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Les racines du futur, de Jean-Yves Le Gallou et le Club de l’Horloge

Les racines du futur, de Jean-Yves Le Gallou et le Club de l’Horloge

par | 29 octobre 2014 | Médiathèque

Les racines du futur, de Jean-Yves Le Gallou et le Club de l’Horloge

« Toute crise est fondamentalement une crise de conscience […] C’est le refus, ou l’incapacité morale, d’y faire face qui annonce le déclin […] La crise française, la crise européenne, c’est la crise de l’homme qui baisse les bras et qui refuse de combattre. »

En 1977, le Club de l’Horloge, créé trois ans auparavant, publiait son premier ouvrage, Les racines du futur. Demain la France, rédigé sur la base des travaux d’une commission « Société » animée par Jean-Yves Le Gallou. L’ouvrage constatait que « toute crise est fondamentalement une crise de conscience […] C’est le refus, ou l’incapacité morale, d’y faire face qui annonce le déclin […] La crise française, la crise européenne, c’est la crise de l’homme qui baisse les bras et qui refuse de combattre ». Trente-sept ans après, Bernard Mazin, qui fut l’un des six membres fondateurs du Club de l’Horloge, a relu Les racines du futur et nous livre son analyse sur l’actualité persistante de l’ouvrage. Le livre est disponible dans son intégralité en PDF en fin de recension.
Polémia

La crise dans la conscience des peuples plus que dans l’économie

D’une manière générale, le fait de situer la cause de la crise non pas dans l’économie, mais avant tout dans la conscience des peuples conserve toute sa validité. Pas plus tard qu’à la 7e Journée de réinformation de Polémia (18 octobre dernier), Michel Geoffroy ne nous rappelait-il pas que nous étions confrontés à une nouvelle « crise de la conscience européenne », comparable à celle que Paul Hazard avait située à la fin du XVIe siècle ?

Partant de ce constat, l’objectif de l’ouvrage était exposé comme suit :

« Pour répondre aux défis, un modèle différent est nécessaire […] qui prenne en compte les derniers acquis de la science et qui résulte d’une démarche antiréductionniste. […] L’homme européen devra ramener à sa conscience les grands traits spécifiques du modèle européen durant 4.000 ans de civilisation […] en retrouvant ses racines profondes : ce sont là les racines du futur. »

Sur ces prémices, les auteurs se proposaient de faire un diagnostic des causes de la crise profonde de nos sociétés, puis de définir les conditions d’une renaissance.

La logique du déclin

Le diagnostic, regroupé sous l’intitulé générique de « La logique du déclin », n’a – malheureusement, pourrait-on dire – pas pris beaucoup de rides.

C’est vrai en premier lieu de ce qui était défini comme « la spirale de la mort » : l’implosion démographique, le malthusianisme, le déclin de la famille, la prévalence d’une « société du paraître et de l’avoir », la peur de l’avenir, que là encore Michel Geoffroy évoquait dans son intervention du 18 octobre, la « fin du monde blanc », sont autant de composants qui demeurent aussi prégnants qu’ils l’étaient il y a 40 ans. Et lorsque, en conclusion de cet état de fait, l’on nous dit qu’il faut « éviter le suicide collectif », comment ne pas penser au bilan de la même période qu’Eric Zemmour vient de tirer dans son brillant dernier ouvrage Le Suicide français ?

Tout aussi pérenne est la description de la « société autophage », caractérisée par la réduction de la personne à l’individu avec pour aboutissement la dissolution du corps social, l’incivisme, l’indifférence sociale et la désagrégation des solidarités, sous la pression des idéologies qui prônent la haine sociale et la contestation systématique, tout appel au civisme étant considéré comme une forme de « récupération bourgeoise ». L’appellation de « société tribalisée » qui était alors dénoncée peut être remplacée désormais par celle de « société communautarisée », mais ses caractéristiques telles qu’elles étaient alors énoncées demeurent identiques : augmentation de la délinquance autojustifiée par l’illégitimité supposée de la société « normale » ; surcriminalité des immigrés, traduisant « le malaise physique et psychologique d’une population conduite au déracinement par des considérations économiques à courte vue » ; « société anomique » dans laquelle « la loi a perdu en prestige ce qu’elle avait gagné en complexité et en mobilité » ; prolifération de « l’homme subjectif », selon une définition empruntée à l’anthropologue Arnold Gehlen, cet individu qui pense en fonction de ses intérêts égoïstes immédiats, et de « l’homme labile » (Jean Pinatel), qui s’abandonne à l’impression du moment sans réfléchir aux conséquences de ses actes ; « société antisociale » enfin, où l’agressivité naturelle est exacerbée par les frustrations d’un mode de vie artificiel, qui crée des besoins factices au nom du consumérisme érigé en valeur dominante, et livrée à elle-même par une société sans volonté, incapable de la canaliser vers une quelconque éthique.

