Louis Lorphelin, essayiste
♦ Ces six derniers mois, un engagement caritatif m’a conduit au Liban. Ce fut une expérience humanitaire, humaine, spirituelle exceptionnelle mais, par certains côtés, inquiétante aussi, car j’y ai vu le futur de la France… enfin, celui vers lequel la République nous conduit si notre peuple n’opère pas le sursaut identitaire nécessaire, vital, salutaire qui sauverait notre civilsation helléno-chrétienne déjà bien mise à mal par des décennies de consumérisme nihiliste et de marxisme culturel.
Le processus est déjà bien amorcé chez nous, les premiers coups ont déjà été tirés. Combien de morts faudra-t-il encore pour espérer un réveil de la conscience européenne ?
La Suisse du Levant, un lointain souvenir
Au Musée Sursok, situé au cœur des beaux quartiers de Beyrouth, avait lieu une exposition montrant des photographies anciennes de la capitale libananaise, mais aussi du reste du pays. La comparaison avec la période actuelle est cruelle et fait mal au cœur. Quarante ans et une guerre ethnico-religieuse (1975-1990) suivie de 15 ans d’occupation syrienne plus tard, la Perle d’Orient n’est plus que l’ombre d’elle-même : une côte méditerranéenne bétonnée, victime d’une folie immobilière destructrice et de la corruption des élus, une nette régression de la qualité de vie, une
économie en berne faisant la part belle au système D, des infrastructures mal voire pas entretenues du tout, et surtout une extrême communautarisation de la société. Sans compter une classe politique corrompue, brillant par son népotisme et son inertie (cf. la crise des ordures), et soumise à des intérêts étrangers contradictoires, à savoir l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Syrie et Israël.
La douceur de vivre de ce pays, vivant des fruits du protectorat français ayant pris fin en 1943, n’est qu’un lointain souvenir. Il en reste quelques traces au détour d’une rue de Beyrouth, où il subsiste encore quelques maisons ayant échappé à la spéculation immobilière saoudienne ou de la famille Hariri, mais pas seulement. Douceur de vivre s’étalant également sur les murs de l’excellent restaurant Chez Pepe, situé sur le port de plaisance de Byblos. On y voit en photos l’ancien propriétaire, Pepe Abed, posant avec la jet-set du monde entier : Mireille Darc, Belmondo, Aretha Franklin, Marlon Brando… Un âge d’or désormais révolu.
Aujourd’hui, la libanisation du Liban
Le Liban est un petit pays, grand comme la moitié de la Bretagne. Il compte 4 millions d’habitants libanais auxquels s’ajoutent environ 2,5 millions de réfugiés répartis comme suit : 500.000 Palestiniens, dont certains sont là depuis la spoliation des terres par l’entité sioniste en 1948, et 1,5 à 2 millions de Syriens, la plupart arrivés en 2011 depuis la déstabilisation de la Syrie par l’Etat Islamique. Sur ce petit territoire, 18 communautés religieuses cohabitent : maronites, grecs-catholiques, syriaques-orthodoxes, arméniens, chaldéens, druzes, sunnites, chiites… Les chrétiens, majoritaires dans le Liban d’avant-guerre, ne représentent plus que 30% de la population aujourd’hui, beaucoup ayant émigré. Ceux qui restent font peu d’enfants comparés aux musulmans, étrangers ou non. Le Grand Remplacement est devenu tellement problématique qu’une réforme de la nationalité a été adoptée récemment : seuls les enfants dont le père est libanais peuvent désormais acquérir la nationalité.
La communautarisation de la société libanaise, qui fait fantasmer tous les « vivre-ensemblistes » UMPS, est en réalité une paix fragile sous tension, sans cesse éprouvée par des faits divers sanglants alimentant les colonnes de L’Orient-Le Jour. Les communautés cohabitent rarement. Elles vivent plutôt juxtaposées les unes à côté des autres. Les districts (régions), appelés cazas, sont séparés par des checkpoints de l’armée. L’entrée des villes sont également surveillées et gardées. En cas de problème (attaques, attentats, …), elles peuvent être bouclées en 30 secondes.
D’une région à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un quartier de Beyrouth à l’autre, le changement d’atmosphère est palpable, accentué par la diversité des paysages. Ainsi, à Tripoli, qui ne se trouve qu’à une heure au nord de Beyrouth, la vie est réglée par un sunnisme rigoriste. Il est conseillé aux
touristes de ne pas s’y aventurer seuls. Le magnifique vieux souk s’étalant au pied de la citadelle croisée nous emmène loin en Orient : femmes voilées, hommes barbus en djellabah, regards insistants sur les jeunes filles et les femmes laissant dévoiler un peu de peau, population vivant au rythme des appels à la prière du muezzin… Aux balcons ou sur les pare-brise des voitures, un œil attentif pourra déceler des drapeaux de soutien à l’Etat Islamique. On y sent une atmosphère lourde, pesante, contrastant fortement avec le mode de vie très occidentalisé de Byblos ou de certains quartiers de la capitale (Gemayzé, Mar Mikhaïl), connus pour leurs fêtes nocturnes et leurs bars accueillants.
Au centre-ville de Saïda, ville autrefois majoritairement chrétienne, subsiste l’évêché grec-catholique, îlot perdu au milieu des sunnites devenus majoritaires pendant la guerre. Quelques familles tentent à grand-peine de réinvestir le quartier, mais avec peu d’espoir de réussite. Les chrétiens préfèrent vivre dans les villages alentour plutôt que d’être minoritaire en terre d’islam. Le promeneur déambulant dans la vieille ville pleine de charme sera accueilli à l’entrée du quartier palestinien par un portrait géant de Yasser Arafat.
