Par Michel Geoffroy, auteur de Immigration de masse. L’assimilation impossible, La Super-classe mondiale contre les peuples et La Nouvelle guerre des mondes ♦ Le dernier essai qu’Alain de Benoist vient de publier L’Exil Intérieur Carnets Intimes[1] ne laisse pas indifférent, tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme d’abord, puisqu’il se présente avant tout comme une succession de réflexions et d’aphorismes, ponctuée de courts textes et parfois de poèmes. Sur le fond ensuite, puisqu’il s’agit effectivement de réflexions personnelles qui n’avaient pas vocation, initialement, à être publiées et qui se succèdent depuis les années 1970. Des réflexions qui comme le souligne François Bousquet dans sa belle postface, nous dévoilent aussi une partie du jardin secret d’Alain de Benoist
Un essai multiforme
L’Exil Intérieur peut donc se lire de plusieurs façons, mais toujours d’un égal intérêt : comme une succession de pensées politiques et philosophiques qui reflètent et éclairent la crise de notre civilisation.
Ou comme les étapes d’un cheminement personnel qui contribuent à établir, au fil des pages, le portrait d’un Alain de Benoist méconnu. Comme il l’écrit en effet « j’ai passé mon temps à rencontrer des gens « qui ne m’imaginaient pas comme ça ». Personne je crois n’a été autant que moi victime d’une fausse image. Cela fait naître un étrange sentiment »[2] .
Des pensées pour notre temps
Pourquoi l’exil intérieur d’abord ?
Parce qu’à « notre époque, adopter le monde tel qu’il est, c’est accepter d’être complice ». Et « c’est à mon époque que je me sens le plus radicalement étranger ». Ou encore « il n’y a plus qu’une façon aujourd’hui d’aimer la France, c’est de la détester telle qu’elle est, et c’est de travailler à la changer ».
Le ton est donné : des pensées fortes, des formules qui font mouche, des idées qui marquent. « Idées courtes ? Non. Pensées brèves » avertit Alain de Benoist.
C’est pourquoi on se laisse vite emporter dans la lecture de ces pensées, comme par un flot qui enfle au fil des pages.
Des aphorismes de combat
Pour Alain de Benoist, « la décadence consiste à préférer ce qui nous est le plus nuisible en s’imaginant que c’est ce qui nous fait le plus progresser » : voilà en deux lignes résumé notre déclin ! Et il ajoute : « nous sommes menacés par bien pire que la chute dit Heidegger car il manque jusqu’à la hauteur d’où nous pourrions tomber ». Car « si l’Europe est tombée « en dormition », c’est qu’elle a perdu connaissance. La connaissance de soi ».
La tyrannie ? « La société moderne consacre la pluralité des décideurs tout en supprimant la pluralité des choix » ; « quand la société se désintègre on appelle cela : pluralisme »
La Droite ?« La droite se veut réaliste et taxe la gauche d’utopisme. Moyennant quoi elle n’a cessé de se tromper tandis que les utopistes changeaient le monde ». Voilà l’échec de la droite résumé en quelques mots, que les LR feraient bien de méditer, s’ils savaient lire…
La politique ? « Ce ne sont pas les extrémistes qui manquent, ce sont les révolutionnaires » ; ou encore « c’est toujours à l’unanimité qu’on s’engage dans le pire » ; « le rêve de la bourgeoisie : que ses adversaires se battent toujours entre eux ».
Tout est dit, concentré en quelques mots.
« Survivre à la désinformation » : le regard éclairant d’Alain de Benoist sur l’actualité
Un traité de morale et de maintien
A côté de ces pensées politiques, l’Exil Intérieur, prend aussi la forme d’un traité de morale ou, mieux encore, de maintien dans une époque où tout se délite. Car comme l’écrit François Bousquet « chez lui le penseur s’est toujours doublé d’un passeur et d’un éveilleur des consciences »[3].
