Connaissez-vous les BAME ? Pas forcément, s’agissant d’un acronyme élitiste britannique, savoir Black, Asian and Minority Ethnic, comme l’énonce Emmanuel Todd dans la Défaite de l’Occident[i].
Les minorités sur un piédestal
L’auteur relève le mépris des élites britanniques pour leur propre peuple : « Plèbe à laquelle on impose désormais d’être dirigée par les descendants visibles des anciens dominés de l’Empire. » Emmanuel Todd illustre son propos en précisant qu’en 2019, « la probabilité pour un jeune Anglais blanc d’accéder à l’éducation supérieure était de 33 %, celle des Noirs de 49 %, celle des « Asian » de 55 %. »
Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce que l’avant dernier Premier ministre britannique ait été Rischi Sunak, Indien par le sang, et que le maire de Londres soit le Pakistanais de souche et musulman Sadiq Khan. Quant au chef du Parti national écossais, il s’agit d’un congénère et coreligionnaire du précédent, Humza Yousaf… La plèbe insulaire doit demeurer la race inférieure, Todd remarquant que dès le XIXème siècle l’élite anglaise considérait « les ouvriers blancs [comme] une race à part. » N’en est-il pas de même de nos jours, en France, envers les Gilets jaunes, pécheurs et paysans ?
Cette promotion ainsi privilégiée des anciens colonisés suscite l’enthousiasme d’un journaliste français bien en vue, Renaud Girard, qui a signé une chronique révélatrice dans le Figaro (5 novembre, page 21) sous le titre : « Les Occidentaux ont, chez eux, surmonté le racisme ».
Ravages du wokisme dans la presse conservatrice
La chronique jubilatoire de Renaud Girard se fonde d’abord sur l’accession à la tête du Parti conservateur britannique de la Nigériane de souche Kemi Badenoch, en remplacement de l’Indien de sang Rishi Sunak précité. Élargissant son propos, le journaliste du Figaro se félicite également du choix du Parti démocrate américain de présenter à la présidence des États-Unis la métisse afro-indienne Kamela Harris, supputant avec gourmandise ses chances (« sondages extrêmement serrés »). Le triomphe de Donald Trump a dû lui faire bien de la peine, comme évidemment à tous les wokistes.
Même écrivant sous la rubrique du Figaro « Champs libres / Opinions », M. Girard, manifestement perclus de bons sentiments, ne sait peut-être pas même qu’il est contaminé par le wokisme, fondé sur la convergence (« intersectionality ») des luttes des minorités et non sur la simple libre promotion indistincte des personnes non « racisées ». Il est vrai qu’avant la lettre du wokisme, ces minorités ont reçu une protection privilégiée en France avec notamment les lois Pleven de 1972 et Perben II de 2004. Le chroniqueur semble avoir si peu conscience de sa contamination qu’il se réclame de l’autorité du général De Gaulle, de façon assez incongrue, en constatant simplement que le Général avait d’excellentes relations avec Félix Éboué (1884-1944), administrateur colonial guyanais et résistant (quel rapport ?). Il en a si peu conscience qu’il revendique, de façon tout aussi incongrue, Jacques Bainville, le citant : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation ».
La lecture de la chronique, à l’unisson de son titre, montre que son auteur se réjouit de l’humiliation des peuples européens et souhaite implicitement voir la France et son peuple soumis aux « descendants visibles des anciens dominés de l’Empire », pour étendre le propos d’Emmanuel Todd. Aussi Renaud Girard regrette-t-il probablement que les Français de souche européenne soient encore majoritaires chez eux dans l’enseignement supérieur…
Les errances d’un individu ultime
Incongrue la référence à De Gaulle à rebours des sentiments de celui-ci qui, faussement dubitatif, interrogeait Alain Peyrefitte en ces termes : « Vous voyez un président arabe à l’Élysée ? » (1959). Rappelons brièvement qu’il disait dans la foulée : « Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne.[ii] » Nos concitoyens autres, ne devant rester qu’« une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France ». Tout aussi incongrue la référence à Bainville, qui parlait bien sûr de la constitution de la France au sein de peuples européens et non de sa colonisation future par des peuplades exotiques.
Girard, contrairement à De Gaulle, à vous et à moi, n’a donc implicitement ni race, ni ethnie, ni nation, somme toute un être anomique. Il illustre parfaitement la critique de l’individu contemporain par Emmanuel Todd : « L’individu ne peut être grand que dans une communauté et par elle. (…) Nous devenons une multitude de nains mimétiques qui n’osent plus penser par eux-mêmes ».
En effet, Renaud Girard est un être atomisé, un être ultime, « garçon sans importance collective … tout juste un individu » (Céline – l’Église). Rien.
Éric Delcroix
13/11/2024
[i]Gallimard, 2024.
[ii]C’était De Gaulle, Éditions De Fallois/Fayard, 1994, Vol. 1.