Extrait du Bulletin d’André Noël ♦ Les militants macronistes sont redevenus « marcheurs », comme au temps de la campagne présidentielle, pour recueillir à travers la France les « doléances » des Français et leurs « espérances » par rapport à l’Union européenne. Leur apport est censé nourrir le programme de la liste présidentielle aux élections européennes. Le moins que l’on puisse dire est que les citoyens ne se bousculent pas autour des « marcheurs » pour faire connaître leur point de vue. C’est un échec !
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Pour plusieurs raisons
L’une de celles-là est qu’il n’est pas besoin de se déplacer pour leur demander leur avis, les électeurs l’exprimant plus fortement à chaque scrutin qui voit croître les suffrages en faveur de partis hostiles, à droite et à gauche, à cette Europe-là. L’autre raison est que, comme le candidat Macron avait déjà élaboré son programme avant même que les marcheurs aient fait remonter les souhaits de leurs concitoyens, les Français savent que le chef de l’Etat, inspirateur de la liste se réclamant de lui, n’en fera qu’à sa tête.
D’ailleurs, il a défini ce programme lors de son discours sur l’Europe, à la Sorbonne, en septembre 2017 et son caractère autoritaire ne le poussera pas à changer d’avis en fonction de l’opinion des personnes consultées. Il ne s’agit que d’un énième artifice de communication pour faire croire qu’il est attentif aux aspirations de ses compatriotes qui ne sont pas dupes.
Voilà que cette opération se double d’une autre, de la même veine mais qui, cette fois, n’a pas pour objet l’Europe mais l’Hexagone et dont les instruments ne sont pas les militants de base mais les ministres.
Le chef de l’Etat leur a demandé de quitter leur bureau au ministère pour aller « trottiner » sur les routes de France à la rencontre des « vrais gens » qu’ils ne connaissent, comme lui, que par ouï-dire. Et pas d’exception ! Sauf une : celle de Julien Denormandie, pourtant l’homme de la situation puisque secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, peut-être parce qu’étant déjà « de Normandie », il n’avait pas besoin d’aller ailleurs. C’est ainsi que Jean- Michel Blanquer est propulsé à Alençon, Bruno Le Maire à Pessan, Nicolas Hulot aux Arcs-sur-Argens, Françoise Nyssens à Aix-en- Provence, Agnès Buzyn… à Paris, Elisabeth Borne à Toulouse, Marlène Schiappa à Alès, Florence Parly à Verdun, Gérald Darmanin à Vichy, Jean Yves Le Drian à Abbeville, Muriel Pénicaud à Bayeux, etc.
Certains n’étaient pas chauds pour cette escapade provinciale mais ils ont dû s’y résoudre, les désirs du président – qui ne peut être partout ! – étant des ordres. Et au moment où le spectre d’un remaniement flotte sur le gouvernement, il serait hasardeux de jouer les frondeurs…
Pour ceux, néophytes en politique, qui redoutent de devoir répondre, sans filet et de manière impromptue, à un public pas nécessairement bienveillant, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, entend les prendre en main et les munir d’un « pense bête » ; il a en effet, déclaré au Parisien : « Beaucoup n’avaient jamais appartenu à un gouvernement et jamais fait un tel exercice. Mais je n’ai aucun doute, ça se passera bien. Ils auront des fiches thématisées pour avoir les sujets bien en tête. Et je passerai un peu de temps au téléphone avec ceux qui sont demandeurs. »
On a compris le but de l’opération : convaincre les «vrais gens » – ceux que Macron appelaient il n’y a pas si longtemps « les gens qui ne sont rien » ou comme son mentor Hollande « les sans dent » – de l’excellence de la politique gouvernementale et répondre également aux objections des électeurs et, surtout, les dissuader de croire que Macron est le « président des riches ».
L’Elysée est conscient que cette accusation risque de poursuivre le chef de l’Etat tout au long de son quinquennat et de compromettre sa réélection, un peu comme Sarkozy qui n’a jamais réussi à se défaire de l’épisode du Fouquet’s. Le président a déjà tenté de le faire au cours de ses récentes interventions télévisées et quelques ministres, dont Castaner, l’ont relayé en vain. Tous les sondages montrent que, non seulement cette accusation perdure, mais qu’elle s’aggrave et s’enracine dans l’opinion des Français.
Jusqu’ici, Emmanuel Macron pensait qu’il suffirait d’attendre que sa politique porte ses fruits à terme pour que les Français les plus modestes en perçoivent les bienfaits pour leur pouvoir d’achat et l’emploi, ce dont tous profiteront. Mais il se rend compte maintenant que ce serait trop tard si son image était à ce point dégradée, il serait difficile de la restaurer à quelques mois de la présidentielle, même avec de bons résultats, lesquels ne sont évidemment pas assurés d’être au rendez-vous.