Vertige éthique

Le « vertige éthique » était d’ailleurs le troisième terme de la logique du déclin : les auteurs entendaient par là tout ce qui relevait de la rupture de la tradition et du refus de considérer l’Homme du présent comme un héritier du passé à même de faire fructifier cet héritage pour assurer un avenir meilleur. Figuraient dans cette catégorie les dérives telles que la marginalisation des « vieux », la ségrégation des âges et ce que l’on n’appelait pas encore le « jeunisme », c’est-à-dire le refus de vieillir, qui n’est autre que le refus de la vie même. D’autres éléments du constat sont toujours autant d’actualité : baisse de la pratique religieuse et « intellectualisation » de la religion ; éclatement de toutes les structures communautaires traditionnelles : famille, école, armée, entreprise ; snobisme du déracinement antioccidental qui s’incarnait notamment dans la recherche de l’exotisme, aussi bien dans les arts que dans le vêtement ou la cuisine…

À cet égard, le lecteur pourra trouver que l’accent qui était alors mis sur la menace pour l’Europe de l’impérialisme communiste collectiviste a quelque peu vieilli. Mais cette erreur d’appréciation est toute relative pour deux raisons : d’une part, parce qu’on était alors à 12 ans de la chute du Mur de Berlin et à 15 ans de l’éclatement de l’URSS, et que rien ne laissait prévoir un éclatement prochain de l’empire soviétique ; d’autre part, et surtout, parce que l’ouvrage ne manquait pas de mettre en avant une autre menace qui, elle, s’est révélée bien réelle et constitue aujourd’hui la menace principale : celle de l’ « étalon-argent » et de « la société marchande américaine » qui mettait en péril la libre entreprise et qui annonçait les évolutions suicidaires du capitalisme dont on voit aujourd’hui les effets nocifs, notamment les remplacements du profit d’innovation par le profit de spéculation, et ce qu’il est convenu d’appeler la « financiarisation » de l’économie.

Totalitarisme métapolitique

Les racines du futur stigmatisaient encore le « totalitarisme métapolitique » ambiant. Rappelant que « politique et culture ne sont pas séparables ; ensemble, elles constituent l’image que la société a d’elle-même » (Thomas Molnar), il apparaissait aux auteurs qu’une véritable « subversion métapolitique » était à l’œuvre pour monopoliser le pouvoir, appuyée sur les médias, le monde culturel et le système éducatif. Cette subversion était favorisée par le matérialisme de la société marchande, qui abandonne le terrain métapolitique à l’ennemi. Là aussi, on peut juger que la désignation du « marxisme » comme ennemi principal est un peu réductrice, et préférer une acception plus large, par exemple celle qu’Eric Zemmour baptise les « déconstructeurs », héritiers protéiformes de Mai-68. Il n’en reste pas moins que les forces de la police de la pensée, qui nous imposent le « totalitarisme doux», le terrorisme intellectuel de l’idéologie dominante et qui utilisent l’appareil culturel à des fins de propagande et de désinformation, sont des invariants depuis le constat fait en 1977.

Il n’entre pas dans les dimensions de cet exercice de relecture critique de détailler les propositions d’action qui étaient exposées dans la seconde partie de l’ouvrage, « Le modèle européen », mais il est primordial d’insister sur le fait que ces pistes entraient dans le cadre d’une réflexion globale sur le modèle social trifonctionnel, mis notamment en évidence par les travaux de Georges Dumézil, à savoir la distinction entre la fonction souveraine, la fonction guerrière et la fonction productive sur laquelle reposent les sociétés indo-européennes depuis leur émergence. « C’est le génie des peuples européens d’avoir réussi la transposition de la pratique instinctive de ces trois fonctions en réflexion sur les trois fonctions. Et c’est précisément ce qu’ils ont aujourd’hui oublié. Le malaise naît de cette vie dans une société dont les principes sont contraires à leur inconscient collectif, dans une société-monstre dotée d’une bouche énorme (la fonction marchande hypertrophiée et qui, avec l’avènement du capitalisme financier mondialisé, contamine et domine la fonction souveraine, en politique intérieure comme dans le domaine des relations internationales), de muscles atrophiés (la fonction militaire dévalorisée dans les esprits et affaiblie dans ses moyens) et d’un cerveau ramolli (la fonction souveraine recouvrant une classe politique dépourvue de repères idéologiques et une élite intellectuelle qui s’emploie à saper les fondements de la société).

