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Marcel Aymé, de Michel Lécureur

Marcel Aymé, de Michel Lécureur

par | 1 décembre 2014 | Médiathèque

Marcel Aymé, de Michel Lécureur

Michel Lécureur en est convaincu, hélas à juste titre : alors qu’il est « l’un des plus grands » auteurs français du XXe siècle, Marcel Aymé, victime de certains de ses choix politiques, « n’occupe pas encore la place qui lui revient dans les lettres françaises ».

« Boudé par l’Université, probablement parce qu’il n’est pas assez obscur, il demeure méconnu. Certes, Les Contes du chat perché, La Jument verte et La Traversée de Paris sont renommés, toutefois, pour les deux derniers, qui les a lus ? Les films qui leur ont été consacrés et leur diffusion télévisée ont assuré leur succès. Mais qui connaît Maison basse ou Brûlebois ? Quant à la trilogie constituée par Travelingue, Le Chemin des écoliers et Uranus, elle est davantage lue à l’étranger qu’en France, alors qu’elle dépeint une période essentielle de notre histoire. » Note de lecture de Claude Lorne.

C’est pour remédier à cette méconnaissance que, universitaire lui-même, M. Lécureur avait cofondé puis présidé pendant vingt ans la Société des amis de Marcel Aymé et publié les Cahiers Marcel Aymé, très appréciés des amateurs. Il continue en publiant aujourd’hui, à l’intention du plus grand nombre, un portrait de Marcel Aymé, son écrivain favori, dont il dirigea l’édition dans La Pléiade.

De droite ou de gauche ?

Rien ne prédisposait apparemment Marcel Aymé (1902-1967), né d’un père sous-officier et d’une mère de bonne bourgeoisie, à s’illustrer dans la littérature. Elève longtemps médiocre au contraire de son frère Georges, plus tard polytechnicien puis général, il envisage après son bachot une carrière d’ingénieur, puis de médecin, mais sa santé fragile (d’où la paralysie faciale partielle, qui lui donnait son fameux air d’impassibilité) et une certaine dissipation de la jeunesse le font abandonner ces voies. Il s’essaie à l’écriture, un peu par hasard, et connaît un premier succès avec Brûlebois où sa sœur Camille, qui lui en a soufflé l’idée, trouve « trop de caleçons et trop de contenus des susdits interpellés, apostrophés, à trop de pages ». N’importe ! Bien qu’il doive encore exercer divers petits boulots pour subsister, le voici semi-lancé. En 1929, il rate le Goncourt et son pactole qui aurait bien arrangé ses affaires mais décroche le Prix Renaudot pour La Table aux crevés, élogieusement accueilli par les critiques, dont Robert Brasillach. Dès lors, il va vivre de sa seule plume : romans, nouvelles, scénarios (pour le metteur en scène communiste Louis Daquin), chroniques pour Gringoire (de droite) puis Marianne (de gauche).

Lui-même est-il de droite ou de gauche ? Rien de cela, ou les deux. Un temps proche des surréalistes, il pétitionne pourtant contre les sanctions imposées à l’Italie fasciste pour son aventure éthiopienne, car il vit dans la hantise d’une nouvelle guerre civile européenne, mais soutient un peu plus tard la République espagnole. Il n’a aucune sympathie pour le régime hitlérien mais il donnera des textes (uniquement littéraires) à Je suis partout, hebdo dont la plupart des rédacteurs ne cèlent pas leur admiration pour le national-socialisme et sa réussite industrielle et sociale…

Un antigaullisme irréductible

Échappant pour sa part à toute épuration, Marcel Aymé est toutefois révulsé par celle-ci. La condamnation à mort de Robert Brasillach le bouleverse et il gardera des excès de la Libération une haine tenace contre De Gaulle et les « hommes nouveaux » qui les ont couverts de leur autorité. Ainsi s’explique son refus d’un siège à l’Académie, qui, écrit-il en 1965 à un ami, l’aurait obligé à rendre respectueusement visite à l’homme du 18-Juin, devenu président en 1958 et donc protecteur des Quarante. Pourtant partisan de l’Algérie algérienne, Marcel Aymé ne peut en effet pardonner les conditions dans lesquelles les trois départements d’outre-Méditerranée furent livrés au FLN, ni l’exécution du colonel Bastien-Thiry. S’exprimant dans la revue de Philippe Héduy L’Esprit public, très proche de l’OAS, il déplore ainsi en 1963 : « Le président de la République, lui, n’a été blessé que dans son amour-propre et c’est assez pour qu’à nouveau retentisse le roulement du peloton d’exécution qui aura servi de musique de fond aux deux règnes gaulliens. »

