La révolution islamiste a eu ses précurseurs avant la deuxième guerre mondiale avec les Frères musulmans créés par l’enseignant égyptien Hassan El Banna en 1928. Celui-ci, et c’est essentiel, considère que la notion de jihâd doit être conçue comme guerre offensive, et non plus uniquement défensive, avec comme objectif une « révolution islamique ». Pour lui, politique et religion sont inséparables et l’objectif de la révolution est de rétablir le califat.
Les Frères commettent des assassinats de personnalités officielles (assassinat de Mahoud Pacha, chef du gouvernement du roi Farouk en 1948). Le roi fait assassiner El Banna en 1949. Son gendre Saïd Ramadan reprend le projet des Frères.
Mais le vrai fondateur auquel se réfèreront notamment Oussama Ben Laden et Ayman Al Zahouiri, les dirigeants d’Al Qaida, est Sayyd Qutb (1906-1966), Frères musulman, écrivain, poète, fonctionnaire au ministère de l’éducation égyptien. Le ministère l’envoie faire un voyage d’études aux USA. Il est choqué par l’immoralité ambiante qu’il y constate : « un peuple qui atteint des sommités dans les domaines de la science et du travail, cependant qu’il est au stade primitif dans les domaines des sentiments et du comportement, ne dépassant guère l’état de la première humanité. »
Il reproche aux Américains leur individualisme, leur matérialisme du dollar et leur vide spirituel (pays tourné vers l’action et non vers la méditation). Suite à l’attentat contre le colonel Nasser, il est condamné à 15 ans de travaux forcés et est finalement pendu en 1966. En prison, il a écrit deux livres qui font sa notoriété : Fi Zilaal Al Quran (Sous l’ombre du Coran) et Maâlim fi Tariq (Jalons sur la route). Il établit une doctrine fondée sur le concept de Jahiliya (ignorance du vrai Islam) et estime qu’on ne peut en sortir que par une révolution pour créer un Etat islamique. Dans cet Etat, Dieu est législateur et la démocratie est donc une impiété puisque qu’elle prétend que les hommes, et non Dieu, doivent faire les lois. L’État occidental est donc toujours tyrannique. L’Etat doit islamiser la société grâce à son monopole de la force et doit résoudre, grâce à l’islam, tous les problèmes. Il faut lutter contre l’Occident et les juifs. Il explique que l’Occident n’est pas une civilisation dans son livre « Moushkilât al Hadâra » car il vit dans l’état d’ignorance (la Jahilya).
Donc le mouvement révolutionnaire islamiste a été fondé par des intellectuels et il continue au plus haut niveau à être dirigé par des intellectuels comme Ben Laden, milliardaire mais aussi diplômé de l’université de Djeddah (Arabie saoudite) et spécialiste du wahhabisme, la doctrine fondamentaliste de son pays. Son second, toujours vivant, Ayman Al Zahouari est à l’origine Frère musulman et médecin chirurgien diplômé de l’université du Caire. Ce n’est pas un mouvement de marginaux et de miséreux, en tous cas au sommet.
Mais ces intellectuels sont des intellectuels combattants qui pourront diriger les djihadistes, soldats de Dieu contre les soviétiques (Ben Laden travaille alors avec la CIA) puis l’Occident.
Le succès de cette doctrine, non seulement dans les Etats musulmans mais aussi dans les banlieues européennes, vient du fait qu’elle donne un sens à la vie dans un monde occidental dominé par l’utilitarisme qui fait des hommes des rouages du système technique et économique (ce que le philosophe Heidegger appelle le Gestell). Le Gestell déracine toujours plus les hommes car il a besoin de leur mobilité : la famille, la patrie, la religion sont attaquées comme archaïques, surtout à la suite du mouvement de Mai 1968, lui-même issu de certains campus universitaires américains. Ce déracinement, favorisé par les politiciens de gauche principalement mais non exclusivement, avec l’appui des médias (80% de journalistes de gauche selon Marianne) créé le terreau favorable au recrutement des combattants djihadistes. Ceux-ci ne sont plus « jetés » dans un monde absurde superficiel et tourné vers la consommation et le plaisir fugitif, mais envoyés en « mission » par Allah pour renverser le pouvoir de l’Occident impie. Ces jeunes fanatiques ont alors le sentiment d’avoir une existence et pas seulement une vie animale et ils sont capables de sacrifier leur vie. Ils méprisent profondément les Occidentaux incroyants comparés à des animaux.