Pour les auteurs des Racines du futur le redressement de la France et de l’Europe passe par un « ressourcement », c’est-à-dire une réhabilitation du modèle des trois fonctions. La société devra être complète (les trois fonctions devront coexister), différenciée (elles devront être autonomes) et équilibrée (aucune des trois ne devra prendre le pas sur les deux autres). Ce cadre conceptuel est décliné en orientations plus concrètes pour chacune des trois fonctions :

  • La fonction souveraine : retrouver « l’essence du politique »
  • La fonction guerrière : réconcilier l’Armée et la Nation ;
  • La fonction marchande : retrouver la dynamique de la liberté économique.

L’homme et ses dimensions

La troisième partie du livre « L’homme et ses dimensions » a conservé également toute son actualité. Elle pointait du doigt une société d’indifférence dont le point d’aboutissement était « l’homme entouré d’objets sécurisants et individualisants, replié sur lui-même, saisi d’une fringale narcissique de consommation ». Elle pronostiquait une « schizophrénie de masse », et la réduction de la personne à « l’homme extro-déterminé », caractérisé par la conformité du comportement, la quête d’approbation et l’indexation sur les codes extérieurs, et l’angoisse de ne plus être à la mode. Il n’est pas besoin de longs commentaires pour montrer que ces dérives n’ont fait que croître et embellir, avec le consumérisme poussé à son paroxysme, la notion de « fashion victims », le développement de l’isolement des individus en proportion du développement des « réseaux sociaux ». Les événements n’ont fait que conforter cette émergence de la « foule solitaire » composée d’individus déracinés, qui est plus encore qu’en 1977 de nature à détruire complètement notre société.

Face à ce phénomène, l’ouvrage préconisait des mesures tendant à réenraciner les citoyens dans leur triple dimension identitaire :

  • personnelle, en valorisant la famille et en personnalisant l’éducation ;
  • spatiale, en rétablissant des collectivités à dimension humaine et en favorisant le « repaysement » ;
  • temporelle, en redonnant conscience aux Français qu’ils sont les héritiers d’un patrimoine culturel d’une richesse incomparable.

Certains débats ont été malmenés par les événements au cours des décennies qui ont suivi la parution de l’ouvrage. Ainsi, la suppression du service militaire a rendu caduques les propositions formulées sur le lien Armée-Nation. Le débat libéralisme-collectivisme demeure, mais n’est plus au cœur des problématiques du système économique : le débat actuel est plutôt celui du retour à un vrai libéralisme par rapport au capitalisme financier mondialisé. On peut aussi avoir l’impression que certains constats ont été minimisés (l’immigration, la menace islamique, l’avènement de la « super-classe mondiale ») ou au contraire surestimés (l’impérialisme soviétique et la menace marxiste déjà évoqués) ; ou, enfin, on constate que les perspectives d’une France retrouvant dans une Europe dynamique, appuyée sur le couple franco-allemand, un rôle éminent digne de sa grandeur passée se sont révélées illusoires.

Mais ce seraient de mauvais procès. Il a pu effectivement se produire que l’Histoire évolue dans un sens que les auteurs n’avaient pas évalué à leur juste mesure. Mais personne n’était capable, en 1977, de prévoir l’ampleur que prendraient des phénomènes aussi divers que la mondialisation, les crises économiques internationales, l’immigration incontrôlée, l’extension de l’Union européenne, la menace islamique, et bien d’autres sujets aussi importants. Et surtout, les évolutions qui se sont produites ont sans exception démontré a contrario la validité du diagnostic posé dans Les racines du futur, puisque si la situation s’est aggravée sur tous les plans, c’est précisément parce qu’aucun dirigeant politique n’a tenu compte de ce diagnostic, ni des solutions qui étaient proposées pour rétablir la situation.

Vous ne perdrez donc pas de temps à relire Les racines du futur, car il reste un outil de décryptage de notre déclin et un bréviaire pour redresser la France.

 Bernard Mazin
23 octobre 2014

Jean-Yves Le Gallou, Club de l’Horloge, Les racines du futur, Diffusion A. Leson 1977, 266 pages.

Note : Les Racines du futur, livre en PDF

Les Racines du futur étant paru en 1977 ne se trouve plus en librairie. La lecture en est néanmoins accessible ci-dessous.

Si la liseuse PDF ne s’affiche pas, vous pouvez télécharger directement le livre en PDF en suivant ce lien.

Bernard Mazin

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