A Baalbek ou à Hermel, les deux principales villes de la Bekaa, ainsi que dans le Sud-Liban, la vie communautaire est réglée par le Hezbollah, la milice armée du parti chiite, accusé par les chrétiens d’être trop affilié aux ayatollahs d’Iran. Bien que hospitalières, ces régions font ressentir à l’étranger de passage un sentiment d’être en trop dans le paysage. Le sentiment de malaise n’est pas aussi net que chez les sunnites, mais on ne s’attarde pas dans les villes et encore moins les villages sans y être introduit par un membre ou invité formellement par la population. Les territoires sont nettement marqués. Tout le long de l’autoroute entre Sidon et Tyr, dans les villages, les quartiers, flottent les drapeaux jaunes du Hezbollah et verts du parti Amal. A l’entrée des villes, l’automobiliste est accueilli par des silhouettes géantes de Nasrallah, chef charismatique du Hezbollah, ou d’autres cheikhs. Bienveillants avec les minorités sur leur territoire, les chiites font néanmoins sentir qu’ils sont chez eux, et le montrent avec insistance.
Le bastion des chrétiens se situe autour du Mont-Liban, et le long de la côte, de Beyrouth à Byblos. L’épicentre étant bien sûr Bcharré, ville de montagne au pied de laquelle s’étend la sainte vallée de la Qadisha. J’ai eu la chance de fêter avec des amis libanais le nouvel an dans un petit village de montagne, au cœur du fief des Forces libanaises. Je me souviendrai toujours du chef de la section locale venu nous souhaiter une Bonne Année, fusil à l’épaule, le visage grave marqué par les combats de jeunesse.
Les réfugiés palestiniens vivent pour la plupart dans des camps protégés par l’armée. On ne peut y entrer ou en sortir sans autorisation. Ces petites bandes de Gaza, mises en place par les Libanais pour se protéger, sont caractérisées par une grande pauvreté, terreau de trafics et violences en tout genre, gérées par des parrains faisant régner leur loi.
Les réfugiés syriens, en grande majorité sunnites, ont quant à eux investi la plaine de la Bekaa, au nord-est du pays. Ils vivent dans des campements de fortune, survivant plus ou moins grâce aux subsides des Nations unies et autres associations internationales. Mais ils essaiment dans tout le pays, étant considérés comme de la main-d’œuvre bon marché.
Un mot sur Beyrouth enfin. La capitale est divisée en quartiers. Certains sont chrétiens, d’autres chiites, sunnites, certains sont dits « mixtes ». Le centre-ville, appelé Downtown, est un cas d’école de ghettoïsation. Ce riche quartier d’affaires appartient aux Saoudiens, auxquels est liée la famille Hariri. Ce quartier, vide la plupart de l’année, les propriétaires habitant dans le golfe, est protégé jour et nuit par la police. Pour accéder le dimanche aux églises qui n’ont pas été transformées en mosquées, les fidèles sont priés de montrer patte blanche (carte d’identité, passeport…). Le quartier… qui se trouve dans la banlieue sud de Beyrouth est, quant à lui, géré par le Hezbollah. La milice y contrôle les entrées. Il est fortement déconseillé aux non-résidents de fréquenter cette zone ultra-sensible géopolitiquement, cible d’un attentat le 12 novembre dernier.
Voici donc, en quelques mots, un portrait sombre mais néanmoins réaliste d’un pays ultra-communautarisé, fruit d’une guerre ethnico-religieuse. Il en résulte une société cloisonnée, dont les habitants (surtout chrétiens) ont peur de sortir de leurs sentiers battus dans leur propre pays.
« Demain, ce sera votre tour »
La plupart des chrétiens que j’ai rencontrés lors de mes pérégrinations m’ont répété la même chose, qu’ils soient étudiants, hommes d’affaires, prêtres, évêques ou religieuses : l’Europe en général et la France en particulier courent à la catastrophe. La submersion migratoire d’une population quasiment islamique (sans compter celle déjà présente depuis les années 1960) signifie à court ou moyen terme la guerre sur notre sol, comme le Liban l’a connue lorsque la cohabitation (censée être provisoire) entre les chrétiens et les musulmans palestiniens n’était plus supportable. Quand les attentats ont touché Paris, alors même que Beyrouth avait été frappée la veille, les Libanais, habitués à vivre sous la menace terroriste depuis leur naissance pour la plupart, ont fait part d’une grande sollicitude envers la communauté française. Tout en nous prévenant : « Avec la politique suicidaire menée par vos dirigeants, il faudra malheureusement vous y faire. » Le clergé libanais, habitué à côtoyer la secte mahométane depuis le VIIe siècle, est affolé de la dhimmitude de la plupart des prélats français. Mes interlocuteurs n’en reviennent pas lorsque je leur raconte les intentions de prière dans certaines paroisses lors de l’entrée en ramadan, ou de la présence d’évêques à la rupture du jeûne des musulmans. Ils se demandent où est passé l’esprit de saint Louis et des Croisés, dont le souvenir émaille le paysage libanais.
Si nous ne puisons pas dans nos ressources spirituelles profondes pour sortir de notre torpeur face à la guerre qui vient, comme l’ont fait les chrétiens libanais en 1975, le sort de la vieille Europe et de la France est scellé. Son futur est désormais visible à 4 heures d’avion : une population chrétienne désormais minoritaire sur son propre territoire, marquée par 15 ans de guerre civile, se terminant par une société balkanisée, qui ne fait rêver que les pacifistes béats et autres utopistes aveugles. Le processus est déjà bien amorcé chez nous, les premiers coups ont déjà été tirés. Combien de morts faudra-t-il encore pour espérer un réveil de la conscience européenne ?
Louis Lorphelin
4/04/2016
Correspondancec Polémia – 6/04/2016
Image : Place des martyrs à Beyrouth en 1950