On peut donc dessiner le monde qui est le leur avec la « croix existentielle inventée par Heidegger, grand lecteur d’Aristote et de ses quatre causes, matérielle, formelle, motrice et finale. Une église par exemple a pour cause matérielle les pierres, pour cause formelle le plan et les idées de l’architecte, pour cause motrice les ouvriers qui construisent et pour cause finale, la religion sans laquelle la construction d’une église n’aurait pas de sens.
Cause formelle
↑
Cause finale ← → Cause motrice
↓
Cause matérielle
De même, l’essence du mouvement révolutionnaire islamiste est définie par quatre éléments :
- La cause finale est la révolution, violente comme toute révolution, pour bâtir le califat mondial. L’islamisme révolutionnaire est donc dans son essence conquérant à vocation universelle, comme le communisme autrefois.
- La cause motrice, ce sont les combattants de l’Islam, prêts à mourir pour la cause. La mort du martyr est donc magnifiée, ce qui donne une force psychologique considérable aux combattants.
- La cause formelle est la doctrine révolutionnaire de Sayyd Qutb qui interprète le Coran de façon révolutionnaire. Il s’agit d’une nouvelle forme de totalitarisme comme on en avait connu avec le nazisme, le bolchevisme ou même l’idéologie de Robespierre lors de la Terreur.
- La cause matérielle est le déracinement provoqué par l’immigration (immigration vers l’Occident mais aussi immigration interne des campagnes vers les villes en Orient) et le mode de vie occidental qui détruit de plus en plus les racines familiales, patriotiques, culturelles et spirituelles depuis les années soixante. A l’insécurité s’ajoute le manque de repères.
Celui qui veut combattre efficacement cette révolution (à ne pas confondre avec l’islam traditionnel non révolutionnaire) doit donc s’attaquer aux quatre causes qui sont à l’origine d’une véritable guerre déclarée à l’Occident.
La cause finale (la révolution) et la cause motrice (les djihadistes) doivent être combattues par des moyens militaires, policiers et judiciaires. C’est ce qui est fait sauf dans le passé où l’Occident en retard d’une guerre a préféré aider l’expansion primitive des islamistes pour mieux combattre l’Union soviétique et ses alliés laïcs en Orient.
La cause formelle (l’idéologie des imâms révolutionnaires) et la cause matérielle (le déracinement que l’on favorise inconsciemment) ne peuvent pas être combattues par des moyens purement matériels. Il faut aussi savoir « séduire » au bon sens du terme les âmes de ceux qui peuvent être tentés. Cela ne pourra pas se faire avec les idéaux froids et intellectuels de la laïcité, de la République ou de la sécurité sociale !
Il faut savoir pour quelles causes on est prêt à mourir. On ne meurt pas pour une institution juridique, que ce soit la sécu ou la constitution. De Gaulle a résisté au péril de sa vie pour défendre la France, bien plus que des institutions juridiques baptisées république, Stauffenberg et Walesa se sont levés contre la tyrannie parce qu’ils avaient été formés à être patriotes et chrétiens. Staline lui-même, face à Hitler, a appelé à se battre pour la mère patrie et pour la sainte Russie ! Il savait que le combat pour une idéologie (le communisme) ou des formes juridiques n’était pas assez mobilisateur.
Inspirons nous de ces exemples historiques : il faut relancer le patriotisme, base affective du lien social, et pour cela rétablir le service militaire, institution républicaine d’ailleurs ! Il faut que l’Etat tout en restant formellement laïc collabore avec les religions traditionnelles comme cela se fait dans la Russie de Vladimir Poutine. C’était l’idée de « laïcité positive » de Nicolas Sarkozy. Il faut aussi renforcer la famille, avec des aides financières mais aussi une aide morale (créer un climat qui lui soit favorable, notamment dans les médias) comme cela est aussi fait en Russie.
Si notre réponse est purement celle des forces de l’ordre, nous n’éviterons pas une guerre civile sur notre sol. Il y a eu la guerre d’Algérie, prenons garde à ce qu’il n’y ait pas une guerre de France : immigration, déracinement, incivisme et oubli de la patrie nous y conduisent et nous serons coupables de ne pas avoir compris l’enjeu historique qui commence à se dérouler devant nous.
Ivan Blot
17/02/2015
Voir aussi
- La décadence occidentale – Le déclin économique - 12 juillet 2018
- La décadence occidentale – Le déclin de la culture - 6 juillet 2018
- La décadence occidentale – Le déclin politique - 16 juin 2018