Dans Sparte et l’idée spartiate – Des origines au déclin (Éditions La Nouvelle Librairie, 70 pages, 9 euros), Frédéric Éparvier, contributeur régulier de Polémia, retrace avec brio l’histoire d’une cité antique célèbre pour ses idéaux de discipline militaire, de courage et de vie frugale. L’auteur veille à se garder de deux « fantasmes politiques » : le « mythe égalitaire » défendu par Rousseau et Gracchus Babeuf, et le « mythe militariste et de pureté ethnique » célébré par la Prusse et ses épigones.
Les invasions indo-européennes
La Grèce préhellénistique est peuplée par « un fouillis de peuples que l’on appelle les Pélasges », arrivés d’Asie centrale par vagues successives vers 2500 avant notre ère.
Cinq siècles plus tard, les Achéens, partis très vraisemblablement des plaines pontiques, les submergent progressivement. Entre -1400 et -1200, ce peuple d’origine indo-européenne s’installe en Laconie, à l’extrémité orientale et méridionale du Péloponnèse.
Sparte devient une grande bourgade dont le sous-sol est riche en porphyre et en plomb. En outre, les terres de la région sont favorables aux récoltes de blé, d’olives et de citrons. À partir de -1000, de nouvelles peuplades venues du nord, les Doriens, conquièrent le Péloponnèse puis la Laconie et les plaines de la vallée voisine de Messénie. En -657, la victoire du Grand Fossé leur assure la domination sur le sud du Péloponnèse.
La période classique (-650 à -370)
Selon la légende, Lycurgue, « un législateur de sang royal, inspiré des Dieux », donne « à la cité de Sparte des institutions qui devaient faire d’elle, et pour près de trois cents ans, la première cité de Grèce ».
La base de l’organisation sociale repose sur l’obéissance aux lois et aux dieux. La Grande Rêthra, un texte d’une vingtaine de lignes composé par le fondateur légendaire, institue le culte de Zeus et d’Athéna, les assemblées des anciens et des citoyens ainsi que la division en communautés.
La constitution de la cité est marquée par la recherche de l’équilibre entre les pouvoirs. Les citoyens de « race pure » élisent les législateurs et les magistrats, lesquels contrôlent deux rois issus de dynasties différentes qui nomment les prêtres chargés de consulter la Pythie.
Par ailleurs, Lycurgue institue le partage des terres entre les différents groupes sociaux, supprime les monnaies d’or et d’argent en les remplaçant par des barres de fer et établit un programme d’éducation pour les jeunes citoyens. Un idéal de valeur et d’excellence d’essence aristocratique, le kalon, est proposé à toute la collectivité des hoplites. La maîtrise de soi et du corps au service de la cité est particulièrement valorisée.
La société lacédémonienne est divisée en trois grandes communautés :
- « Neuf mille Doriens mâles », les homoioi (« semblables ») vêtus d’un manteau rouge supposé dissimuler le sang de leurs blessures, vivent en caserne jusqu’à trente ans et s’entraînent exclusivement au métier des armes. Les femmes, qui ont reçu une éducation physique et sportive, administrent le foyer.
- Les habitants libres de Laconie, les périèques (« ceux qui vivent autour »), se consacrent aux métiers manuels et au commerce (ils seront néanmoins intégrés dans la phalange spartiate lors de la Première guerre du Péloponnèse).
- Les hilotes, descendants des Pélasges et des habitants de Messénie, sont attachés à la terre. Ils peuvent se marier, avoir des enfants et même s’enrichir après l’impôt (leur statut juridique est plus proche des serfs du Moyen Âge que de celui des esclaves des autres cités grecques).
Des guerres victorieuses à la débâcle
Sparte prend la tête de la coalition des cités grecques quand les Perses de Xerxès envahissent la Grèce en -480. Les Spartiates Léonidas et Eurybiade commandent respectivement les troupes terrestres et la marine tandis que l’Athénien Thémistocle est chargé du commandement opérationnel.
La bataille des Thermopyles, perdue malgré le sacrifice de Léonidas et de ses trois cents guerriers, galvanise les Grecs qui remportent les affrontements suivants sur mer et sur terre. Une fois la victoire obtenue après dix ans de guerre, Sparte choisit de se replier sur sa vallée de Laconie.
« Mais parfois, les dieux jouent avec les hommes et, en -464, un tremblement de terre d’une gravité extrême [brise] la puissance humaine de Sparte et entraîne un changement de pouvoir à Athènes, d’où allaient naître les guerres du Péloponnèse. »
Durant la première guerre, de -460 à -445, les deux grandes cités grecques se neutralisent militairement. Le conflit reprend en -431.
Selon Thucydide, « les Athéniens en s’accroissant donnèrent de l’appréhension aux Lacédémoniens, les contraignant ainsi à la guerre ». Au-delà de sa volonté d’hégémonie maritime, Athènes est une démocratie impérialiste qui menace directement, malgré une communauté de langue et de cultes, les fondements du régime politique de Sparte. Après de multiples péripéties, cette dernière détruit la flotte ennemie et contraint Athènes à demander la paix l’année suivante.
Dans Les Helléniques, Xénophon relate la guerre de Corinthe qui oppose ensuite Sparte à de nouvelles cités grecques. Au gré des événements, les Perses financent le camp le moins puissant en vue d’affaiblir la Grèce. La bataille finale, qui a lieu sur la plaine de Leuctres en -371, voit la cité de Thèbes l’emporter sur les Spartiates dont les survivants prennent la fuite en abandonnant leur roi. « Sparte n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle n’inspire plus ni crainte ni respect. »
La vallée de Laconie est perdue, de même que les riches terres agricoles de Messénie. Pour survivre, les guerriers spartiates se reconvertissent en cultivateurs, ce qui met fin à l’organisation guerrière de leur cité devenue une puissance régionale.
Les causes de la chute
Hormis la défaite militaire de Leuctres, une cause majeure de la fin de Sparte est à rechercher dans son déclin démographique.
La succession de batailles durant les guerres médiques, du Péloponnèse et de Corinthe entraîne ainsi une véritable hémorragie dans une population masculine déjà réduite du fait des mœurs spartiates qui n’encouragent pas la famille nombreuse.
Par ailleurs, le tremblement de terre de -464 provoque la disparition de la moitié du corps civique, notamment parmi les jeunes Doriens.
L’auteur émet également l’« hypothèse d’une différentiation marquée entre une élite dorienne et une population hilotique pré-hellène [qui] expliquerait le refus des Spartiates d’ouvrir le groupe social (à de très rares exceptions) à d’autres groupes que le groupe dorien d’origine, pourtant de plus en plus réduit (neuf mille en -800, autour de mille en -371), et donc de moins en moins capable d’assumer son rôle socio-politique de défense de la cité ».
Enfin, la confrontation des Spartiates avec d’autres modes de vie amène une certaine corruption de leurs élites qui tendent à devenir une oligarchie de riches propriétaires terriens.
La légende éternelle
« Pourtant, si l’on veut bien accepter que l’étude du passé est l’un des plus fabuleux guide de notre conduite présente et future, il faut accepter que Sparte, cité de l’homme viril mais prêt au sacrifice suprême pour sa communauté, cité où l’individu s’efface devant la loi, cité où l’équilibre entre tous s’impose à la gloire de certains, est aussi un modèle intemporel qui doit nous inspirer encore aujourd’hui, et le sacrifice des trois cents aux Thermopyles nous obliger encore pour longtemps. »
Johan Hardoy
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