Ne mélangeons pas les genres, encore que les fondements des crises de Gaza et de l’Ukraine se retrouvent avec des sources communes, organisation du chaos, mise en place d’une pauvreté généralisée, bombardements violents et répétés des populations civiles… ; tout converge vers une mondialisation impérialiste, impudente et dominante.
Polémia a reçu de plusieurs contributeurs et correspondants un nombre certain d’articles qui nous ont paru intéressants de réunir en un dossier, sous forme de cinq publications.
C’est Ivan Blot qui ouvre ce dossier avec une analyse aristotélicienne, atypique et néanmoins intéressante, comme quoi la civilisation antique demeure toujours un des moteurs de notre société (première publication). Suivrons les dix questions posées à Kiev par le ministère de la Défense russe laissées toujours sans réponse à ce jour (deuxième publication), puis de nouveaux éléments fournis par ce même ministère (troisième publication), la présentation d’une nouvelle piste sur l’arme destructrice lancée contre l’avion de Malaysia Airlines (quatrième publication) et enfin, pour clôturer et conclure, une tribune de Jean-Jacques Rousseau avec son Nous sommes le Donbass (cinquième et dernière publication). Voici donc la quatrième publication.
Polémia
MH-17 et Su-25
Une thèse, qui prend de la consistance aujourd’hui, voudrait que le Boeing de la Malaysia Airlines du vol MH17 aurait été abattu non par un missile Sol-Air mais par un tir de canon d’un Sukhoï 25 (Su-25, code OTAN « Frogfoot »). À l’appui de cette thèse, des photos circulent, dont l’une m’a été communiquée par Olivier Rimmel.
En l’état on peut faire les constatations suivantes :
1. Les impacts sur le morceau de carlingue semblent mieux correspondre au tir du canon de 30-mm du Frogfoot qu’à des éclats de missile. Ces derniers sont –en général – nettement plus dispersés, sauf si l’explosion de la tête du missile a eu lieu à toute proximité de la cible (probablement moins de 5m). La tête du missile BUK contient de l’explosif et des petits cubes d’aciers au sein de l’explosif. La détonation provoque un cône d’éclats. Si le missile détonne à 10m-15m de la cible, le cône est déjà formé. Si le missile détonne à moins de 5m les éclats peuvent par contre être groupés.
2. Les impacts sont concentrés dans la partie haute de la carlingue. C’est un point favorable à la thèse d’un tir de Su-25 car un missile Buk serait arrivé par en dessous (même si son système de navigation proportionnel lui permet d’anticiper sur la trajectoire de sa cible et donc d’arriver par l’avant).
3. On sait désormais que 1 à 2 Su-25 ont accompagné le Boeing pendant plusieurs minutes. Il s’agissait, probablement de ce que l’on appelle des « plastrons radars » dans le cadre d’un exercice de défense aérienne de l’armée ukrainienne.
4. On sait aussi que l’Armée ukrainienne a bien déployé des TELAR avec des missiles BUK dans la région de Donetsk. Il semble que le gouvernement de Kiev craignait une attaque aérienne sur ses forces engagées contre l’insurrection dans l’est du pays, en représailles aux bombardements qui avaient eu lieu en Russie. Le gouvernement russe avait menacé le gouvernement ukrainien de « frappes ciblées ». On peut donc considérer comme logique et le déploiement des missiles et la tenue d’un exercice de défense anti-aérienne le 17 juillet.
5. Mais, le Su-25 Frogfoot, qualifié de « chasseur » est en réalité un avion d’appui-feu (conceptuellement similaire au Fairchild A-10 américain). Son excédent de vitesse sur un Boeing 777 est, à l’altitude 10 000m de 25km/h à 75 km/h. Dans ce cas, avec un excédent aussi faible, le Su-25 tireur aurait dû tirer d’arrière en avant, ce qui n’est pas compatible avec les dommages enregistrés sur la photographie. Le Su-25 est un avion conçu pour l’attaque au sol, pas pour l’interception d’avions à haute altitude.
6. Sur son blog [1], Christian Roger, commandant de Bord Boeing 747 Air France ER, Ex Leader de la Patrouille de France, qui fut expert dans l’enquête sur l’accident de Sharm El Sheikh (2004) et ancien Président du Bureau Air France du SNPL, Syndicat National de Pilotes de Ligne – 1986 / 1990, mentionne deux faits très troublants : l’avion a volé plus au nord que le couloir emprunté par les avions survolant l’Ukraine et les services secrets ukrainiens ont immédiatement saisis les enregistrements réalisé par le contrôle aérien de Kiev.
7. Il est donc possible mais en rien certain qu’un autre avion de type Su-25 se soit approché du Boeing en cap collision et qu’il ait tiré, ciblant la partie avant de l’appareil.
8. L’enquête a pour l’instant révélé que l’équipage a été mis hors de combat quasi-instantanément. Ceci est cohérent à la fois avec la thèse de l’hypoxie suite à une dépressurisation brutale du cockpit comme avec celle d’un équipage massacré soit par des obus soit par des éclats de missiles.
9. Si ce sont bien des obus du canon de 30-mm qui arme le Su-25, ces derniers sont composés d’uranium appauvri. La radioactivité résiduelle devrait être détectable sur les débris.
10. Le gouvernement ukrainien, contrairement à ses premières déclarations sur une zone de cessez-le-feu de 40 km autour du point d’impact, poursuit des combats, qui empêchent les enquêteurs d’atteindre désormais le site du crash. Il est donc clair que la recherche de la vérité n’est pas le principal souci du gouvernement ukrainien.
11. Les États-Unis, qui prétendent détenir des preuves « satellitaires » du tir d’un missile depuis la zone contrôlée par les insurgés se refusent toujours à les communiquer.
12. Une source américaine [2], reprenant les dires du journaliste d’investigation Robert Parry [3], mentionne la possibilité, évoquée par des analystes de la CIA, que le missile ait été tiré par l’armée ukrainienne.
13. La seule chose dont on soit raisonnablement sûr est que si l’avion a bien été abattu par un missile, il s’agit d’une erreur. Personne n’avait l’intention ni la volonté d’abattre cet avion.
14. Mais, si l’avion a bien été abattu par un tir de Su-25, cela soulève alors directement le problème de la culpabilité et du pilote et des personnes qui lui ont donné l’ordre de tirer.
Le drame du MH17 donne lieu à une véritable hystérie anti-russe et une campagne de dénigrement des insurgés de l’est de l’Ukraine. La situation sur le terrain est suffisamment grave pour que l’on s’abstienne de ce genre de chose et que l’on garde un peu de raison sur cette question.
Jacques Sapir
Source : RussEurope
30/07/2014
Notes
[1] jumboroger.fr [lien mort]
[2] globalresearch.ca
[3] consortiumnews.com
Voir à la suite
- Les responsabilités du crash de l’avion de Malaysia Airlines (I)
- Crash Boeing : 10 questions posées à Kiev restent sans réponse (II)
- Le ministère de la Défense russe fournit de nouveaux éléments d’analyse sur le MH-17 (III)
- Nous sommes le Donbass (V)
Photo : Un Su-25 ukrainien. Il est abattu le 29 août 2014 lors du siège d’Ilovaïsk. Licence : CC BY-SA 4.0. Auteur : Ministry of Defense of Ukraine.