« Sur la toile ou dans la rue, le lobbying intensif n’a pas fonctionné. Les défenseurs des libertés individuelles se désolent, ce vendredi, que le projet de loi sur le renseignement –dont l’examen s’est achevé jeudi à l’Assemblée nationale– n’ait pas été fortement modifié par les rares députés qui en ont débattu toute la semaine dans l’hémicycle » (1).
La loi sur le renseignement sera votée cette semaine à l’Assemblée nationale. (2) Elle contient, de mon point de vue, une rédaction dangereuse pour nos libertés individuelles. Par Philippe Franceschi, consultant en sécurité.
Son article L. 811-3 liste de manière limitative les motifs d’intérêt public pour lesquels peut être autorisé le recueil de renseignements par des techniques spéciales prévues par la loi. Ces motifs concernent la sécurité nationale, les intérêts essentiels de la politique étrangère, les intérêts économiques ou scientifiques essentiels, la prévention du terrorisme, la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous, la prévention de la criminalité organisée et la prévention des violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique.
La référence à la notion de sécurité nationale, mentionnée par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et précisée en droit interne par le Code de la défense nationale, inclut l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale, ainsi que « la prévention de toute forme d’ingérence étrangère et des atteintes à la forme républicaine et à la stabilité des institutions ».
L’article précédent, L. 811-2, précise pour sa part que les services spécialisés de renseignement ont pour mission, en France et à l’étranger, la recherche, la collecte, l’exploitation et la mise à disposition du gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques, ainsi qu’aux « menaces et aux risques susceptibles d’affecter la vie de la nation ». Ils contribuent à la connaissance et à l’anticipation de ces enjeux ainsi qu’à la prévention et à l’entrave de ces risques et menaces.
C’est le Premier ministre, pierre angulaire du dispositif, qui autorisera et ordonnera ces surveillances.
La rédaction de ces deux articles, à périmètre très large, me paraît ouvrir la porte à la surveillance de journalistes, avocats, magistrats, intellectuels mal-pensants… et de certains hommes et femmes politiques considérés comme dangereux pour la vie de la nation.(3)
Car les derniers propos de Manuel Valls à la télévision portugaise vendredi dernier ne sont pas rassurants à cet égard. Selon lui, il est hors de question que la France « tombe entre les mains du Front national » car elle possède l’arme nucléaire. Cette nouvelle saillie du premier ministre, au-delà du fait qu’elle révèle un mépris total du suffrage universel, vient après d’autres déclarations dans lesquelles il considérait le FN comme un danger pour la France. Manuel Valls pourrait donc, par exemple, arguer du risque d’influence de la Russie sur le FN, et donc d’ingérence étrangère, pour mettre ce parti sous surveillance jusqu’à l’élection présidentielle de 2017. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Les socialistes, du temps de la présidence de François Mitterrand, nous ont habitués à ce genre de forfaiture.
C’est pourquoi il me paraît indispensable que ces notion de « menaces et risques susceptibles d’affecter la vie de la nation » et de « prévention de toute forme d’ingérence étrangère et des atteintes à la forme républicaine et à la stabilité des institutions » soient précisées dans la rédaction finale, afin d’en exclure le périmètre de la vie politique républicaine.
L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne serait même pas protecteur, car s’il consacre le droit pour chacun au respect de la correspondance au titre de la protection (plus large) de la vie privée et familiale, ce même article précise aussi que l’autorité publique ne peut s’ingérer dans l’exercice de ce droit « que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi », ce qui sera le cas.
Il ne serait pas admissible, dans un État de droit, que la lutte contre le terrorisme devienne un prétexte à la surveillance des opposants politiques.
Philippe Franceschi
Source : Boulevard Voltaire
12/04/2015
Notes de la rédaction
- 20minutes.fr
- En réalité le 5 mai prochain, ce qui laisse le temps à plusieurs associations d’envisager de durcir leur mouvement dans la rue pour convaincre les députés de faire marche arrière. (!)
- Le procès d’intention est déjà ouvert au ministère de l’Intérieur et à Matignon, il suffit, pour s’en convaincre, de se référer à cette phrase tout récemment énoncée par le ministre Cazeneuve lors de son audition par la commission des lois : il existe « des mouvements qui en raison des actions qu’il déclenchent peuvent porter atteinte aux principes fondamentaux de la République, je pense notamment aux mouvements identitaires ».