Par Michel Leblay et Laurent Artur du Plessis ♦ La revue de presse du Libre journal de Dominique Paoli sur Radio Courtoisie du 30 septembre 2019 portera sur les propos récents d’Emmanuel Macron sur l’immigration, la situation économique mondiale et la géopolitique du Proche-Orient.
Dans une actualité riche en événements, pour cette revue de presse sur Radio Courtoisie, trois thèmes ont été retenus :
- l’immigration et les propos d’Emmanuel Macron sur ce sujet devant les parlementaires de la majorité
- la situation économique des événements les plus immédiats à une interrogation sur l’avenir
- la situation au Proche et au Moyen-Orient
L’immigration
Le 16 septembre 2019, face aux parlementaires de la majorité, Emmanuel Macron a posé la question de l’immigration au désespoir d’une partie de ces parlementaires et de l’intelligentsia de gauche. Partant de cette interpellation, La question est de savoir si nous voulons être un parti bourgeois ou pas, il a opposé Les bourgeois, sa base électorale, qui n’ont pas de problème avec cela ; ils ne les croisent pas, aux classes populaires qui vivent avec eux. Il a ajouté, montrant ainsi ses préoccupations électorales : La gauche n’a pas voulu regarder ce problème pendant des décennies. Les classes populaires ont donc migré vers l’extrême droite.
Contrairement à d’autres présidents qui l’ont précédé, guidés d’abord par l’attrait du pouvoir et opportuniste pour le reste, François Mitterrand en étant un exemple emblématique, Emmanuel Macron est à la fois un idéologue et un homme de pouvoir. Citant un interlocuteur du journal, Le Monde écrivait dans un article du 17 septembre 2019 intitulé L’offensive de Macron sur l’immigration : « Le président a beaucoup évolué depuis 2015 et son soutien à [la chancelière] Angela Merkel dans l’accueil des migrants. A l’époque, il était sur une ligne très humaniste, constate un cadre de la majorité. Lors de la campagne présidentielle, il avait déjà évolué vers une position plus équilibrée. Mais depuis 2018, il s’est refermé, il pense que la société est plus dure que les politiques sur cette question. »
A l’origine, Emmanuel Macron s’est bien inscrit dans une ligne de pensée mondialiste pour laquelle le sens de l’histoire tend vers un monde cosmopolite, en témoignent les propos tenus à Lyon, le 5 février 2017, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle : Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse. Outre l’incongruité de l’allégation qui confond le singulier (une culture) et le pluriel (elle est diverse), sur le fond il s’agissait de nier le principe d’une communauté politique assise sur l’histoire et son héritage.
L’esprit de pouvoir l’emportant sur l’idéologie, les difficultés étant là et pour Emmanuel Macron elles sont, pour le moins intenses avec la crise des Gilets jaunes, et l’avenir dans un tel contexte étant incertain, le Président de la République a choisi selon l’expression l’effet d’annonce. Il n’empêche qu’il s’agit là d’une stratégie qui vise à créer une base électorale durable fort bien analysée par Benjamin Morel dans un article publié sur le site Figarovox, le 18 septembre 2019, « L’immigration n’est plus une ligne de fracture entre les partis fréquentables ou pas » : Partant du constat que LREM est un parti libéral comme on en trouve ailleurs (libéraux démocrates britanniques, FDP allemand…) mais que les libéraux ne constituent pas une famille de pensée homogène et qu’ils se distinguent selon les pays et les contextes, il recourt à deux exemples : celui des libéraux canadiens et Ciudadanos en Espagne. Les libéraux canadiens de Justin Trudeau, sont clairement post-nationaux. L’idée nationale est pour eux un vestige du passé. L’immigration est vue comme une richesse, non pas malgré le communautarisme qui peut l’accompagner, mais aussi grâce à lui. A travers Ciudadanos, on assiste à la réémergence d’un libéralisme national. Ciudadanos repose sur l’idée que la nation espagnole doit être ouverte, européenne, mais qu’elle doit demeurer comme un fait culturel et identitaire profond et uni. Du point de vue de leur assise, Les deux modèles reposent sur une synthèse électorale différente. Le modèle canadien repose sur une synthèse entre une élite « bourgeoise » et une partie des classes populaires issues de l’immigration qui plébiscite justement ce modèle communautariste. Le modèle espagnol repose sur une alliance entre cette même bourgeoisie et une partie des classes moyennes et populaires qui veulent au contraire défendre une identité nationale forte. Les déclarations d’Emmanuel Macron orienteraient donc sa majorité vers un modèle proche de Ciudadanos.
