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Les mots de l’opposition entre le peuple et ses gouvernants

Les mots de l’opposition entre le peuple et ses gouvernants

par | 8 février 2017 | Politique, Société

Les mots de l’opposition entre le peuple et ses gouvernants

Intervention de Michel Geoffroy au Carrefour Royal du 4 février 2017 : « La République contre le peuple ».

En introduction je souhaiterais relever quatre points :


1/ La novlangue est la langue du pouvoir aujourd’hui : c’est-à-dire de la superclasse mondiale qui a pris le pouvoir en Occident au tournant des années 1990 et des médias par lesquels elle s’exprime.

Comme l’avait vu George Orwell la novlangue est la langue du pouvoir qui veut conserver le pouvoir. Elle a pour fonction :

-de peindre sous des couleurs attrayantes notre triste condition actuelle (de ressource humaine jetable au service de l’économie mondialisée) ;

-d’accompagner le renversement des valeurs que promeut l’oligarchie (« La liberté c’est l’esclavage »). C’est ce qu’écrivait Jean-François de La Harpe en 1797 : « Le propre de la langue révolutionnaire est d’employer des mots connus mais toujours en sens inverse » !

-d’empêcher de conceptualiser toute alternative critique au Système en place, notamment par la diabolisation des opinions dissidentes (en interdisant certains mots, on pense prévenir les « crimes par la pensée » : comme le montre notamment le sort réservé aux mots race, patrie ou frontières, par exemple).

La novlangue est la langue de l’oligarchie. Il n’y a donc pas à proprement parler de novlangue populaire, même s’il y a bien une réaction populaire à la domination de l’oligarchie et même si un certain vocabulaire de l’opposition à l’oligarchie fait son apparition.

2/ Aujourd’hui nous ne vivons plus en démocratie entendue comme le « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » (Constitution de la Ve République) mais en post-démocratie.

Qu’est-ce que la post-démocratie ? M. Juncker, président de la Commission européenne, en donne une définition à sa manière : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » (1).

Cela introduit une définition de la démocratie non pas comme processus (le processus électoral par lequel le peuple désigne ses représentants, c’est la démocratie représentative et élective) mais comme contenu normatif (les fameuses « valeurs ») : serait démocratique ce qui serait conforme aux valeurs de l’Union européenne, c’est-à-dire à l’idéologie libérale/libertaire qui la sous-tend (donc, par exemple, l’indépendance des banques centrales ou le droit à l’avortement seraient une « valeur ») ; serait au contraire factieux, fascisant et « populiste », ce qui s’en écarterait.

Cela se traduit au plan institutionnel par ce que l’on nomme « l’Etat de droit » en novlangue et qui correspond en réalité au gouvernement des juges et plus exactement à la mise en tutelle des législateurs et des gouvernants amovibles par les juges inamovibles (notamment par un changement de sens du contrôle de constitutionnalité des lois, qui de technique est devenu idéologique) : inamovibles et, si possible, apatrides comme dans le cas des cours internationales (comme les juges dits « européens »).

Cela signifie que le peuple en post-démocratie a encore le droit de changer de gouvernement mais plus celui de changer de politique (c’est également vrai aux Etats-Unis, comme le montrent les campagnes incessantes et le harcèlement judiciaire contre D. Trump : même aux Etats-Unis, qui est l’épicentre de la superclasse mondiale, le peuple se voit retirer le droit de changer de politique). Le suffrage sert encore à donner l’onction démocratique aux gouvernants, mais de moins en moins à déterminer la politique qui sera mise en œuvre.

C’est d’une certaine façon le retour du paradigme de la Terreur : le peuple se transforme en bandits, en hooligans et en factieux qu’il faut réprimer ou censurer dès lors qu’il montre qu’il n’adhère plus au dogme auquel croient les gouvernants et qu’il conteste l’action de ceux qui prétendent agir en son nom.

Nous vivons d’ailleurs aujourd’hui sous un réel régime de Terreur médiatique, voire judiciaire, avec la censure croissante de la liberté d’expression, partout au sein de l’UE, vis-à-vis des dissidents.

 3/ Dans l’analyse des relations entre le peuple et ses gouvernants, on ne peut faire l’impasse sur un phénomène idéologique et sociologique majeur qui s’est produit dans les années 1990 : la chute de l’URSS et la fin de l’utopie communiste d’une alternative socialiste au capitalisme.

