Comme le prix de la Carpette anglaise et les Bobards d’Or, le prix Lyssenko est un prix parodique. Ce prix a été créé, par Le Club de l’Horloge en 1990, pour récompenser une personnalité qui a, par ses écrits ou par ses actes, apporté une contribution exemplaire à la désinformation en matière scientifique et historique, avec des méthodes et arguments idéologiques. Le 11 février, le prix Lyssenko 2012 a été remis à Judith Butler, Luc Chatel et Éric Fassin. La première pour avoir développé la théorie du genre ; le second pour l’avoir imposée dans les programmes de l’Éducation nationale. En voici l’explication par Henry de Lesquen. Un texte dense.
La théorie du genre au programme
« On ne naît pas femme : on le devient. » Cette phrase prononcée par Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe (1949) a des relents d’existentialisme : « L’existence précède l’essence », comme disait son maître Jean-Paul Sartre ; l’être humain serait à l’origine parfaitement indéterminé et pourrait choisir d’être ceci ou cela en vertu des choix inconditionnés qu’il effectuerait librement ; mais elle peut être aussi interprétée d’un point de vue environnementaliste selon lequel nous serions entièrement déterminés par les circonstances du milieu et de la société, sans que l’hérédité ait la moindre importance dans la formation de notre identité. En tout cas, la phrase en question est d’une stupidité qui n’a d’égal que sa célébrité, car on est en réalité du sexe féminin, ou du sexe masculin, non seulement dès la naissance, comme les parents s’en aperçoivent juste après l’accouchement, mais neuf mois plus tôt, à l’instant fatidique de la conception, quand le spermatozoïde rencontre l’ovule qu’il féconde, selon qu’il lui apporte un chromosome X ou un chromosome Y. Si Simone de Beauvoir avait écrit : « Homme ou femme, peu importe ! » ou quelque chose du même acabit, l’erreur aurait été moins grossière.
Aussi stupide soit-elle, cependant, la phrase de Simone de Beauvoir est la devise de la théorie du genre. Judith Butler, notre deuxième lauréate, qui aurait pu être citée en premier si nous n’avions tenu compte que de l’influence ou de la contribution intellectuelle, la cite une demi-douzaine de fois dans Gender Trouble : Feminism and the Subversion of identity (Trouble dans le genre – Le féminisme et la subversion de l’identité, Editions La Découverte, 2006), livre de 1990 qui a fait sa gloire dans les milieux féministes et qui demeure la bible des prétendues « études du genre ». En outre, elle a visiblement inspiré le nouveau programme de Sciences de la vie et de la terre (SVT) des classes de première que M. Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, a décidé d’introduire dans l’école de la République à la rentrée de septembre 2011, programme qui prescrit d’étudier le thème : « Devenir homme ou femme ». Il ne s’agit pas, pour le ministre de M. Sarkozy, d’ « être » homme ou femme, mais de le « devenir ». Tout est là, dans cette distinction entre les deux verbes, être et devenir, qui établit un clivage entre la science et l’obscurantisme de la pseudo-science, du charlatanisme lyssenkiste, lequel correspond ici parfaitement au clivage idéologique gauche/droite. (seuls les naïfs s’étonneront de trouver M. Chatel, ministre de M. Sarkozy, du côté de l’obscurantisme et de la gauche.)
La théorie du genre était à peu près inconnue du grand public français jusqu’à ce que le ministre Chatel en prescrive l’enseignement à nos malheureux enfants en septembre 2011. Dans la foulée, Mme Judith Butler a été reçue en grande pompe le 5 octobre 2011 à l’université de Bordeaux, qui l’a nommée docteur honoris causa. Quant au sociologue Éric Fassin, notre troisième lauréat, sa contribution à la théorie elle-même est mince, mais il a introduit la pensée de Judith Butler en France en préfaçant la traduction de son ouvrage fondateur, Trouble dans le genre ; militant acharné de la cause homosexuelle, du PACS, puis du mariage homosexuel, il est intervenu avec véhémence dans un article du Monde le 17 décembre 2011 pour dénoncer les timides tentatives de ceux qui se permettaient de critiquer les manuels établis sur la base du programme de M. Chatel, article dans lequel M. Fassin et ses cosignataires avaient l’impudence de se réclamer de la science !