Certes, il faut supposer que dans la réalité présente, aucune limite conséquente ne sera apportée à l’immigration. Cependant, il convient de souligner, si l’on retient l’analyse de Benjamin Morel et que la stratégie adoptée par Ciudadanos soit celle retenue par Emmanuel Macron, qu’il devrait y avoir une inflexion de la politique migratoire tant au niveau des flux (et qu’elle soit visible) que du point de vue de l’attitude vis-à-vis des populations d’origine immigrée présentes sur le territoire et des revendications formulées par une partie d’entre elles ; cette attitude devant se traduire par des mesures significatives. Cela est loin d’être acquis d’autant plus qu’il est encore difficile d’envisager une victoire de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron en 2022 ce qui limite la menace électorale pour Emmanuel Macron. En réalité, seul un changement à la tête de l’Etat pourrait conduire à réformer profondément la politique migratoire.
Néanmoins, le fait que le Président de la République, compte-tenu de ses orientations idéologiques initiales, fasse de l’immigration un enjeu presque primordial pour les prochaines échéances électorales ne doit pas être négligé. Les réactions des promoteurs de l’immigration sont à cet égard emblématiques. Sachant qu’au sein des populations européennes, la majorité est hostile à l’immigration, vue son importance, d’une part et les bouleversements culturels qu’elle engendre, d’autre part, ces promoteurs ont à cœur qu’elle soit discrète dans le discours politique et ils en minimisent constamment les chiffres. Au regard de ce déni des réalités, il faut remarquer les excellents articles, parfaitement argumentés, publiés sur Polémia, par Paul Tormenen pour un ensemble de pays européens et Nicolas Reilhac, spécifiquement pour le Portugal. Ils montrent le bouleversement social qu’entraîne l’immigration de masse et souvent la complaisance, au nom d’un droit des minorités, dont bénéficient, de la part des pouvoirs politiques et surtout des juges, des populations d’origine étrangères qui revendiquent l’adaptation à leur propre culture des règles qui régissent les sociétés.
Car, pour une idéologie dominante, tendue vers ce monde nouveau, pacifique par hypothèse, et cosmopolite, le multiculturalisme n’est pas une concession mais une nécessité. Il conduirait à un enrichissement par échange mutuel entre communautés. D’ailleurs, la notion de communauté est vue de manière plus large que la seule origine civilisationnelle. Il s’agit aussi d’ensembles de rattachement librement choisis par les individus selon des aspirations personnelles loin de tout héritage. Tout ceci conduit à des sociétés hétérogènes et hétéroclites.
Cette idéologie, parce qu’elle est une idéologie, occulte la totale asymétrie des intentions entre ceux qui la prônent comme modèle d’organisation sociale et d’humanité nouvelle et ceux qui en réclament les avantages pour imprégner progressivement la société d’accueil. Les premiers pensent qu’au-delà des particularités culturelles, il y a l’adhésion à des valeurs universelles qui rassemblent, pour les seconds ces valeurs universelles ne sont que leurs propres références culturelles.
Où va l’économie mondiale ?