C’est dans des termes encore plus vifs que, sous le septennat de Vincent Auriol, il avait refusé la Légion d’honneur, expliquant en 1950 dans Le Crapouillot qu’il ne comprenait pas « l’extrême légèreté » avec laquelle certains l’avaient proposée à « un mauvais Français » comme lui et avertissant ceux qui récidiveraient « qu’ils voulussent bien, leur Légion d’honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens ».

À noter que cette décoration lui avait été proposée après la publication en 1948 d’Uranus, formidable roman mais charge violente contre les gaîtés de la Libé. Comme quoi, si Marcel Aymé était avant tout un homme libre, fustigeant le fanatisme, l’injustice et la lâcheté au seul nom de sa conscience et sans se soucier des impératifs catégoriques de la politique, les dirigeants tant décriés de la IVe République étaient également assez libres pour reconnaître et récompenser le talent – même déviant, puisque Marcel Aymé avait aussi pris bruyamment le parti de Maurice Bardèche condamné à un an de prison pour son essai Nuremberg ou la terre promise.

Les temps ont bien changé depuis, et la liberté d’expression n’y a rien gagné, bien au contraire.

USA, pétrolants et trousse-canons

Comme son talent, la personnalité de Marcel Aymé était à multiples facettes, et c’est ce qui explique sans doute que cet homme, qui se disait solitaire et qui était en tout cas taiseux, ait pu compter tant d’amis, et si divers puisque c’est Mauriac, qu’il n’avait pourtant pas ménagé, qui l’avait proposé pour le Quai Conti. À l’évidence, ils étaient séduits par son humanité, admiraient ses dons littéraires, sa langue fluide et classique – avec un sens inné de la litote, note avec pertinence son biographe –, sa capacité d’invention, son aptitude à décoller du réel pour présenter comme naturelles les situations les plus invraisemblables (voir Le Passe-muraille : seul Pierre Gripari, à un moindre degré, avait cette faculté d’entraîner le lecteur dans son imaginaire) et sa facilité. Quel que soit le genre abordé, romanesque ou théâtral (ce qui suscitait quelque peu l’envie de Céline) puisqu’on lui doit de mémorables succès sur les planches : La Tête des autres, bien sûr, pièce d’une férocité confondante sur la justice, mais aussi Lucienne et le boucher, Clérambard ou les jubilatoires Maxibules.

Comme tout grand écrivain, Marcel Aymé était aussi visionnaire. M. Lécureur souligne sa méfiance vis-à-vis des États-Unis d’où, accusait-il, « une puissante association d’épiciers, de pétrolants, de trousse-canons qui tiennent dans l’abrutissement et le respect de leurs énormes fortunes 160 millions d’Américains », s’emploie aussi à « régenter la planète » et notamment la France qui est devenue « l’Algérie des Américains », « une Algérie qui ne se révolte pas ». Dans La Belle Image (1941), roman qui se déroule non loin de la Goutte d’Or, l’écrivain pointe aussi un autre danger, celui de la montée de l’immigration maghrébine.

Pour mieux comprendre l’homme Marcel Aymé, il faut lire ce Qui suis-je ? Mais pour prendre un bain de bon français, et d’esprit français, il faut relire et faire lire l’auteur Marcel Aymé. Ça tombe bien, Noël approche, il faut faire provende de ses livres (presque tous en éditions de poche) pour les offrir à petits et grands. Quels enfants, même drogués aux jeux vidéo, peuvent résister aux Contes du chat perché en compagnie de Delphine et de Marinette ?

 Claude Lorne
1/12/2014

Michel Lécureur, Marcel Aymé, Editions Pardès, collection Qui suis-je ? 19 novembre 2014, 128 pages avec copieuse iconographie, annexes et bibliographie.

Note de la rédaction : se rendre sur le site de la Société des Amis de Marcel Aymé.

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