Tant d’événements peuvent intervenir d’ici là dans l’économie mondiale qui pourraient bouleverser la donne ! Nicolas Sarkozy était bien parti en 2007, pour appliquer sa politique quand la crise de 2008 a tout changé, le contraignant à abandonner nombre de ses projets.
D’où l’opération « vrais gens » dans des villes de province, souvent oubliées, et d’où monte la grogne, plus encore que dans les banlieues « difficiles » sur lesquelles la classe politique a les yeux fixés.
Les pièges du prélèvement à la source
« Le prélèvement à la source est une vraie simplification», assure Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, à l’unisson du président de la République. Si les entreprises ont rapidement pris conscience qu’il s’agira pour elles d’une coûteuse complication que nous avons déjà évoquée dans votre Bulletin, les particuliers, à mesure que l’échéance approche – le 1er janvier prochain – et qu’ils se renseignent, s’aperçoivent, eux aussi, que ça va leur compliquer la vie… et leur trésorerie.
— Prenons le cas d’un couple de cadres retraités – déjà malmené par le pouvoir – chacun ayant trois pensions, ce qui est presque la norme (retraite de la Sécurité sociale, retraite complémentaire des cadres Agirc, retraite des employés, Arrco). Mensualisés auparavant, déclarant leurs revenus ensemble, ils n’avaient qu’un prélèvement sur leur compte en banque. A partir de 2019, ils en auront… six ! Chaque caisse prélèvera l’impôt pour le fisc et non pas globalement pour l’ensemble de la retraite. Qui dit multiplication des prélèvements dit multiplication des risques d’erreurs. Drôle de « simplification » ! Et s’ils ont des revenus locatifs, gérés par une agence par exemple, il y aura une ponction de plus. Prélèvements à la source qui existent d’ailleurs déjà pour les revenus bancaires.
— Le taux de prélèvement sur les revenus de 2019 sera celui qui a été a appliqué sur ceux de 2017 (2018 étant une « année blanche »). Ceux qui auront vu une augmentation entre-temps devront régler la différence à la rentrée 2019, lors d’une régularisation annuelle de l’impôt. Et ceux dont les revenus auront baissé devront faire une demande spécifique d’ajustement du taux de prélèvement pour éviter d’être trop pénalisés ! Vous aviez parlé de « simplification », Monsieur le ministre ?
Or, ce n’est pas tout ! Il faut savoir que le taux de prélèvement en 2019 ne tiendra pas compte des éventuels crédits et réductions d’impôts ! Ceux qui auront trop versé seront remboursés, certes, mais en septembre de l’année suivante.
— Le vrai but du prélèvement à la source n’est pas de simplifier la vie des contribuables. Si cela avait été le cas, on le voit clairement, c’est raté. N’oublions pas que l’idée vient du précédent gouvernement socialiste (dont Emmanuel Macron faisait partie) et cette mesure n’était que le premier et nécessaire préalable à une réforme d’une autre ampleur, à savoir la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. C’était l’engagement 14 du candidat Hollande, ainsi formulé : « La contribution de chacun sera rendue plus équitable par une grande réforme permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu. » Le prélèvement simplifié, c’est celui que Macron met en œuvre pour 2019.
— L’impôt sur le revenu est progressif. Plus les revenus sont importants, plus le taux d’imposition est élevé mais la CSG n’est pas un impôt progressif : que vous soyez riche ou pauvre, le taux est le même. L’Institut de l’entreprise, après avoir effectué des simulations, a conclu que la fusion entraînerait « un report massif d’imposition vers les catégories les plus aisées. » On peut redouter que, d’ici à la fin du quinquennat, Macron ne poursuive le programme de Hollande et fusionne l’impôt sur le revenu avec la CSG pour faire payer « les plus favorisés ».
Puisque nous en sommes à la fiscalité, rappelons que nos grands argentiers, aussi bien Gérald Darmanin que Bruno Le Maire, ont promis qu’il n’y aurait pas de nouveaux impôts, ni taxes, ni aucune augmentation de ceux-là. Or, Matignon a annoncé que les « frais de notaire », qui ne pouvaient dépasser 4,5%, pourront être portés à 4,7% si les départements le souhaitent.
Le gouvernement pourra toujours prétendre que ce n’est pas lui qui procède à l’augmentation, ce qui sera ajouter l’hypocrisie au reniement puisque c’est lui qui donne le feu vert pour opérer cette ponction sur ceux qui veulent devenir propriétaires.
Le Bulletin d’André Noël
Semaine du 21 au 27 mai 2018
Source : Le Bulletin d’André Noël, n° 2564 (pdf pages 1 er 2)
« Le Bulletin des Amis de l’Information Libre »
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