D’une manière générale, avec le temps, l’économie est devenue un domaine de plus en plus complexe avec l’évolution des structures qui la forme, la diversification des produits, qu’il s’agisse des biens ou des services mais aussi de la multiplication des acteurs associés à leurs processus de production. L’internationalisation croissante de ceux-ci, donc d’une mondialisation où cohabitent et échangent des Etats différents par leur niveau de développement avec les dissymétries en termes de concurrence qui en résultent. S’ajoute un phénomène qui, en près de quatre décennies a pris une ampleur considérable : le développement des marchés de capitaux. Deux sphères s’enchevêtrent alors, l’économie physique et celle de la finance avec tous les effets perturbateurs de la seconde sur la première.
Par cette évolution engagée depuis les débuts de la Révolution industrielle, l’économie est devenue un élément central de la décision politique. Il en va des conditions matérielles d’existence de l’être humain et conséquemment de la qualité de cette existence et de la vie sociale.
La situation économique est à la source de préoccupations immédiates, vu les faits observés mais qui ne sont que des reflets d’altérations profondes qui conduisent à des interrogations sur le futur. Pour parvenir à celles-ci, il convient de procéder à une gradation dans l’analyse des phénomènes pour toucher à la réalité du fonctionnement présent de l’économie.
La brusque hausse des taux sur le marché monétaire américain
Durant quatre jours consécutifs du 17 au 20 septembre 2019, la Réserve fédérale américaine (FED) est intervenue sur le marché des liquidités au jour le jour au moyen d’opérations de pension livrée (Repo). Ce type d’opération conclu entre deux établissements financiers consiste à associer en un même contrat la vente de titres par l’une des parties contre le versement des liquidités correspondantes par l’autre puis la rétrocession des titres acquis par cette dernière à un prix fixé à l’origine de l’opération. Celle-ci peut avoir une durée de vingt-quatre heures à quelques jours.
Le 16 septembre, les taux pratiqués pour ces opérations au jour le jour entre les établissements financiers américains ont atteint 10% (montant du taux d’intérêt rapporté à une période d’un an) alors que les taux directeurs de la FED évoluaient dans une fourchette de 2%-2,25% depuis qu’ils avaient été abaissé de 0,25% le 31 juillet 2019 avant une nouvelle baisse de 0,25% annoncée le 18 septembre portant la fourchette de 1,75% à 2%.
Pour conjurer cette hausse soudaine sur le marché interbancaire américaine, la FED par le biais d’opérations de Repo a fourni aux banques en quatre jours des liquidités pour un montant supérieur à 270 milliards de dollars (Le Monde – 20 septembre 2019). Pour souligner l’ampleur de l’incident, Sébastien Laye a souligné (Pourquoi la Fed panique – Figarovox – 27 septembre 2019) : ce qui ne devait être qu’une intervention pour 24 heures a dû être prolongé jusqu’au vendredi… après cette première intervention en dix ans sur ce marché, la Fed a promis de la réitérer jusqu’au 30 septembre.
Les observateurs remarquent que le mouvement ne saurait être comparé avec la crise de septembre 2008 et la faillite, le 15 de ce mois, de la banque Lehman Brothers. A l’époque, inquiètes sur la solvabilité de leurs contreparties, les banques craignaient de se prêter entre elles. Là selon un article de La Tribune (Mais que se passe-t-il donc sur le marché monétaire aux États-Unis ? – 25 septembre 2019), corroboré par l’analyse de Sébastien Laye, il y a eu tout simplement une insuffisance de fonds à prêter, alors que la demande était exceptionnellement forte. Outre des causes circonstancielles (nouvelle émission de titres de dettes du Trésor américain et son financement par les établissements financiers, paiement de leurs impôts du troisième trimestre par les entreprises américaines, un autre élément très technique tiendrait aux opérations réalisées par les banques centrales étrangères auprès de la FED sous la forme de mise en pensions de titres – achat de titres auprès de la Réserve fédérale et revente à un prix inférieur le lendemain), liées à l’inversion de la courbe des taux sur les marchés (taux à long terme, inférieurs aux taux à court terme), selon La Tribune La forte montée des taux sur le marché monétaire, et la nécessité d’un financement exceptionnel apporté par la Fed, pourraient résulter d’une pénurie structurelle de cash (liquidités) aux États-Unis. Comme il est précisé, les liquidités sont constituées par les billets émis par la Réserve fédérale et, avant tout, par les dépôts en numéraire des banques auprès de celle-ci. Compte-tenu des politiques d’assouplissement monétaire (Quantitative easing) menées depuis la crise de 2008, une telle situation peut paraître paradoxale. Mais après un sommet d’offre de liquidités par la FED atteint en 2014, les dépôts auprès de la FED ayant atteint 2 900 milliards de dollars, une politique plus restrictive de l’institution fédérale par la suite a fait baisser le montant de ces dépôts à 1 500 milliards de dollars.
