Par Didier Beauregard, journaliste et essayiste ♦ Avec 7 villes de plus de 100 000 habitants à leur actif, les Verts sortent grands vainqueurs du scrutin des municipales. Une victoire incontestable, mais sans éclat, car remportée dans un paysage politique dévasté, où le seul vrai vainqueur est l’abstention. Une victoire par ailleurs portée, très en amont, par un formidable travail de propagande de mise en condition des masses sur le réchauffement climatique. Les Verts n’avaient plus qu’a récolter les fruits murs d’une ingénierie sociale performante, symbolisée par l’image iconique d’une adolescente formatée qui fait un peu penser à un personnage virtuel, comme échappé d’un manga.
La deuxième évidence de ce scrutin est la confirmation de la défaite annoncée du parti présidentiel. La Macronie est mal en point, mais, de fait, elle a toujours fonctionné sur un équilibre bancal, qu’elle n’a jamais vraiment stabilisé, entre centre droit et centre gauche. Un léger déplacement de son électorat bourgeois progressiste vers le vote écolo de gauche suffit à la fragiliser. Au fond, ce scrutin ne change à peu près rien aux fondamentaux sociopolitiques du pays. Ni les victoires, ni les défaites apparaissent décisives : les écolos sont très loin d’avoir prouvé leur capacité à construire une force politique nationale présidentiable. Macron est fragilisé mais ses capacités de manœuvre ne sont pas anéanties. Le PS et LR sauvent les meubles grâce à l’abstention et le gain de la prime au sortant, mais semblent perdre toute capacité de leadership, avec un PS qui coure derrière les Verts et une droite largement délaissée par ses électeurs. Le RN confirme son implantation durable, mais aussi son incapacité chronique à franchir des seuils décisifs, en dépit de la victoire symboliquement forte de Perpignan. Quant à l’extrême gauche LFI, elle se perd dans les brouillards de la cause racialiste, sous la houlette d’un vieux chef usé qui constate dépité le rétrécissement constant de son espace politique.
La force des clivages sociaux
Pour autant, cette séquence électorale perturbée confirme la cristallisation politique du pays autour de ses clivages de classe. Une leçon capitale qui n’a cependant rien d’une révélation, les récents sondages disaient la même chose, mais qui va déterminer toute stratégie politique dans la perspective présidentielle. Chacun le ressent bien, les municipales, au-delà du battage écolo, n’ont rien démontré de probant, elles ne sont qu’un point d’étape vers 2022.
La sociologie politique du pays est plus que jamais conditionnée par l’opposition entre espaces urbains bourgeois et France périphérique populaire. La vague écolo est surtout celle des centres urbains. Elle représente une idéologie de substitution pour des groupes sociaux portés par un individualisme profond déterminé par un sévère darwinisme social ; les « winners » s’en sortent ! Ces bourgeoisies urbaines, qu’elles soient conservatrices ou progressistes, sont façonnés dès l’enfance par la culture de la compétition scolaire qui détermine largement la réussite professionnelle et la distinction sociale. Elles visent d’abord à la conformité sociale qui protège, autant que possible, des accidents de parcours. Ce qui veut dire que toute pensée critique systémique est dangereuse, ainsi que toute forme de radicalité qui briserait le conformisme du consensus.
D’où l’impossibilité de la bourgeoise, conservatrice ou progressiste, de s’identifier au mouvement des Gilets jaunes, que sa turbulence émeutière a enfermé dans le camp du mal populiste. Le dernier sondage Ifop/Cnews sur les intention de vote en 2022 *, montre, à contrario, les scores élevés de Marine Le Pen dans les classes populaires et les actifs du salariat : les ouvriers (55%), les salariés du secteur privé (38%) et les 50-64 ans (37%) qui représentent la tranche d’âge socialement la plus vulnérable.
Ce déterminisme sociologique est culturel et psychologique, il dépasse les frontières droite/gauche, il se définit plus parce ce qu’il rejette- le désordre qui malmène la raison gestionnaire du consensus- que ce à quoi il adhère. Il peut réunir centre droit et centre gauche dans un ensemble qui, renforcé par le vote légitimiste des seniors, représente un courant qui peut se solidifier aisément autour des 25 à 30% du corps électoral. Il est impressionnant de voire que 30% des électeurs de Fillon se disent décidé à voter pour Macron en 2022, alors que beaucoup d’électeurs de la droite classique l’avaient déjà rejoint en 2017*.
