des sexes. Bref, une loi qui n’est pas le signe d’un progrès de civilisation.
C’est pourquoi cette loi délétère n’a pas d’avenir. Les manifestations qui se poursuivent en France mobilisant de nombreux jeunes, contre elle et ses conséquences à travers les mères porteuses, la procréation médicalement assistée et la diffusion des concepts du genre à l’école et dans les entreprises, en sont le signe.
Le mariage pour tous a-t-il quelque chose à voir avec la théorie du genre et le Care ?
Sans aucun doute. La théorie du genre n’est pas une rumeur et ses concepts ne sont pas neutres. Elle existe. Je décris dans le livre ce que représentent les études des genres qui étaient au départ un mode d’analyse sociologique des relations entre les hommes et les femmes pour évaluer les inégalités entre-eux et de leur rôle. Mais très vite, sous l’influence de courants philosophiques français, du féminisme et des mouvements homosexuels, elle est devenue une idéologie comme l’ont montré divers auteurs. Cette idéologie est une mosaïque d’idées empruntées à tous ces courants de pensée qui détourne de nombreux concepts pour leur donner une autre signification en faveur de l’identité de genre et des orientations sexuelles comme par exemple la notion psychanalytique de « bisexualité psychique ». Une idéologie du genre qui a été systématisée en séparant l’identité sexuelle de l’orientation sexuelle : cette dernière serait plus vraie que la première alors qu’il n’y a que deux identités sexuelles. Elle a également établi une opposition entre l’homme et la femme qui devrait se réduire grâce à la « parité » qui n’est pas l’égalité. Il s’agit d’une vision comptable de la relation entre-eux et assez conflictuelle. On veut ainsi enseigner à l’école la similitude et amalgamer la personnalité masculine ou féminine avec des rôles sociaux. Bref l’argumentaire tel qu’il se déploie dans les ABCD de l’égalité est très infantile et entretient la confusion des genres et des sexes.
Et en ce qui concerne le Care ?
Le Care (qui signifie prendre soin de soi et de l’autre) est une nouvelle perspective qui se développe depuis quelques années aux USA, et qui arrive en France. Certains veulent comprendre le Care à la lumière du bon samaritain de l’Évangile, ce qui n’a rien à voir. Pour résumer la démarche à grands traits disons que ce mouvement d’idées part du principe que nous sommes dans une société individualiste et qu’en ce sens la politique doit partir de l’individu et organiser la société selon ses revendications subjectives et ses intérêts particuliers, et non plus selon le bien commun. D’où le « mariage pour tous ».
Les concepts du genre et ceux du Care s’associent et vont effectivement dans le même sens, ce qui nous éloigne d’un réel personnalisme, et participe ainsi au morcellement justifié de la société en tribus d’individus.
Comme vous le constaterez ces mouvements d’idées se recommandent de nobles causes relativement acceptées par tous pour en réalité, comme le Cheval de Troie, révéler un autre univers dans lequel ils entraînent la société. Nous sommes dans la logique du chacun pour soi et ensuite pour ne pas se retrouver dans la solitude, on essaie de rattacher socialement l’autre à l’aune du chacun dispose de sa loi en fonction de sa situation. Une façon de conforter les maximes : « c’est ton problème » ou encore « chacun fait ce qu’il veut » ou enfin « il ne faut pas moraliser » ! Cette fausse compassion, est une fracture sociale qui se creuse, comme je l’avais annoncée dans mon livre : Non à la société dépressive (Flammarion), et une défiance à l’égard de la famille pour en appliquer le concept à toutes sortes d’associations affectives.
On pourrait vous objecter une vision bien pessimiste de l’avenir de l’humanité ?
Il n’est jamais facile de dresser des constats et d’affronter la réalité et un certain angélisme n’est pas toujours à la hauteur des enjeux qui nous attendent. Mais, bien au contraire, nous sommes dans l’espérance lorsque nous sommes lucides sur les enjeux conceptuels qui entraînent la société dans des impasses.
Dans l’individualisme régnant, conforté par la « philosophie » du Care, on se complait à voir se multiplier des « modèles » d’associations affectives interprétés comme de la famille. À la confusion des sexes et des genres on ajoute de l’insécurité familiale qui fragilise les personnalités juvéniles. C’est pourquoi, c’est par les chemins de la famille constituée par un homme et une femme, et leurs enfants que nous pouvons humaniser cette société délétère et en souffrance. Qu’on le veuille ou non, le divorce banalisé comme mode de traitement des problèmes conjugaux a fini par dévaloriser le sens du couple et de la famille. Des jeunes finissent par être inhibés et avoir peur de s’engager. D’où la multiplication de relations précaires et de l’adultère dans le concubinage, voire même une nouvelle forme de polygamie qui apparaît. Le brouillage de la figure de l’homme et de la femme, du père et de la mère, du couple et de la famille ne peut que desservir le lien social.
La plupart des politiques ont du mal à lire la situation actuelle, là où l’on prétend qu’il n’y a maintenant que des « familles » que chacun se crée selon ses affects et ses orientations sexuelles et non pas la famille, comme si nous ignorions la définition structurelle de la famille pour en faire un simple support psychologique et une béquille affective. Cela ne veut pas dire que l’on ne tiendra pas compte des situations particulières mais bien au contraire ces personnes seront accueillies comme elles sont afin de les accompagner dans leur cheminement. Il est donc nécessaire de faire un travail de vérité à propos des diverses situations affectives et de ne pas se contenter d’idées sommaires et de pratiques pastorales hâtives.
Propos recueillis par Anita Bourdin
09/04/2014
Tony Anatrella, Mariages en tous genres, édition L’échelle de jacob, janvier 2014, 146 pages
Source : zenit.org
Cet article a été initialement publié le 16/05/2014. C’est l’été : Polémia ralentit ses mises en ligne de nouveaux textes et rediffuse de plus anciens avec un mot d’ordre : « Un été sans tabou ». Voici donc des textes chocs aux antipodes du politiquement correct, des réflexions de fond sans concession et à la rubrique médiathèque, des romans et des essais à redécouvrir.