Selon Goldman Sachs, la crise économique est improbable. Analyse d’Olivier Piacentini
Quelles que soient, les arguments techniques, cette hausse brutale des taux au jour le jour sur le marché interbancaire américain traduit une forte fragilité du système financier. Sébastien Laye y voit la dépendance des banques commerciales à l’action des banques centrales. Si les politiques d’assouplissement monétaire ont eu leur intérêt dans les années qui ont suivi la crise de 2007-2008 pour éviter des conséquences encore plus graves, elles ne sauraient résoudre à elles seules les problèmes d’ordre structurel dont sont atteints les économies occidentales développées et qui touchent à leur capacité à générer une croissance aux paramètres équilibrés suffisante pour permettre un emploi stable et des revenus décents pour tous.
La dépendance des banques commerciales à l’égard des banques centrales en termes de liquidités est souligné aussi par Jacques dans un excellent article paru le 24 septembre 2019 sur le site Sputnik – Coup de grisou sur la finance mondiale, annonciateur de la crise à venir ? L’activisme des Banques centrales, leur capacité à mettre sur le marché d’énormes volumes de liquidités nous prémunissent, à court terme, d’une nouvelle crise financière. Mais, et ce point est essentiel, les événements de la semaine dernière montrent que les marchés ne peuvent survivre sans une action quasi-quotidienne des mêmes Banques centrales. De fait, il n’y a plus de « marché » interbancaire, car les transactions y seraient impossibles sans le soutien constant des Banques centrales. Or, ce marché interbancaire est la matrice de tous les autres marchés.
Les taux d’intérêt négatifs
La hausse soudaine des taux d’intérêt au jour le jour aux Etats-Unis a d’autant plus surpris qu’elle est intervenue dans un contexte de taux bas voire nuls ou négatifs comme dans la zone euro ou au Japon.
Si aux Etats-Unis, le taux directeur de la Réserve fédérale évolue entre 1,75% et 2%, celui de la Banque d’Angleterre est de 0,75%, -0,10% pour la Banque du Japon et 0% pour la Banque centrale européenne (source Boursorama – 28 septembre 2019).
Au sein de la zone euro, sur le marché secondaire des titres les taux d’intérêt à une échéance de 10 ans sont de (source Boursorama – 28 septembre 2019) : – 0,309% pour la dette de l’Etat français, – 0,611% pour la dette publique allemande, + 0,156% pour la dette publique espagnole et + 0,986% pour la dette publique italienne. Par comparaison ce taux est de – 0,231% au Japon et + 0,441 au Royaume-Uni.
Dans des conditions de rémunération aussi favorables, l’Agence France Trésor a emprunté sur le marché, le jeudi 5 septembre 2019, 10,139 milliards d’euros, un niveau jamais atteint jusqu’à présent en un seul jour.
Si le taux directeur de la Banque centrale européenne égal à 0% n’a pas varié depuis le 16 mars 2016, en revanche, le 12 septembre dernier, Mario Draghi, encore président de la Banque a annoncé que le taux de dépôt des banques au jour le jour auprès de la BCE serait abaissé de -0,40% à -0,50%. Ce taux n’avait pas varié depuis le 16 mars 2016. De plus, elle a décidé aussi de relancer son programme d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing) à raison de 20 milliards d’euros par mois à partir du mois de novembre. A son niveau maximum, ce programme avait atteint 80 milliards d’euros par mois.
