Par Thierry De Cruzy, journaliste ♦ L’Eurovision avec ses 200 millions de spectateurs est un événement culturel majeur, et le Te Deum de Charpentier en générique ne fait plus illusion aux mélomanes. La musique créé des émotions et donc est utilisée pour agir sur les populations, particulièrement la jeunesse. Les publicités des marques commerciales sont rompues à capter l’attention pour fidéliser la clientèle. La musique participe de ces techniques de conditionnement publicitaires, mais pas seulement.
Enjeu politique et médiatique par son audience continentale, l’Eurovision est utilisée pour formater le jeune public spécialement visé par l’événement. Les prestations de Conchita Wurst en 2014 et celle de Bilal Hassani en 2019 l’ont illustré. Il faut préparer les jeunes générations au modèle de société dans lequel on veut les intégrer.
A Tel-Aviv cette année, la prestation de Madonna s’est inscrite dans le programme. Les médias ont dénoncé des fausses notes et le drapeau palestinien d’un de ses danseurs. Comme si une chanteuse professionnelle dans un show de cette importance pouvait faire une erreur de note. Comme si la tenue de ses 135 collaborateurs, dont 40 choristes et 25 danseurs, n’avait pas été vérifiée avant de monter sur une scène israélienne. L’enjeu est trop important. Ces détails avaient été manifestement réglés à l’avance pour détourner l’attention de l’objectif principal. Madonna a interprété Like a Prayer et Future, le 1er titre a marqué un tournant dans sa carrière par sa volonté de provoquer. La chanson avait été considérée comme blasphématoire à l’époque de sa sortie. Les paroles utilisent des mots empruntés à la liturgie catholique et choisis soigneusement pour leur donner un double sens, mêlant délibérément sexualité et religion. Le clip vidéo réalisé à l’époque accentue cette signification qui avait amené une condamnation par le Vatican et obligé Pepsi à annuler la diffusion d’une publicité.
La prestation de l’Eurovision lui a donné une autre ambiance. Sans changer les paroles le contexte liturgique est accentué par le décor avec des vitraux d’église et des choristes revêtus de sortes de bures monastiques. Ce climat transforme l’intérieur recueilli d’une église en un lieu de débauche comme s’il ne devait être dorénavant consacré qu’au sexe. Il est bien évident que les spectateurs ne vont pas conduire cette réflexion. La musique et la chanson ne sont pas faites pour penser mais pour créer des émotions afin d’induire des comportements. Dans ce cadre, les fausses notes et l’emblème palestinien ne servent qu’à détourner l’attention médiatique pendant que le subterfuge opère.
Prescrire de nouveaux comportements
On peut rapprocher cette prestation de l’étrange cérémonie d’inauguration du tunnel du Saint-Gothard, le 1er juin 2016. Devant un parterre d’autorités européennes et de chefs d’états. Il y avait des danseurs déguisés en bouquetins mimant des scènes de sexe, un androgyne avec une tête géante et des ailes, des parades de têtes de béliers, des artistes en sous-vêtements, des Tschäggättä (personnages folkloriques suisses), le tout conduit par un individu affublé d’une tête de bouc. Le spectacle était truffé de symboles religieux (anges, démons, couronne d’épine, bouc, agneau, scarabées, …) comme profanes (horloge, montagne, costumes traditionnels, …). La bande-son faite de percussions et de musique atonale était en partie accompagnée par un orchestre militaire et des cors des Alpes. Les œuvres d’art sont souvent polysémiques, ainsi le spectacle mêlait les repères traditionnels (religieux et folkloriques) dans un grand mélange de symboles. Sans cautionner forcément les interprétations occultistes, l’impression de confusion qui en résultait était en contradiction avec le haut niveau technologique et donc l’ordre qui avaient été nécessaires à la réalisation du plus long tunnel ferroviaire du monde. Sous prétexte d’art, ça n’a étonné personne que ces élites profitent d’une avancée technologique pour monter à grands frais un spectacle abscons sans se préoccuper d’en fournir la signification à la population.
Dans les deux cas, des sommes considérables sont investies pour ces spectacles, Like a Prayer est considéré comme le clip le plus cher de l’histoire de la chanson et l’inauguration du tunnel a englouti 9 millions de francs suisses. Les commanditaires sont l’industrie du disque dans un cas et dans l’autre les autorités politiques d’Europe. Pour Madonna, les motivations sont d’abord financières, elle est une des toutes premières fortunes de la chanson et la chanteuse qui a vendu le plus de disques de tous les temps. Même si elle s’est revendiquée de la Kabbale et du coran, elle a été élevée dans la religion catholique et c’est la seule qu’elle vise. Dans son cas, la musique commerciale, la musique de masse d’une vedette planétaire est utilisée comme outil de séduction. Dans l’autre, les élites politiques imposent par leur pouvoir financier une nouvelle conception de la culture et un nouveau modèle de cérémonial. Les techniques sont différentes, mais la musique est le vecteur principal qui vise à éliminer les anciens repères civilisationnels. La musique est commerciale pour toucher la jeunesse et atonale pour accompagner un spectacle destiné à des élites. Dans le cas de l’Eurovision, c’est la religion catholique qui est visée. Dans le cas du St-Gothard, ce sont des symboles religieux occidentaux et traditionnels suisses. L’intervention anecdotique des représentants de quatre religions (catholique, protestante, juive et musulmane) pour “bénir” le nouveau tunnel ne fait qu’ajouter à la confusion en ne permettant pas d’identifier le principe métaphysique sous la protection duquel l’événement devrait être traditionnellement placé.
Casser les repères ancestraux
La musique est un repère collectif majeur dans toutes les civilisations car il permet de d’établir “l’harmonie” dans les sociétés en maintenant les individus “en phase”. En rendant ce repère inexploitable par la population (impossible de chanter les textes de Madonna ni d’écouter la musique atonale dans la vie ordinaire) et en l’utilisant pour casser les repères ancestraux (religieux et folkloriques) les autorités installent délibérément la confusion pour remplacer l’ordre. Plus besoin de faire la révolution, la musique s’en charge en douceur.
Thierry De Cruzy
01/08/2019
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : MTV International [CC BY 3.0]