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L’immigration : un séisme dans l’Histoire universelle

L’immigration : un séisme dans l’Histoire universelle

par | 30 septembre 2015 | Société

L’immigration : un séisme dans l’Histoire universelle

La marée d’immigrés qui submerge progressivement l’Europe depuis des décennies (et pas seulement l’afflux brusque des vrais et faux réfugiés qui n’est qu’une partie du problème) doit être évaluée par référence à l’histoire générale des peuples et non selon les canons de l’idéologie dominante. Autrement dit il convient d’analyser ces mouvements migratoires avec sang-froid : il n’appartient pas à de hauts responsables politiques, tout à coup éveillés, de céder à une émotion et à une sensibilité de midinette et de prôner compassion et solidarité illimitées. Il faut plutôt s’efforcer de voir si et à quel point les événements du moment s’inscrivent dans une perspective historique propre à faciliter leur compréhension. Et ici je crois qu’une citation de Rousseau, sous les auspices de laquelle j’avais déjà placé un précédent article pour Polémia, doit être reprise car elle fournit un cadre idéal à la réflexion. Dans le Contrat social, Rousseau écrivait :

« Tous les peuples ont une espèce de force centrifuge par laquelle ils agissent continuellement les uns contre les autres et qui les pousse à s’agrandir aux dépens de leurs voisins. »

Et en effet, les peuples n’ont jamais vécu durablement leurs relations sur le mode évangélique. On peut certes le regretter. Qui ne le regretterait ? Mais c’est une donnée de fait et qui s’impose pour longtemps. Dans ces heurts, en effet, où seul l’intérêt du groupe est pris en compte, on s’abstient de toute concession qui serait fondée sur la morale, la générosité ou la charité : car chacun la tiendrait pour une faiblesse, propre surtout à rompre l’équilibre des forces en accroissant les capacités des rivaux. C’est pourquoi la volonté de puissance, celle d’asseoir l’influence du groupe, de sa religion, de sa culture ; ou encore le souci de s’assurer à l’extérieur les ressources nécessaires à la prospérité du groupe ; ou encore le désir d’améliorer les conditions de vie au détriment du peuple voisin s’il le faut… voilà quelques-uns des motifs qui font l’histoire des peuples.

Une des confrontations entre ces derniers va retenir notre attention d’autant plus qu’elle est d’un type plutôt rare : elle fut marquée par une inégalité de départ assez nette entre les protagonistes et, pourtant, c’est le « peuple » réputé le plus faible qui allait le premier « agir » contre l’autre et l’emporter.

En cette circonstance, des conditions particulières étaient réunies. On trouvait, d’une part, un peuple organisé en État, très puissant, hautement civilisé, opulent, mais n’abritant plus qu’une population vieillissante et en rapide déclin – tel était l’Empire romain à la fin du IIe siècle – et, d’autre part, des peuples au développement culturel, économique et matériel moindre mais en expansion démographique : ceux qu’on a appelés les Barbares. En l’absence d’une action compensatrice vigoureuse et de longue haleine, le dynamisme démographique et le dynamisme plus général qui l’accompagne allaient montrer qu’ils constituaient un facteur de force capital, prouver que le déséquilibre constaté à l’origine n’était qu’illusion et jouer un rôle majeur dans la confrontation. Ce fut le drame de l’Empire romain.

Dès le premier siècle les légions avaient affronté les Barbares qu’elles avaient rejetés au-delà du Rhin et du Danube. Mais le conflit restait latent, bien sûr, et il avait pris la forme d’une pression extrêmement vive mais non armée, exercée sur le limes : individuellement ou en troupes, les Barbares entendaient s’installer chez les Romains, dans l’intention bien compréhensible d’y trouver des avantages dont ils étaient privés chez eux. Écoutons Camille Jullian :

« Il est vrai que beaucoup de ceux qui vont franchir isolément la frontière le feront en solliciteurs, prêts à vendre leurs services et au besoin leur liberté en échange de beau pain, d’or et d’armes brillantes. La plupart de ceux-là mêmes qui se forment en grandes bandes et forcent la barrière des Gaules n’ont pas d’espérances supérieures : il s’agit pour eux de rester, de gré ou de force, sur des terres romaines, de s’y faire accepter de l’empereur à quelque titre que ce soit… » (1)

Ce texte pourrait, aujourd’hui même, être écrit mutatis mutandis à propos de l’immigration en Europe… Mais restons encore un moment à Rome.