L’expérience montre que la faiblesse des taux d’intérêt comporte de nombreux désavantages et elle n’a permis une reprise de l’activité économique tout en favorisant l’apparition de bulles spéculatives.
S’agissant des établissements bancaires de la zone euro, sur la base du taux de dépôt au jour le jour à -0,40%, ils perdraient aux environs de 7,1 milliards par an. Leur rendement sur fonds propres qui était de l’ordre de 15% en 2007, n’est plus que de 5% en 2019. Dans ces conditions, pour pallier ces désavantages et faciliter la participation des banques européennes au financement de leurs économies respectives, la BCE a prévu que les opérations de refinancement à plus long terme des banques dites TLTRO (targeted longer-term refinancing operations) pourront être effectuées sous certaines exigences à des taux aussi bas que les taux de dépôt au jour le jour.
D’une manière générale, dans un article publié par Le Monde, le 24 septembre 2019 (Patrick Artus : « La baisse des taux d’intérêt a été entièrement compensée par la hausse des primes de risque »), le chef économiste de la banque Natixis constate : … on ne voit pas d’effets très positifs de cette politique monétaire extraordinairement expansionniste. La croissance est en train de ralentir ; le taux d’investissement des entreprises par rapport à la valeur ajoutée est plus bas en 2019 (11,5 %) qu’en 2008 (11,7 %) ou en 2000 (12,3 %), malgré les taux d’intérêt quasi nuls. Il ajoute, en comparant le niveau du taux d’intérêt à long terme (à 10 ans) sur les dettes publiques des pays de l’OCDE et le rendement, dans ces mêmes pays, du capital physique des entreprises (rendement du capital mis en place) qui devraient être voisins, ce qui était le cas avant la crise de 2008, en 2019, le rendement du capital des entreprises est de 5,3 %, le taux d’intérêt à 10 ans sans risque, de 0,8 %. Cela veut dire qu’est apparue une énorme prime de risque affectant l’investissement dans le capital des entreprises : en 2019, on exige 4,5 points de plus pour investir dans les entreprises que pour investir dans les dettes publiques. Ceci explique pourquoi les taux d’intérêt bas n’ont pas stimulé l’investissement dans les pays de l’OCDE.
Un autre inconvénient de taux d’intérêt aussi bas est d’inciter les entreprises à emprunter pour racheter leurs propres actions, ce qui augmente fictivement leur rentabilité.w
Concernant la zone euro et l’impasse que constitue aujourd’hui la seule politique budgétaire, certains voudraient lui voir associées des politiques budgétaires tournées vers l’expansion, contraire à l’esprit d’austérité qu’imposent les dirigeants allemands. Dans un article des Echos du 12 mai 2017 Adair Turner : « Le financement de la dette publique par les banques centrales sera permanent », l’ancien président de l’Autorité britannique de régulation des marchés financiers indiquait : Une fois que vous avez déjà des taux d’intérêt bas dans le monde, une nouvelle réduction de ces taux ne déclenche pas une hausse de la consommation ou de l’investissement des entreprises…. Si les Etats-Unis ont enregistré plus de croissance qu’en Europe, ils le doivent à des déficits publics plus importants. La zone euro, avec la BCE, a eu une philosophie différente avec l’austérité budgétaire pendant cet assouplissement monétaire quantitatif.
Si les politiques d’austérité budgétaire en Europe sont à l’évidence des échecs, il faut observer néanmoins que les niveaux de déficits atteints par les Etats-Unis ne sont permis que par le rôle du dollar comme monnaie de réserve internationale. De plus, l’état d’une économie doit être appréciée au travers de plusieurs paramètres. S’il est évident que dans le domaine technologique l’économie américaine a une avance incontestable et qu’elle dispose d’une dimension jusque là inégalée, néanmoins en analysant le PIB du point de vue de son emploi (consommation finale + investissement + variation de stock), les dépenses de consommation finale représentaient en 2017 82% du PIB, la consommation des ménages s’élevant à 68% du PIB. Pour la même année, la consommation finale s’élevait en Chine à 53% du PIB, celle des ménages à 39% du PIB. En France, la consommation finale s’élevait à 78% du PIB et celle des ménages à 54% du PIB. En Allemagne, la consommation finale représentait 72% du PIB et celle des ménages 53% du PIB (source Perspective monde).