Les valeurs ? « Quand on me demande quelles sont mes valeurs, je répons généralement que je n’en ai aucune et que je me contente d’avoir des principes » nous dit Alain de Benoist.
Alors que faire ? « Faire d’abord ce qu’on doit, ensuite faire ce qu’on peut, ensuite faire ce qu’on veut ». Un beau programme.
« Etre rebelle. Ne jamais céder à la pression ou à l’idéologie dominante. Rester insensible aux modes ou aux idées reçues…Chercher à respirer sur les hauteurs ». Car « le haut éclaire le bas, non l’inverse ». Et encore, citant l’empereur Marc Aurèle « une excellente manière de se défendre d’eux c’est d’éviter de leur ressembler ».
Et au plan intellectuel, il faut « combler et dépasser toutes les fausses antinomies héritées des deux siècles derniers -tel est l’un des principaux objectifs épistémologiques des temps présents ». Voilà le cheminement intellectuel de l’auteur résumé en quelques mots ! Et Alain de Benoist d’ajouter : « on perd son temps quand on raisonne sur des mots(abstraits) sans considération du contexte (concret) ».
« La Chape de plomb » : un essai philosophique d’Alain de Benoist sur les nouvelles censures
Le secret de l’homme
On pourrait évidemment citer bien d’autres pensées et aphorismes pour illustrer la richesse de ce manuel politique et moral pour notre temps qu’est finalement l’Exil Intérieur. Mais on ne saurait négliger pour autant les pensées intimes qui constituent la toile de fond de ces carnets.
François Bousquet écrit à ce propos qu’il y a chez Alain de Benoist « une sorte de fatalisme, la conscience aigüe, endolorie, qu’il est peu lu, mal lu, incompris, inconnu au fond [4]».
Un Alain de Benoist, bifront, perçu comme d’extrême droite- la fameuse Nouvelle Droite- alors qu’il est avant tout un intellectuel européen, atypique, presque plus lu à l’étranger qu’en France. Un intellectuel qui refuse les étiquettes, bonnes « pour les pots de confiture ». Et qui se trouve finalement beaucoup plus de points communs avec les auteurs socialistes, le syndicalisme révolutionnaire et le mouvement ouvrier qu’avec Charles Maurras ou Maurice Bardèche.
Un païen qui admet aujourd’hui « que l’oubli de l’Etre trouve sa source dans la métaphysique grecque et donc ne provient nullement du monde de la Bible ».
Un écrivain qui admet que sa pensée a cheminé lentement au point que « si j’avais à réécrire la plupart des livres que j’ai publiés, je les réécrirais autrement ».
La « Bibliothèque littéraire du jeune Européen » par Alain de Benoist et Guillaume Travers
Une certaine nostalgie
L’Exil Intérieur est aussi un essai sur la nostalgie. Celle du temps qui passe, celle des jours qui restent à vivre, celle du souvenir des amours perdues, celle des amis disparus, celle du soir qui tombe. Celle d’une Europe qui se meurt. Celle des opportunités qu’on n’a pas suivies : « je me suis bridé. J’étais un romantique, je me suis grimé en classique » nous confie Alain de Benoist.
Le livre se termine d’ailleurs sur une phrase énigmatique, à la fois conclusion et invite : « J’ai fait ma part. Maintenant, c’est à vous ».
Sa part ? 120 livres, 2 000 articles, 850 entretiens nous rappelle incidemment François Bousquet : « à vous donner le vertige » écrit-il [5]….
On ne peut que souhaiter cependant, que sa part ne soit pas encore achevée.
Michel Geoffroy
12/11/2022
[1] Alain De Benoist L’exil intérieur Carnets Intimes, Krisis nouvelle-librairie.com, 2022, 24€
[2] L’exil Interieur op.cit. page 186
[3] L’Exil Intérieur op.cit. page 345
[4] L’Exil Intérieur op.cit. page 338
[5] L’Exil Intérieur op.cit. page 313
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