Bien avant ce qu’il est convenu d’appeler les grandes invasions, les Barbares avaient donc pénétré l’Empire dans les conditions résumées par Camille Jullian, c’est-à-dire soit en forçant les frontières, soit avec l’accord de Rome : le pouvoir impérial, en effet, s’inquiétait de diverses défaillances de la société romaine, dues pour l’essentiel à la diminution de la population. Il acceptait donc ou recherchait l’installation de Barbares pour qu’ils contribuassent à y remédier, ce qui amenait notamment à les incorporer dans l’armée (où ils pouvaient se trouver en unités constituées) et à leur remettre une part des terres agricoles.

Il n’est pas possible de mesurer avec précision ce que fut cette pénétration, mais on sait qu’elle provoqua une « barbarisation » de certains usages dès le IIIe siècle et que des regroupements communautaires de Barbares se produisirent sur l’étendue de l’Empire qui, à terme, favorisèrent les assauts finalement victorieux des grandes invasions. « L’ennemi était dans la place » (2) et « L’invasion fut facilitée par la barbarisation progressive de l’empire. » (3)

Pourrait-on dire que ces implantations de Barbares acceptés « de gré ou de force » furent une avant-garde dépêchée par les futurs envahisseurs ? Non, bien sûr : il est évident qu’aucun plan à long terme ressemblant de près ou de loin à un dessein n’exista jamais en l’espèce. Il n’en reste pas moins qu’objectivement, et même en l’absence de toute intention agressive, de telles implantations finissent par apparaître pour ce qu’elles furent : les avant-gardes d’une invasion.

Comment ne pas faire le rapprochement avec la situation contemporaine de l’Europe et spécialement de la France face à l’immigration ? Ne retrouve-t-on pas dans l’un et l’autre cas un écart écrasant entre les capacités techniques et matérielles des deux camps ? La même donnée fondamentale d’ordre démographique ne se retrouve-t-elle pas hier et aujourd’hui ? Et, si l’on fait abstraction de leur tout récent raidissement face à la marée de « réfugiés », les pays européens n’ont-ils pas adopté une attitude d’accueil voisine de celle de Rome ? Le « peuple » réputé le plus faible ne mène-t-il pas son combat asymétrique de la même manière en 2015 qu’en 200 ? Incontestablement. Et ces considérations suggèrent d’essayer de répondre à la question posée en introduction et de juger le phénomène migratoire contemporain.

Procédant notamment de données d’ordre démographique, ce phénomène ne se ramène pas à un déplacement douloureux de malheureux que, selon l’idéologie dominante, l’Europe se devrait d’accueillir, quel que soit leur nombre et quoi qu’il en coûte, par humanité, générosité et les bras ouverts.

Non, le phénomène migratoire contemporain est bien autre chose. Il est aussi l’invasion d’un continent et de sa civilisation par des peuples qui lui sont étrangers. Il est enfin l’expression d’un mouvement de fond de l’Histoire, une sorte de secousse tellurique, qui semble imposée par la nature des choses, puisque, concomitamment, s’affichent le dynamisme démographique du tiers-monde et le déclin de l’Europe.

Ce mouvement, si rien n’est fait pour agir sur lui (et rien n’a été fait en France depuis cinquante ans sinon pour l’encourager), pourrait se transformer à une échéance plus ou moins éloignée en une de ces opérations évoquées par Rousseau : une partie significative du territoire européen pourrait passer sous le contrôle des communautés d’immigrés déjà installées et/ou serait envahie de l’extérieur. L’événement fermerait une ère et en ouvrirait une autre : il serait d’une portée analogue à celle de la chute de l’Empire romain ou à celle du triomphe naissant de l’Europe du XVIe siècle.

Pierre Milloz
21/09/2015

Notes

  1. Camille Jullian, Histoire de la Gaule.
  2. Internet, site « Les barbares et l’empire romain »
  3. Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse.

Image : Tableau Les invasions barbares, Ulpiano Checa y Sanz (1887). (A partir du IIIe siècle ap. J.-C. arrivent les Barbares venus de l’autre côté du Rhin : Francs, Saxons, Wisigoths, Burgondes, Vandales, Alains, Suèves.)

Pierre Milloz

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