La zone euro et l’économie allemande
Si les dirigeants allemands s’inquiètent de la politique monétaire de la BCE, jugée par eux trop laxistes, il n’empêche que la zone pourrait être confrontée à une forme de retournement de situation où l’économie allemande ne serait plus le modèle envié et à suivre mais au contraire la source de nouvelles difficultés pour la zone.
Dans un article publié sur le site Figarovox, le 23 septembre 2019, intitulé L’Allemagne victime de son orthodoxie économique, André Grjebine observe : Après avoir durablement compté sur les exportations pour assurer son développement au détriment de ses partenaires (son excédent commercial a atteint 232,5 milliards de dollars en 2018), l’Allemagne est aujourd’hui victime de son orthodoxie. Limitant sa demande intérieure pour privilégier les exportations, développant à ses frontières une Mitteleuropa économique à moindre coût de production, nécessaire à cette activité exportatrice et bénéficiant aussi d’une monnaie unique, l’euro dont le cours est inférieur à celui qu’aurait atteint une monnaie nationale, l’Allemagne a donc mené une politique mercantile. Si cette politique lui a permis d’élever son excédent commercial jusqu’à 8% de son PIB en 2015 (7,83% en 2016 ; 7,56% en 2017 ; 6,77% en 2018 – source Perspective monde) et d’accumuler une épargne considérable, elle a créé un lien de dépendance à l’endroit des flux d’échanges internationaux avec les conséquences du point de vue de la concurrence qui peut émerger et des évolutions dans la politique commerciale des Etats. Or la situation est en cours de retournement avec un affaiblissement du commerce mondial et les mesures protectionnistes prises par les Etats-Unis. De plus son industrie automobile souffre de problèmes d’adaptation aux normes du marché. Ce qui conduit André Grjebine à écrire dans son article : D’où l’affaiblissement de la croissance allemande qui est devenue négative au 2eme trimestre (- 0,1 % par rapport au trimestre précédent) et il n’est pas exclu que l’Allemagne entre en récession (deux trimestres négatifs successifs). L’automobile, phare de l’industrie allemande, a accusé un recul de 11 % de sa production sur les huit premiers mois de l’année. Le Monde confirme cette analyse, dans un article du 12 septembre 2019 : En Allemagne, le retour du chômage partiel dans l’industrie. L’article est ainsi introduit : Outre-Rhin, c’est une véritable épidémie qui se propage. Et depuis début septembre, le phénomène s’accélère. Chaque jour qui passe apporte son lot d’entreprises industrielles qui mettent leurs effectifs en chômage partiel. Des PME régionales aux multinationales cotées en Bourse, aucune société du secteur manufacturier ne semble immunisée contre ce mal.
Commerce international, protectionnisme et chaînes de valeur mondiales
Indéniablement, la concurrence exercée par les pays nouvellement développés, d’abord celle de la Chine, a largement contribué au recul de la production manufacturière des anciennes économies industrialisées. Si l’Allemagne paraît avoir résisté jusqu’à maintenant, le partenaire commercial chinois deviendra son compétiteur, au fur et à mesure de son ascension technologique, s’il ne l’est pas déjà dans certains secteurs. De ce point de vue, dans la vision d’une économie ouverte de libre-échange, l’industrie allemande est condamnée à terme à refluer. Face à l’importance des déficits avec la Chine et à la paupérisation et le déclassement qui en découle pour la classe ouvrière américaine et plus largement d’une partie de la classe moyenne à laquelle cette classe ouvrière avait accédé avec le temps, il est normal qu’un président américain s’alarme de cette situation et qu’il prenne des mesures, certes qui peuvent être discutées ou contestées dans leur nature.
