Par Didier Beauregard, journaliste et essayiste ♦ 65 % des Français sont hostiles à une union des droites, titre avec un entrain certain un article du Figaro du 30 septembre sur la base d’un sondage Odoxa pour le quotidien, largement repris et commenté par les médias. Le message est clair, après la Suède et l’Italie, il n’est pas réaliste de rêver à une alliance des droites en France qui pourrait faire basculer l’Europe dans un nouveau paradigme politique, que le système redouterait. La logique des chiffres est sans appel, laissent entendre les commentateurs, puisque les électeurs LR sont 55 % à rejeter une perspective d’alliance avec le RN et Reconquête. Circulez, y a rien à voir ! Cette lecture qui a toutes les apparences de la logique mathématique, est pourtant politiquement erronée ; tout est question de perception, de l’angle de vue que l’on privilégie.
Un phénomène ancien
Au fond, tout d’abord, cette étude d’opinion ne dit rien de nouveau que l’on ne sache déjà ; le phénomène constant de recentrage de l’électorat LR, qui le sépare de plus en plus du vote RN, est bien identifié. Cette force montante d’un centre bourgeois élargi, nous l’avons analysée de nombreuses fois dans les colonnes de Polémia : Aujourd’hui, selon le sondage du Figaro, 51 % des électeurs de LR se disent favorables à une alliance avec Renaissance et 89 % des électeurs de Renaissance sont favorables à une alliance avec LR. Les chiffres sont impressionnants, mais ne disent pas nécessairement ce que l’on veut leur faire dire. A y regarder de plus près, 26 % des électeurs LR sont pour une alliance des droites et 17 % ne se prononcent pas. Ce qui laisse légitimement penser qu’un bon tiers des électeurs LR rallierait sans beaucoup d’hésitation un scénario d’alliance ; ce qui n’est pas négligeable.
LR, une opposition flottante qui ne sait plus où elle habite !
La vraie question, en définitive, n’est pas celle de l’irréalisme d’une union des droites, mais celle de la place de LR dans le paysage politique et de ses conséquences pour l’avenir des droites en France. En 2019, 57 % des électeurs des Républicains étaient favorables à une alliance avec le RN. Le recentrage accéléré de LR le rapproche dangereusement de l’espace politique de la Macronie, et du même coup libère ses électeurs de droite de son emprise. Les électeurs de LR sont logiquement de plus en plus hostiles à une union avec la droite de rupture, car ils sont, tout simplement, de moins en moins de droite ! Les électeurs de la droite traditionnelle, à flux constants, soit rejoignent les partis plus contestataires, soit se réfugient dans l’abstention. LR sur sa lancée tend à devenir, par la sociologie de ses électeurs, un appendice du centre dont les frontières se brouillent avec celles de la Macronie. Sa seule chance de survie réside dans un effondrement de la majorité actuelle qui lui permettrait de récupérer au centre la place dominante qui est celle de Macron aujourd’hui. Ce dernier, toutefois, sait pertinemment que ses réserves sont du côté de l’électorat LR et manœuvre, plus ou moins habilement, pour récupérer cette opposition flottante incarnée par les Républicains.
A contrario, la droite de rupture a vocation à récupérer l’électorat LR fidèle aux idéaux considérés de droite (identité, souveraineté, sécurité ; tout particulièrement) qui aura de plus en plus de mal à se reconnaître dans une « droite » macronisée. On voit bien, aujourd’hui, dans une période cruciale pour un parti politique qu’est le choix de son chef, combien les leaders Républicains sont incapables de définir la nature idéologique de leur parti, tant ils redoutent une clarification toujours repoussée entre une dilution sans restriction dans le centre européiste ou une franche opposition de droite. Ils sont inaptes à tirer les leçons de leurs échecs répétés, dans un réflexe conditionné de rejet pavlovien d’une union des droites, sans pour autant assumer leur large gémellité idéologique avec la Macronie. L’histoire se fera donc sans eux, car l’union des forces de droite- face à la radicalisation des enjeux et des oppositions que nous vivons désormais, au niveau national et international- est un défi vital qui s’impose avec une force grandissante.
Emmanuel Macron, acteur clé de la recomposition de la droite ?
L’électorat de la droite de rupture – RN, Reconquête et droite hors-les-murs – représente aujourd’hui plus de 35 % du vote national, l’apport d’un tiers du vote traditionnel LR et de quelques Divers droites, lui permettrait de franchir la barre des 40 %. La droite s’imposerait alors comme la première force politique du pays, avec une solide base électorale pour viser une victoire dans un deuxième tour présidentiel. De fait, les chiffres du sondage du Figaro montrent que ce scénario d’alliance est réaliste, en dépit de son rejet majoritaire au sein de l’électorat LR résiduel qui n’a plus vocation à incarner une opposition de droite. Les électeurs de la droite de rupture sont prêts à cette alliance et ils forment un bloc cohérent, capable de porter une dynamique unitaire en vue d’une victoire possible. Encore faut-il que leurs dirigeants soient à la hauteur de cet enjeu historique !
Didier Beauregard
07/10/2022
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