 Ce phénomène idéologique et sociologique a eu deux conséquences importantes pour le sujet d’aujourd’hui :

-d’une part, la gauche s’est ralliée au néo-capitalisme et a abandonné le peuple à son sort. Elle a fait mieux encore : avec l’immigration elle s’est trouvé un peuple de rechange qui lui permet d’ignorer les classes populaires en toute bonne conscience ;

-d’autre part, les super-riches ont perdu la peur du peuple, c’est-à-dire de la perspective du Grand Soir socialiste ; ils ont de fait perdu toute retenue dans l’exercice de leur pouvoir économique (d’où notamment l’arrêt de la réduction des inégalités de salaires et de revenus). C’est l’aboutissement de ce que l’on a appelé la « révolte des élites », selon l’expression du sociologue américain Christopher Lasch, initiée dans les années 1960, qui se traduit notamment de nos jours dans la domination de l’idéologie libérale/libertaire.

Tout cela se traduit dans un discours dominant – et pas seulement gouvernemental – désormais très critique vis-à-vis du peuple, à la différence de ce qui se passait encore jusqu’à la fin de la première moitié du XXe siècle où, au contraire, les vertus du peuple étaient idéalisées, notamment sous la figure du prolétariat.

4/ La démocratie représentative repose par essence sur la dialectique de la trahison.

 Elle oppose les électeurs, c’est-à-dire les mandants, qui ont toujours le sentiment d’être trahis par leurs représentants (puisque le mandat impératif a été exclu), et leurs représentants, c’est-à-dire les mandataires, qui accusent ceux qui les critiquent de démagogie.

George Orwell

George Orwell

Cette dialectique mandants/mandataires était déjà au cœur de la Première République (opposition entre la Montagne et les Hébertistes, ces derniers étant accusés de démagogie et de jusqu’auboutisme [on dirait extrémisme de nos jours] et finalement de saper le gouvernement de la République, c’est-à-dire le pouvoir de ses dirigeants issus de la Montagne). On la retrouve largement dans la critique contemporaine du populisme.

 Nous vivons en effet sous un régime de démocratie représentative (élective) et non pas participative.

On aurait d’ailleurs pu concevoir un autre mode de désignation que l’élection : par exemple, le tirage au sort, comme il était pratiqué dans l’Antiquité ou dans la République de Venise et qui n’a pas donné de mauvais résultats (et qui était considéré par Aristote comme l’exemple de la démocratie et de la liberté puisque chacun pouvait être gouvernant et gouverné, alors qu’il classait l’élection dans la catégorie de la République, comme moyen de choisir qui gouvernera selon son mérite, ses compétences ou sa richesse : aristocratie et oligarchie).

La démocratie participative réduit le risque de trahison de la démocratie élective car elle offre l’avantage soit d’une prise directe de décision (exemple Suisse de l’assemblée du peuple : Landesgemeinde), soit d’une initiative référendaire (alors qu’en France celle-ci reste verrouillée par les parlementaires), soit d’un meilleur contrôle des représentants par la possibilité de censure des lois votées par les parlementaires.

D’où, d’ailleurs, aujourd’hui le regain du discours relatif au référendum d’initiative populaire dans notre pays, pour contrer la tendance oligarchique de la post-démocratie.

En tout cas la démocratie représentative s’articule habituellement en 3 temps :

• D’abord, le temps de la candidature à la représentation : c’est le temps de l’offre politique, c’est-à-dire des promesses. Comme l’a montré Edward Bernays (Propaganda), il y a une similitude fonctionnelle entre la publicité et la propagande politique (c’est même la publicité qui est à l’origine de la propagande moderne et qui a pris sa source aux Etats-Unis) : car il s’agit avant tout de produire l’appétence pour le candidat, chez l’électeur, comme pour le produit chez le consommateur. On met donc plus l’accent sur l’affectivité que sur la rationalité. C’est un temps de « post-vérité », comme on dit aujourd’hui.

Le temps de la candidature se caractérise pour cette raison par l’usage d’un vocabulaire fort et simplificateur.

• Ensuite, le temps de l’action gouvernementale, qui diffère toujours de ce qui a été promis car, comme le rappelait le Pr Jules Monnerot, le principe d’hétérotélie fait que les gouvernements réalisent souvent autre chose sinon le contraire de ce qui a été promis/envisagé. Au cours de cette période les mandataires s’écartent donc des mandants.