Sans discuter du principe d’une protection des intérêts nationaux, il faut remarquer que le mouvement de mondialisation des échanges a porté non seulement sur le commerce de bien finis mais a entraîné aussi une internationalisation des processus de production et donc d’une intégration croissante des chaînes de valeur qui contrarient la mise en place de mesures protectionnistes directes. Sur l’état de ces chaînes de valeur globales, l’OMC a publié son rapport pour l’année 2019 Global value chain development Report 2019. Dans une publication de la Banque mondiale du 1er juillet 2019, il est écrit …au cours de ces trois décennies, les chaînes de valeur mondiales sont devenues le format dominant des échanges commerciaux internationaux.
Ce thème des chaînes de valeur globales est aussi l’objet d’un article dans la dernière livraison du Monde diplomatique d’octobre 2019 : Entre les Etats-Unis et la Chine, une guerre moins commerciale que géopolitique – Chaînes de valeurs globales. L’auteur Philip S. Golub y écrit, se référant aux travaux de Gary Gereffi et Miguel Korzeniewicz : … l’analyse des chaînes de valeur globales (CVG) est devenue essentielle pour comprendre la mondialisation. Elle met en lumière la complexité croissante des réseaux de production transnationaux, l’évolution des géographies de production et la capture différentielle de la valeur par les acteurs tout au long des chaînes (de la conception et de l’extraction à la production des composants, à l’assemblage et à la commercialisation du produit final). La littérature théorique et empirique qui s’est développée a mis en évidence la « nouvelle intégration fonctionnelle de l’économie mondiale » et le pouvoir structurant des entreprises transnationales dans le façonnage des économies nationales, en raison de l’interaction hiérarchique entre elles et leurs fournisseurs et sous-traitants locaux.
L’avenir de l’économie mondiale
A court terme dans ses Perspectives économiques intermédiaires publiées le 19 septembre 2019, l’OCDE indique : Les perspectives mondiales sont de plus en plus fragiles et incertaines. La croissance mondiale devrait ralentir pour s’établir à 2.9 % en 2019 et à 3 % en 2020. Il s’agirait des taux de croissance annuelle les plus faibles enregistrés depuis la crise financière, sur fond d’accentuation persistante des risques à la baisse. L’institution internationale recense ce qu’elle considère comme les contraintes qui affectent la croissance économique mondiale. Parmi celles-ci figurent les tensions liées aux politiques commerciales et elle prodigue des conseils notamment sur les politiques monétaires et budgétaires.
Dépassant ces perspectives immédiates de l’OCDE, il faut considérer que les économies européennes mais aussi l’économie américaines sont confrontées à moyen et à long terme à trois défis principaux :
- la baisse du taux de croissance de la productivité qui date du milieu des années soixante-dix et qui s’est aggravée avec le temps hormis une période de rémission pour les Etats-Unis entre 1995 et 2005 ;
- la concurrence des pays nouvellement industrialisés qui altèrent le potentiel industriel mais aussi celui des services à haute valeur ajoutée (conception de logiciels…) des économies occidentales ;
- la robotisation des processus de production.
Pour le premier défi, la question posée tient à la capacité d’une économie à un certain niveau de développement à générer une croissance suffisante pour assurer le bien être individuel et collectif au sein de la société. Par rapport à cette baisse de la productivité, l’économiste américain Robert Gordon a développé une théorie sur la stagnation séculaire. S’agissant de la concurrence exercée par les économies développées qui a un certain stade seront confrontés aussi à la question de la croissance de la productivité, d’une manière ou d’une autre les états occidentaux seront conduits à prendre des mesures de protection de leurs intérêts mais qui devront prendre en compte l’état des échanges internationaux et leur configuration notamment l’interpénétration des économies. Enfin, la robotisation est-elle destinée à supprimer une partie de l’emploi sans possibilité de substitution alors que la mécanisation due à la révolution industrielle avait conduit à des transferts d’emplois entre les secteurs économiques ?