Ce bloc sociologique central est la force qui depuis 2017 détermine l’issue des batailles électorales, car il garantit le ticket d’accès au deuxième tour d’une présidentielle. Macron est le premier a avoir su surfer sur cette vague, avec tout le soutien de la logistique médiatique du système. Le fruit, longuement muri, était prêt à être cueilli. Mais ce qui a fait la force de Macron, fait aussi sa faiblesse. Le jeu d’équilibre entre centre droit et centre gauche est un réglage délicat que de faibles variations peuvent déstabiliser. A ce titre, la captation d’une part non négligeable de l’électorat de centre gauche par les Verts, n’est pas une bonne nouvelle pour Macron, elle affaiblit son dispositif gagnant. Il est loin d’être acquis que sa surenchère actuelle dans le politiquement vert suffise à contrecarrer cette tendance.
Un scénario post Macron !
Mais aussi, et d’abord, la mythification de la victoire de Macron sur le mode du jeune prodige que personne n’a vu venir, cache une réalité plus triviale ; l’espace très ouvert d’une candidature de premier tour pour assurer une victoire à coup sur au deuxième face à la candidate FN. Autrement dit, une fois éliminé le favori Fillon, grâce à un guet-apens médiatico-judicaire, l’essentiel du travail était fait pour le candidat du système, sans qu’il ait à faire preuve de qualités politiques exceptionnelles. Autrement dit encore, ce que lui a fait, d’autres peuvent le faire aussi sans être des personnalités particulièrement marquantes. En clair, Macron a bien tenu le rôle de candidat du système, mais il est beaucoup plus interchangeable qu’il ne l’imagine.
Nous avons déjà examiné la liste des candidats potentiels et crédibles pour un deuxième tour des présidentielles *, l’essentiel des ces personnalités ne sont que des choix de seconde main, assez peu taillés à priori pour remplacer Macron dans un processus classique de sélection des candidats. Mais, il ne faut jamais sous estimer la capacité du système à créer de nouveaux scénarios, du story telling pour faire émerger de nouveaux acteurs. Ce qui a été fait avec Macron, peut-être refait avec un autre. La scénographie médiatique nous vend actuellement l’histoire de l’irrésistible ascension d’Edouard Philippe, en tant qu’image inversée d’un Macron à la baisse. Paris Match, organe officielle de l’institutionnalisation des people qui ont le vent en poupe, lui a même consacré sa Une. Edouard Philippe coche bien des cases de la conformité bourgeoise qui légitime un candidat dans le système, mais son lien avec Macron le phagocyte, et Macron n’a aucun intérêt à le remplacer, contrairement aux rumeurs récurrentes. Philippe conforte l’aile droite du Président et partage avec lui la responsabilité de sa politique qui l’empêche de se présenter comme une alternative. Il devrait sinon, comme Chirac en 1978 ou Macron en 2016, provoquer lui-même la rupture ; ce qui apparaît assez peu crédible.
Qui est le sauveur ?
L’essentiel va d’abord se jouer sur le front économique et social et non sur le front politique. L’ampleur de la crise à venir déterminera la capacité de Macron à tenter un deuxième mandat ou non. Elle ouvrira également la possibilité pour le système de chercher son candidat hors de la sphère politique classique, dont tout le monde aujourd’hui ne peut que constater le discrédit. Une dramatisation de la situation du pays conduira logiquement à chercher une alternative dans des profils plus gestionnaires ; un scénario Macron bis, mais avec plus de maturité, d’équilibre et moins clivant.
Une personnalité semble aujourd’hui largement capable de répondre à ces critères compte tenu de son parcours exemplaire dans les différents champs d’action du pouvoir et de la réussite sociale ; littéraire, entrepreneuriale, et politique, au niveau national et, désormais, européen. On évoque, bien sûr, le personnage de Thierry Breton, actuel commissaire européen, chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l’espace, dont l’impressionnant CV, quintessence de l’excellence française, ne pourrait que rassurer un pays en pleine tourmente économique. L’homme est habile, posé, déterminé, et lesté d’un parcours de long terme qui ferait un excellent contrepoint au jeunisme agité de la séquence Macron. Il peut séduire d’emblée le bloc central des bourgeoisies urbaines, tout en rassurant les classes moyennes déstabilisées et même les classes populaires. Le storry telling du consensus médiatique, Paris Match en tête, est écrit d’avance, et il peut enterrer Macron aussi rapidement qu’il la porté au pinacle.
Didier Beauregard
02/07/2020
*Sondage Ifop Fiducial du 22/06/2020
*Idem
*« Macron peut-il échapper à la « Hollandisation » de son quinquennat? » ; Polémia du 6/02/2020
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Domaine public
- Les élections européennes vont officialiser l’après Macron - 24 mai 2024
- Conflit israélo-palestinien : le « théâtre » antiraciste dévoilé - 26 novembre 2023
- La droite se meurt, vive les droites ! - 3 avril 2023