La pratique des dernières années apporte manifestement la preuve d’une coupure croissante entre les mandataires et les mandants (notamment en matière de justice ou d’immigration, les sondages montrent que l’opinion serait plus conservatrice que les gouvernants) : les majorités élues appliquent rarement leurs promesses électorales quand elles vont à l’encontre de l’idéologie libérale/libertaire.

Le temps de l’action politique se caractérise par un vocabulaire variable en fonction des urgences du moment. Ex. : Sarkozy a utilisé des termes forts et souvent des oxymores pour appuyer son action (ou son inaction…), comme l’immigration choisie, la laïcité positive, la discrimination positive, l’identité nationale, l’islam à la Française, le capitalisme régulé.

La tentation était de faire passer de la communication pour de l’action (on mettait à son crédit la réaction des adversaires aux mots prononcés, comme s’ils avaient été suivis d’action). François Hollande a été beaucoup moins prolixe (sauf Mariage pour tous) et le thème de la présidence normale s’est retourné contre lui.

• Enfin, le temps de la candidature à la réélection, au cours duquel les gouvernants s’efforcent de se rapprocher à nouveau des attentes de l’électeur en vue de le séduire ; la candidature à la réélection a donc un effet positif (vertueux) sur les élus ; a contrario, un élu qui n’est pas candidat à sa réélection peut être tenté d’accentuer l’hétérotélie (ex. : cas Obama ou Hollande).

Le temps de la candidature à la réélection se caractérise par un vocabulaire souvent moins fort que le temps de la candidature initiale : en particulier la problématique de la rupture n’est plus de mise et l’on insiste, au contraire, sur le besoin de… continuité ou d’approfondissement (ce qui veut dire la continuité de mon pouvoir). Ex. : « Génération Mitterrand » en 1988 pour suggérer que son action s’inscrivait dans la durée.

***

 Venons-en maintenant au vocabulaire de la dialectique gouvernants/gouvernés aujourd’hui.

  • Du point de vue des gouvernants il y a en réalité trois peuples, objets d’un vocabulaire différent : le peuple idéalisé, le peuple toléré et le peuple diabolisé.

Le peuple idéalisé

Le peuple idéalisé  comprend les résidents d’origine immigrée, qui ont pris la place du prolétariat dans l’imaginaire des partis au pouvoir et notamment ceux qui se réclament de la gauche. Ainsi, lorsque les médias parlent de quartier populaire il faut comprendre qu’il ne s’agit plus d’un quartier peuplé de personnes issues du peuple français, mais de personnes issues de l’immigration.

Le Grand Remplacement n’est donc pas seulement démographique mais aussi sémantique car idéologique.

Le peuple idéalisé fait toujours l’objet d’un vocabulaire positif, lénifiant et victimaire.

On pare ce peuple de toutes les qualités (« l’immigration est une chance pour la France » ; les migrants ont « des qualifications remarquables (2) » etc.) et on le présente souvent sous les traits de la victime : par exemple, il est réputé toujours habiter dans une banlieue défavorisée – même lorsqu’elle concentre la majorité des subventions publiques –, être sans-papiers (c’est-à-dire être entré irrégulièrement dans notre pays), être victime du chômage (et non pas vivre de transferts sociaux), de la discrimination, et, bien sûr, du racisme ordinaire de la part des autochtones (le racisme anti-Français étant réputé ne pas exister).

Et lorsqu’il commet des délits ou des crimes il ne s’agit la plupart du temps que d’incivilités, ou bien de coups de folie inexplicables, qui ne peuvent être attribués qu’à des isolés ou à des déséquilibrés.

Ce peuple victimaire bénéficie de toutes les attentions des partis au pouvoir parce qu’ils le courtisent en permanence à des fins électoralistes, puisqu’il est en croissance numérique.

Le peuple toléré

Ensuite, le peuple toléré correspond aux autochtones qui apportent périodiquement leurs suffrages aux partis au pouvoir et qui lui fournissent donc l’onction démocratique. Cet électorat permet aux partis au pouvoir de s’intituler « majorité », même lorsqu’ils ne rassemblent pas la majorité des inscrits. Le peuple toléré constitue donc la caution de la post-démocratie.

On dit aussi « peuple de gauche », ce qui est un oxymore puisque la gauche a abandonné le peuple et que les classes populaires autochtones votent de moins en moins pour la gauche !

