Bassam Tahhan est un islamologue, politologue et professeur de lettres arabes franco-syrien. Il est spécialiste des questions internationales et intervient régulièrement sur France 24.
♦ L’Occident ne peut plus conserver les positions qui étaient les siennes à l’égard de la Syrie il y a cinq ans, estime le géopoliticien franco-syrien Bassam Tahhan, commentant la reprise de la ville de Palmyre par les forces du gouvernement syrien.
RT France : L’armée syrienne gouvernementale vient de libérer la ville de Palmyre et il n’y a quasiment pas eu de réactions de la part de l’Occident, ni de David Cameron, ni de Barack Obama. Pourquoi à votre avis ne réagissent-ils pas à cette victoire ?
Bassam Tahhan :En fait, il n’y a pas eu de réaction jusqu’à maintenant. Il faut rappeler que quand Palmyre a été attaquée, la coalition occidentale qui pouvait voir avancer les forces de Daesh sur Palmyre aurait pu les bombarder mais n’a rien fait. Elle a laissé faire. Si on se reporte aux réactions de la presse occidentale à l’époque, il y a avait même une joie que la prise de Palmyre par Daesh ouvre la voie à une occupation de Damas et à la fin du gouvernement légitime de la Syrie. On a entendu cela dans la presse française et à l’époque je me suis opposé à cette analyse, en disant que même si Palmyre était tombée entre les mains de Daesh, cela ne voulait pas dire que la voie vers Damas était libre. Donc, l’Occident s’est toujours réjoui des victoires de Daesh contre le gouvernement légitime de Damas. Il a beau avoir formé une coalition, c’est lui qui a nourri Daesh, on le sait, par les déclarations de Wesley Clark aux Etats-Unis ou de Roland Dumas en France. Un autre point qui est non négligeable, c’est que quand la Russie a déclaré le retrait partiel de ses forces, certains se sont dit que cette intervention était inutile, dans la mesure où l’armée syrienne n’avait pas engrangé de victoires spectaculaires. Mais à la surprise de tout le monde, on voit que l’armée syrienne est parvenue à arracher Palmyre des griffes de Daesh en dépit du retrait d’une partie des troupes russes.
« L’Occident se trouve affaibli et un nombre croissant de membres de la coalition américaine sont mécontents et se désolidarisent »
RT France : A votre avis, quelles sont les conséquences de la reconquête de Palmyre ?
Bassam Tahhan : On n’a pas encore réalisé que la reconquête de Palmyre permettait de relier la côte syrienne, l’Irak et le Golfe persique.
Même si on ne sait pas encore à quoi la Syrie de demain ressemblera, ce qui est sûr, c’est que le contrôle de Palmyre permet d’envisager la construction d’un oléoduc et d’un gazoduc venant d’Iran, passant par l’Irak, traversant la Syrie pour atteindre la Méditerrannée. Dans cette perspective, Palmyre constitue un point stratégique capital.
Au niveau militaire Palmyre est un poste avancé qui permettra probablement, après sa victoire à Palmyre, à l’armée syrienne de marcher vers Deir ez-Zor et ensuite, d’encercler Racca avec l’appui des forces démocratiques kurdes. De Palmyre l’armée syrienne peut rayonner, aller vers la frontière irakienne, pousser vers le Nord. De plus, cette reconquête de Palmyre permet de rétablir le lien entre Homs, la côte et Damas.
C’est aussi une victoire symbolique, parce que tout le monde s’attendait à ce que l’armée syrienne piétine après l’annonce du retrait des troupes russes. Mais voilà qu’elle remporte une grande victoire, le jour de Pâques, fête chrétienne et, comme par hasard, lorsque cinq parlementaires français sont à Damas.
« La Turquie est la plaque tournante du terrorisme international »
RT France : Comment cette victoire peut-elle affaiblir Daesh, que ce soit en Irak ou en Syrie ?
Bassam Tahhan : Palmyre est un poste-avancé dans le désert, proche de l’Irak, qui permet même de remonter le moral de la coalition internationale en Irak qui prépare la bataille de Mossoul et ainsi que celui de l’armée irakienne. Avec cette libération, la bataille d’Alep devient de plus en plus imminente. L’armée syrienne va probablement nettoyer Alep bientôt. Là où Daesh s’est trompé stratégiquement et militairement, c’est que les terroristes pensaient que l’armée syrienne allait concentrer ses efforts sur Alep. Et voilà que juste après l’annonce du retrait russe, elle attaque Palmyre dans des combats difficiles compte tenu de la nature du terrain et de l’importance du site archéologique qu’il ne fallait pas détériorer avec des bombardements ou des combats trop acharnés.
RT France : Est-ce qu’à votre avis, l’Occident se persuade que la figure d’Assad est indispensable pour la transition politique en Syrie ?
Bassam Tahhan : Je pense que l’Occident se trouve affaibli et qu’un nombre croissants de membres de la coalition américaine sont mécontents et se désolidarisent de l’attitude qui avait été adopté contre Bachar el-Assad. Preuve en est, la déclaration du roi de Jordanie qui a bel et bien dit qu’Erdogan faisait du commerce avec Daesh et qu’il regrettait le fait que l’Union européenne lui donne trois milliards pour soi-disant aider les réfugiés. Cette déclaration est importante dans la mesure où Abdallah dit que toute cette vague de réfugiés ou d’immigrés vers l’Europe a été sciemment organisée par Erdogan. Il y avait des preuves qui démontraient qu’Erdogan faisait un commerce de pétrole avec Daesh et qu’en réalité la Turquie était la plaque tournante du terrorisme international dans la mesure où elle aidait Daesh en Libye, en Somalie et dans le monde entier.
L’Occident ne peut plus garder les positions qui sont les siennes depuis le début de ce qu’on a appelé la crise syrienne il y a cinq ans
Vous ajoutez à cela une réaction encore plus franche du roi du Maroc qui, lors de sa visite à Moscou, a déclaré qu’il soutenait l’intervention militaire russe en Syrie, alors qu’on sait que ces deux rois font partie de la coalition saoudienne contre le terrorisme et même contre le Yémen. Il y a donc un changement capital. On peut dire que cette coalition se délite. Elle est en train de se décomposer à tel point qu’on peut prévoir que le ministre des Affaires étrangères saoudien Monsieur al-Jubeir risque d’être remplacé par quelqu’un d’autre car c’est lui qui a fait monter les enchères en affirmant toujours qu’Assad ne devait pas participer au processus de résolution politique dans les négociations qui se tiennent à Genève ou ailleurs. C’est un camouflet pour la politique non seulement du Royaume saoudien, mais de tout l’Occident.
Un dernier point qui n’est pas le moindre. Ce sont des déclarations triomphales d’Obama dans la revue Atlantic ou il dit clairement que l’Arabie saoudite ferait mieux de s’entendre avec l’Iran et d’arrêter d’avoir cette politique de soutien à l’islamisme dur qui nourrit tous le groupes terroristes islamiques dans le monde. On voit très bien qu’aujourd’hui l’Occident ne peut plus garder les positions qui sont les siennes depuis le début de ce qu’on a appelé la crise syrienne il y a cinq ans.
Bassam Tahhan
28/03/2016
Correspondance Polémia – 31/03/2016
Image : Les forces loyales au président syrien Bachar el-Assad se réunissent devant un palais dans la partie ouest de Palmyre en mars 2016
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