Ces trois défis amènent les uns à prédire un avenir sombre et de déclin, d’autres voient s’ouvrir des perspectives souvent illusoires. Ce qui est certain est que l’avenir n’est jamais la projection d’une situation présente. A la fin des années trente, alors que l’économie mondiale était encore largement affectée par la crise de 1929, nul ne prévoyait que moins de vingt plus tard, les économies occidentales connaitraient des niveaux de croissance jamais atteints jusqu’alors, assurant le plein emploi et une progression substantielle des revenus. Il est donc permis de penser que l’esprit de création inhérent à la nature humaine et la nécessité de franchir les obstacles auxquels l’homme est confronté feront que des découvertes scientifiques et des innovations techniques offriront des voies nouvelles de développement. Cependant cela oblige à une condition : la qualité de l’éducation et de la formation pour aviver cet esprit de création, ce qui, malheureusement, n’est pas le cas à ce jour en France, loin s’en faut.
La situation au Proche et au Moyen-Orient
L’élément central tient à la tension entre les Etats-Unis et l’Iran après l’annonce par les premiers, le 8 mai 2018, de la dénonciation de l’accord de Vienne du 14 juillet 2015 et l’embargo qu’ils infligent au second. Avec les sanctions promises aux Etats et aux entreprises qui poursuivraient leurs relations commerciales avec l’Iran, ce pays subit un étranglement économique.
Contrairement à ce que certains pouvaient penser, Donald Trump n’a jamais souhaité l’affrontement armé avec l’Iran mais conduire cet Etat, sous la pression qu’il endurait, à de nouvelles négociations pour un accord beaucoup plus contraignant. Compte-tenu de l’écart considérable entre les puissances militaires respectives des deux pays, l’Iran ne semblait guère avoir intérêt à engager une épreuve de force. Or, le 14 septembre deux sites pétroliers d’Arabie saoudite ont subi une attaque, celle-ci ayant été revendiqué par les Houthis du Yémen. Vu les capacités techniques nécessaires à cette opération, nul ne doute que l’initiative en revient à l’Iran. Dans un article du 17 septembre publié sur Atlantico De l’Arabie saoudite à Gaza, le Moyen-Orient est-il au bord de la conflagration généralisée ? Ardavan Amir-Aslani écrit Il faut donc appréhender cette attaque comme une surenchère iranienne visant à monter les enjeux avant la tenue des négociations bilatérales entre l’Iran et les Etats-Unis.
Dans le même article Thierry Coville précise La stratégie iranienne a changé depuis mai 2019. Les Etats-Unis sont sortis de l’accord et pendant un an, les Iraniens ont appliqué une politique de patience stratégique. Ils ont respecté l’accord, et ils ont demandé aux Européens de les aider. Les Européens n’ont rien fait. Il y a eu par ailleurs un changement de l’environnement politique en Iran. Tout cela a abouti à une nouvelle stratégie. Il ajoute quelques lignes plus loin Donald Trump est mal à l’aise sur cette question. Il ne veut pas d’un conflit avec l’Iran. Il a refusé de répondre militairement et d’attaquer l’Iran alors que des hommes comme John Bolton le poussaient.
Nous touchons, peut-être là, les limites de la politique de Donald Trump qui consiste, à l’instar d’une négociation commerciale dans une entreprise, à multiplier les pressions pour obtenir les conditions les plus avantageuses possibles. L’action diplomatique relève d’un ordre différent. Elle doit s’inscrire dans une politique qui vise un dessein d’ensemble quant à la position sur la scène internationale et s’agissant des Etats-Unis, première puissance mondiale, d’un équilibre dont il serait, vu du point de vue américain, l’un des garants majeurs sinon le garant.
Michel Leblay et Laurent Artur du Plessis
30/09/2019
Source : Correspondance Polémia