Ce peuple doit surtout obéir. On dit alors qu’il adopte un comportement civique, citoyen ou responsable : comme lorsqu’il trie sagement ses déchets ménagers ou lorsqu’il se déplace à vélo ; ou lorsqu’il manifeste son « indignation » ; ou lorsqu’il participe à des minutes de silence à l’appel des médias de propagande ; ou lorsqu’il ne commet aucun amalgame ni aucune stigmatisation.

On tolère ce peuple à la condition qu’il se soumette aux valeurs de la République, c’est-à-dire aux commandements de l’idéologie libérale/libertaire dont la superclasse mondiale est le prophète et le garant ici-bas. Sinon on verse dans la troisième catégorie : le peuple diabolisé.

Le peuple diabolisé

Le peuple diabolisé regroupe enfin tous ceux qui ne se reconnaissent pas ou plus dans le Système post-démocratique actuel et qui refusent les commandements de l’idéologie libérale/libertaire et, en particulier, le Grand Remplacement des Européens sur leur propre sol. Il regroupe tous ceux qui votent mal, c’est-à-dire contre les partis au pouvoir.

Le peuple diabolisé n’incarne plus l’avenir radieux de l’humanité (comme au temps du prolétariat lorsque la gauche prétendait renverser le capitalisme) mais, au contraire, le passé national heureusement révolu (les heures sombres de notre histoire) car il s’oppose aux avancées, forcément progressistes, de l’idéologie libérale/libertaire et du mondialisme : le peuple diabolisé incarne donc le mal populiste, objet de mépris pour les bien-pensants.

D’où la prolifération de qualificatifs négatifs à son encontre.

Ce peuple diabolisé serait ainsi frileux, ringard, un ramassis de beaufs, de Dupont-la-Joie, de bidochons, de franchouillards, de réacs et de conservateurs (3). Le fait de parler des Français ou des gens à la 3e personne implique aussi une salutaire distanciation à son égard. A fortiori quand il s’agit de décrire ceux qui refusent le Grand Remplacement migratoire : c‘est évidemment du racisme, de la xénophobie, du repli sur soi, de l’islamophobie, de la crispation, de la haine, de l’intolérance, de l’exclusion, un rejet de l’autre, ou de la discrimination. Tout cela renvoie, bien sûr, à une « France rance » et à une « France moisie », dont on devrait avoir « honte ».

Le penchant totalitaire de la post-démocratie aboutit progressivement à :

-médicaliser l’expression de toute opposition à l’idéologie libérale/libertaire. C’est la signification des « phobies » en tout genre : islamophobie, homophobie, europhobie (critique de l’Union européenne). De même, la référence aux peurs –qui seraient, bien sûr, infondées – et aux « -ismes » (ex. : sexisme) sert la même finalité. Les dissidents sont ainsi considérés comme des malades, comme en URSS !

criminaliser l’expression du peuple diabolisé : on parle alors de propos inacceptables, sulfureux (donc diaboliques, ce qui voue au bûcher médiatique et/ou judiciaire et à la censure), nauséabond, de dérapage (donc dangereux), d’extrémisme (le terme extrême droite servant à disqualifier moralement pour éviter de débattre du point de vue contraire). Tous ces propos suscitent, bien sûr, un tollé, une controverse, une polémique, l’indignation et un nécessaire « appel à la vigilance » de la part des bien-pensants ;

-censurer, enfin, l’expression populaire : c’est le sens essentiel de la dénonciation du populisme mais aussi du prétendu racisme. Ainsi, par exemple, la censure vise à empêcher de débattre de l’immigration et de l’islam. Voir aussi les termes positifs pour justifier la restriction de la liberté d’expression (maîtrise de l’antenne, selon le CSA, responsabilité et retenue des journalistes, diète médiatique, de façon à éviter les termes inappropriés ou les amalgames, etc. De même la critique de l’action et du projet de l’oligarchie libérale/libertaire devient un fantasme, du complotisme, du conspirationnisme, une rumeur, une fake-news de la fachosphère, etc. : il s’agit en effet de diaboliser les informations qui vont à l’encontre de l’idéologie dominante (c’est le rôle des prétendus « décodeurs » dans les médias mainstream).