Soulignons tout de suite la responsabilité pleine et entière du ministre de l’Éducation nationale, donc du président de la République qui l’a nommé, dans cette entreprise de subversion que représente l’enseignement de l’absurde théorie du genre. L’Etat est une organisation hiérarchique et tout ce qui est décidé dans le ministère l’est au nom du ministre. Rien ne peut se faire sans son aval et il lui est loisible de rapporter à tout moment tout acte qui aurait été fait à son insu contre sa volonté. Il est pour le moins regrettable que la plupart des élus ou des responsables d’associations religieuses qui se sont mobilisés contre les manuels scolaires aient feint d’accepter la réponse de M. Chatel, prétendant qu’il n’était pour rien dans la rédaction des manuels. Or, après le titre, « Devenir homme ou femme », on peut lire dans le programme cette description des « compétences attendues » des élèves :
- « Différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales, ce qui relève :
- « – de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société, qui relèvent de l’espace social ;
- « – de l’orientation sexuelle qui relève de l’intimité des personnes. »
Le mot « genre » a été soigneusement évité, certes, mais la manière de traiter du sexe dans le programme est exactement celle de la théorie du genre, qu’on peut justement définir comme le « rôle en tant qu’individu sexué dans l’espace social ». S’il faut acquérir une « identité sexuelle » pour « devenir homme ou femme », c’est bien que cette identité n’est pas donnée à la naissance. En fait, on ne devrait pas parler d’ « identité sexuelle », mais de l’aspect sexuel de l’identité individuelle, car l’identité est un tout. Héritière de la psychanalyse de Freud, bien que considérée comme une hérésie par les psychanalystes orthodoxes (comme le père Tony Anatrella, qui sévit dans les milieux catholiques), la théorie du genre ramène tout au sexe, et ce n’est pas le moindre de ces défauts.
Le terme d’ « orientation sexuelle », qui s’est hélas imposé dans le langage courant, en tout cas dans le politiquement correct, est lui-même biaisé. La métaphore spatiale qu’il contient met sur le même plan les inclinations ou tendances sexuelles des individus, quelles qu’elles soient. Elle pose implicitement qu’il n’y a pas un comportement normal dont s’écarteraient des comportements déviants. Or, c’est une chose de dire que chacun est libre de son corps, que les choix intimes des individus ne regardent qu’eux, et qu’il faut être parfaitement tolérant en particulier à l’égard des homosexuels, qui ont le droit de « vivre leur vie », c’est en une autre d’affirmer que le concept de normalité sexuelle manque de pertinence scientifique.
M. Luc Chatel a donc fait preuve d’hypocrisie quand il a répondu aux critiques, par la voix de son chef de cabinet : « La théorie du genre n’apparaît pas dans le texte des programmes de SVT. » Elle n’y est pas nommément, certes, mais elle y est bel et bien en fait.
Les auteurs des manuels ne s’y sont pas trompés. On lit dans celui édité par Hachette : « Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin. Cette identité sexuelle, construite tout au long de notre vie (…) est pourtant décisive dans notre positionnement par rapport à l’autre. Devenir un individu sexué fait partie intégrante de la construction identitaire. » Ou encore : « La société construit en nous, à notre naissance [il faut sans doute lire : à partir de notre naissance], une idée des caractéristiques de notre sexe. Ce qu’on appelle le genre, c’est cette construction sociale autour du sexe. (…) La construction sociale du genre est variable dans le temps et l’espace. »
Le manuel Bordas s’intéresse à « la transsexualité, ou la discordance entre identité sexuelle et sexe biologique ». Il n’y voit pas une maladie, mais une simple façon d’être, et évoque tout uniment « l’intervention chirurgicale, dite de réassignation sexuelle, (qui) existe depuis quelques décennies ». Au lieu de se dire, selon la formule classique, que l’exception confirme la règle (*) ou la norme, il laisse entendre qu’elle l’abolit. Quand il évoque la prétendue « orientation sexuelle », le manuel ne parle pas, bien entendu, de comportement normal, mais d’hétérosexualité, par opposition à l’homosexualité, et nous propose une photo de la Gay Pride, manifestation dite de la fierté homosexuelle.
La décision du ministre Chatel de mettre la théorie du genre dans la matière « Sciences de la vie et de la terre » est tout à fait vicieuse, car la théorie en question relève de la psychologie, de la sociologie ou de la philosophie, aucunement des « sciences dures », et que, ce faisant, on l’inculque aux élèves comme une vérité couverte de l’autorité de la science, et non comme un sujet de débat. C’est là une entreprise de conditionnement des esprits.
Henry de Lesquen
11/02/2012
(*) C’est un adage du droit et, plus précisément, d’exégèse juridique : si un texte énonce une exception à une règle, il confirme par là l’existence de celle-ci.
Suite de l’article dans sa totalité en PDF, cliquer ici