Par Alain Santacreu, romancier ♦ Les Mirages de l’Art contemporain, le titre du livre de Christine Sourgins, paru dans sa première version en 2005, reste une référence pour tous les contempteurs de l’art contemporain.
Sa réédition, enrichie d’un épilogue essentiel, « Brève histoire de l’Art financier », s’imposait car c’est l’un des ouvrages critiques les plus brillants que l’on puisse lire sur l’art conceptuel. L’auteur y expose avec érudition, subtilité et ironie ce phénomène politico-culturel qu’elle dénonce avec justesse comme une imposture totalitaire de type orwellien.
L’usage du terme “art contemporain” est équivoque. Ce vocable ne représente pas tout l’art vivant, même s’il voudrait s’en arroger l’autorité. C’est pourquoi Christine Sourgins propose l’acronyme “AC” pour “art contemporain”, afin de ne pas confondre l’idéologie de l’esthétisme officiel dominant, fondée sur le relativisme absolu et la transgression permanente, avec d’autres pratiques de l’art d’aujourd’hui.
L’AC se réclame de la rupture opérée au début du XXe siècle par Marcel Duchamp et le mouvement Dada. Son parti pris conceptualiste l’amène à s’interdire tout recours à la technique artistique classique et à rejeter toute forme de création par transformation positive de la matière. Ce courant restera minoritaire jusqu’au début des années 60 où il va peu à peu s’imposer. À partir des années 80, l’art contemporain est déjà triomphant sur la scène internationale.
En France, avec l’AC, l’art est devenu une fonction régalienne de l’État. L’ouvrage de Christine Sourgins dévoile la mise en réseau bureaucratique de cet art institutionalisé. L’État culturel est un État policier de la pensée, avec ses commissaires et ses inspecteurs qui consacrent et imposent les artistes à l’opinion publique.
Christine Sourgins s’attache à démystifier la fonction politico-religieuse de l’AC qui se prétend à la fois art citoyen et art sacré, essayant de s’insinuer dans l’espace vide créé par l’effondrement des idéologies et des religions. Elle relève avec perspicacité le parallélisme entre l’art contemporain et le mouvement du New-Age. Tout se passe comme si l’AC était l’expression d’un néo-spiritualisme dissolvant, d’une “seconde religiosité” parodique, pour reprendre l’expression d’Oswald Spengler. La perversité revendiquée de certaines productions de l’AC, leur propension à la scatologie et à la nécrophilie sont les signes obvies d’une spiritualité à rebours.
Ceux qui avaient déjà lu la première édition de ce livre apprécieront pleinement l’ajout de l’important églogue sur la transmutation de l’AC en Art financier. Cette alchimie du Verbe inversé était prévisible et annoncée, au mitan du XXe siècle, par l’arraisonnement anglo-saxon du marché de l’art, même s’il nous a fallu attendre le début du XXIe siècle pour percevoir clairement la relation entre l’AC et le système financier. Pour le pragmatisme relativiste américain, le marché seul décide de la valeur, le problème de la valeur intrinsèque de l’ œuvre ne se pose plus : l’AC est l’avènement de l’art du marché.
La tonicité et la vigueur du style, souvent caustique, du livre de Christine Sourgins pourrait le faire passer pour un pamphlet démystificateur mais il est bien plus : un irremplaçable ouvrage d’histoire sur l’art contemporain, très structuré et didactique, reposant sur un remarquable appareil critique et documentaire. Une lecture indispensable et roborative.
Alain Santacreu
10/07/2018
Christine Sourgins, Les Mirages de l’Art contemporain suivi de Brève histoire de l’Art financier, La Table Ronde, 2018, 320 pages
Source : Metamag
Crédit photo : Kim [CC BY-SA 2.0], via Flickr