 La référence croissante à la notion de valeurs (valeurs de la République, valeurs de l’Union européenne, valeurs humaines ou humanistes, droits humains car il ne faut pas être machiste) sert de même à délégitimer toute opposition au Système post-démocratique. C’est un processus comparable à celui de l’excommunication : retrancher de la communauté ceux qui ne sont pas bien-pensants ou suspects de l’être (cf. la tentative d’assimiler le djihadisme au populisme, au prétexte que tous deux combattraient les valeurs de la République !).

De fait, l’invocation de ces valeurs de la République sert à masquer le caractère de moins en moins démocratique de la post-démocratie, selon un

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processus d’inversion accusatoire, qui est, avec la novlangue, l’un des procédés de domination du Système.

Cela veut dire qu’en post-démocratie le peuple n’est plus la source de la souveraineté mais celle de l’erreur et du « risque », surtout depuis le Brexit : comme le déclarait D. Cohn-Bendit, « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison » (4) ; ou Jean-Michel Apathie, qui déclare « Il faut s’interroger sur la question du suffrage universel » (5) ; ou bien M. Macron qui déclare « L’histoire a montré que quand on suit parfois la volonté des peuples, surtout dans des moments difficiles, on se trompe (6) » ; il ne s’agit plus de s’excuser de ne pas pouvoir suivre la volonté du peuple comme avant, mais de s’en féliciter.

Chaque élection où le peuple risque de mal voter est donc désormais présentée dans les médias de propagande comme un « risque » pour… la démocratie. On voit donc ressurgir l’idée que le gouvernement d’une élite éclairée – mais hélas autoproclamée – serait bien préférable.

• Du point de vue du peuple maintenant, et comme indiqué en introduction, on ne peut pas parler de novlangue populaire puisque celle-ci est la langue du pouvoir. Par contre, il y a bien une opposition populaire à la post-démocratie.

Car nous passons du temps des « majorités silencieuses », c’est-à-dire réduites au silence, au temps des majorités dissidentes, qui entrent en résistance contre les minorités dominantes.

Cette réaction se traduit politiquement (abstention et vote pour les formations alternatives identitaires ou populistes) dans la perte de crédibilité des médias mainstream, mais aussi progressivement dans l’apparition d’un langage critique spécifique. Ce langage est parfois fondé sur un retournement ironique de la novlangue du pouvoir, comme cela s’est souvent produit dans l’histoire.

Quelques exemples :

-Justement la diffusion du terme « novlangue », pour désigner la langue des médias et donc du pouvoir, est déjà significative de cette évolution. De même pour l’expression « politiquement correct », qui devient progressivement un moyen de dé-légitimation du discours du pouvoir (car on sait de plus en plus que ce qui est politiquement correct ne correspond pas à la réalité mais à l’idéologie, comme pour le marxisme à la fin de l’URSS). De fait, les sondages montrent que l’image de marque des médias ne cesse de se dégrader (sur le thème : « les médias mentent », d’où le retour des termes « bobards » et « censure » et l’apparition de l’expression « médias de propagande » ou « journalistes militants »), comme celle des politiques, ce qui est logique puisque les deux fonctionnent de concert ;

-l’apparition des termes « oligarchie », « oligarques » pour désigner la confiscation du pouvoir par un petit cercle (notamment le rôle des super-riches et des puissances financières dans les médias mainstream) qui caractérise aussi la post-démocratie. Il s’agit d’un retournement du terme appliqué aux Russes (qui sont diabolisés car la Russie incarne la résistance à l’idéologie libérale/libertaire et à l’unilatéralisme occidental). Un milliardaire russe est appelé un oligarque, alors qu’on ne dit jamais cela d’un milliardaire américain ou saoudien. Le FN avait tenté de promouvoir le terme « Etablissement » (francisation du mot Establishment) dans le même sens, mais sans trop de succès. On voit aussi apparaître l’expression « superclasse mondiale » pour désigner l’oligarchie transnationale et mondialiste qui a pris le pouvoir en Occident. Le mot « cosmopolite » a aussi été utilisé mais il a été vite diabolisé (cf. critique de l’action du ministre de l’Economie de l’époque P. Moscovici). Le mot « mondialiste » lui est préféré (qui renvoie aussi à une critique de la mondialisation économique, contre le discours de la « mondialisation heureuse » des oligarques) ;

-la dénonciation du caractère factice de l’opposition gauche/droite au sein de la post-démocratie (puisqu’ils mènent la même politique libérale/libertaire). Ex. : « la banque des 4 » (prononcée par Le Pen reprenant une expression chinoise), « l’UMPS » (ce qui a conduit l’UMP à changer de sigle) ou « la fausse droite », ce qui correspond à une réalité politique essentielle : la disparition du caractère pertinent de ce clivage (depuis que la gauche s’est ralliée au néo-capitalisme et que la droite s’est ralliée aux idées sociétales de la gauche).

Cela se traduit aussi sous d’autres formes :

–la promotion du terme « Système » (ou « les partis du Système ») pour décrire l’exercice du pouvoir par l’oligarchie en post-démocratie : le fait de s’affirmer « anti-Système » devient d’ailleurs vendeur politiquement (même lorsqu’on n’a pas de programme comme dans le cas d’Emmanuel Macron !). Voir aussi la promotion du terme « dissidence » pour traduire l’opposition au Système ;

–le thème de la corruption des politiques (thème classique en France), qui a connu également une nouvelle jeunesse (notamment avec les questions de fraude fiscale dans la suite de l’affaire Cahuzac, ou avec le départ de Manuel Barroso vers la banque Goldman Sachs) ; il exprime aussi une réalité de notre temps : la soumission de la souveraineté politique aux intérêts des grandes entreprises transnationales, la soumission de la politique à la loi de l’argent ;

–le vocabulaire de la critique de l’Union européenne : aujourd’hui l’expression « Europe de Bruxelles » a un fort contenu péjoratif (Ex. : chahut contre Manuel Valls au dernier Salon de l’Agriculture où on l’a pris à partie en lui disant : « Vous n’avez pas de pouvoir, vous n’êtes que le mandataire de la Commission européenne »). La défiance vis-à-vis de l’UE s’est intensifiée avec la crise de l’immigration irrégulière depuis 2015. Voir ainsi le débat initié autour du thème « immigrants clandestins » auquel les médias ont systématiquement et de façon coordonnée préféré les mots « réfugiés » ou « migrants » pour essayer de provoquer un réflexe compassionnel en leur faveur. Cette manipulation a bien été perçue et reprise dans la contestation populaire de l’installation de camps d’immigrants (« ce ne sont pas des réfugiés ni des Syriens mais des migrants économiques »). De même la politique d’hébergement obligatoire des immigrants clandestins conduite depuis la crise de 2015 a suscité en réaction un contre-discours moral sur le thème « les nôtres avant les autres » (par référence à l’indifférence dont font l’objet les SDF Français, ce qui renouvelle la thématique de la préférence nationale et de la nationalité) ;

–on peut citer enfin la critique du discours officiel sur l’immigration : l’ironie autour du thème « padamalgam » ou des « déséqulibrés » des « terroristes belges » ou des « chances pour la France ».

Ce vocabulaire ne bénéficie certes pas de la capacité d’orchestration des médias de propagande : il a donc moins de force institutionnelle que la novlangue, mais il la concurrence, notamment grâce aux médias alternatifs et à la réinfosphère.

Et aussi parce qu’il exprime un certain état de l’opinion.

C’est d’ailleurs bien la différence avec la novlangue : celle-ci est une construction artificielle et non pas une évolution naturelle de la langue. Elle perd donc sa crédibilité parce qu’elle est idéologique et que l’idéologie se heurte à l’épreuve des faits. Ce qui n’est pas le cas de l’expression de la réaction populaire.

Michel Geoffroy
4/02/2017

Notes :

  1. Le Figaro du 29 janvier 2015.
  2. L’expression est de M. Macron.
  3. Ainsi pour A. Juppé, ceux qui ne veulent pas travailler le dimanche exprimeraient « une vision paléolithique de la société ».
  4. LeFigaro.fr du 5 juillet 2016.
  5. Valeurs actuelles du 17 novembre 2017.
  6. interview sur la chaîne israélienne i24 news le 25 décembre 2016.

(*) Note de la rédaction : Dictionnaire de Novlangue, en vente à la Boutique de Polémia

Correspondance Polémia – 8/02/2017

Image : « À les voir, à les entendre, on pourrait croire que les censeurs officiels qui prêchent sur les ondes et les écrans le prêt-à-penser taillé aux normes mondialisées, ont tout piqué à Big Brother. Il semble en effet qu’ils n’aient même pas le talent de la manipulation qu’on leur attribue. Ils doivent l’essentiel de leur œuvre à celle d’Orwell ». (Valentin Fontan-Moret, Dans Littérature 1 décembre 2014)

Michel Geoffroy

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