Par Jure Georges Vujic, écrivain franco-croate, politologue ♦ Après la démolition aux États-Unis de monuments et symboles du passé confédéré du Sud (monuments du général Robert Lee), du monument de Théodore Roosevelt et celui de Christophe Colomb, les actes de vandalisme réguliers en Europe à l’encontre de monuments de l’histoire chrétienne… les nouveaux inquisiteurs antiracistes et indigénistes s’attaquent cette fois-ci à la sculpture des Indiens d’Ivan Meštrović à Chicago. Meštrović est l’un des plus célèbres et talentueux représentants de la sculpture moderne croate, connu du monde entier pour ses œuvres de style sécession et expressionniste. Sous l’influence de sculpteurs français tels qu’Auguste Rodin, Antoine Bourdelle et Aristide Maillol, il a été le fondateur du groupe national-romantique Medulić (qui prônait la création d’un art de formes nationales inspiré par des chants épiques et héroïques).
L’initiative a été prise par le Chicago Monuments Project, une commission chargée d’inspecter plus de 500 monuments publics dans le cadre d’un « projet de guérison raciale et d’évaluation historique ». Parmi les monuments prétendument problématiques (41 d’entre eux) figurent les Indiens de Meštrović, qui seraient discutables en raison de la « représentation romantique et réduite des Indiens ». Il est vrai que depuis les archétypes parfois caricaturaux de l’imagerie indienne hollywoodienne, du « sauvage sanguinaire » au « noble sauvage » des westerns, du « visage pâle indiennisé » (dans le style Victor Mature, ou Jeff Chandler dans le rôle de Cochise ou Geronimo) jusqu’à la figure de l’Indien victimisé et idéalisé de Little Big Man ou de Danse avec les loups, on ne sait plus très bien à quoi ressemble un « vrai » Indien au sens anthropologique du terme. Les Indiens de Meštrović à Chicago sont deux sculptures équestres en bronze qui se trouvent au Congress Plaza à l’entrée ouest du Grant Park de Chicago, aux États-Unis. Les sculptures ont été réalisées à Zagreb et ont été érigées à Chicago en 1928. Elles ont été financées par la Fondation Benjamin Ferguson. Selon les historiens de l’art, il s’agit des meilleures sculptures monumentales de Meštrović et « ils ne sont pas trop stylisés : les muscles du cavalier sont presque anatomiquement réalistes ».
Il serait intéressant de savoir si les « experts racialistes » de la pureté indigéniste, s’emploieraient avec autant de ferveur à organiser, par exemple, des ateliers sur « la théorie du genre » ou sur le « postféminisme » dans les réserves indiennes, à s’interroger sur la place des femmes au sein de la société indienne, la tradition du scalping et de l’esclavage dans certaines tribus, mais aussi l’orientation pro-sudiste de régiments des tribus Cherokee, Creek, Choctaw, Seminole (environ 15 000 hommes), qui ont combattu au sein de l’armée confédérée du Sud. Il est peu probable qu’ils soient reçus avec autant de compréhension et de tolérance que chez les autochtones Européens qui sont plus enclins à adhérer à la nouvelle idéologie de la repentance.
Cependant, il faut garder à l’esprit que cet épisode misérable du lobby indigéniste-décolonialiste à Chicago n’est que la partie visible de l’iceberg d’un processus transnational plus profond de dissolution subversive de l’enseignement universitaire américain mais aussi occidental. Depuis Mai 68., la « révolution culturelle » de la gauche libéral-libértaire a colonisé l’espace universitaire par des théories postmodernes (cultural studies, gender studies), et s’est évertuée à déconstruire les humanités et des reliquats de l’éducation traditionnelle jugée suspecte. Aujourd’hui, on assiste, avec la propagation de l’indigénisme et du décolonialisme dans l’espace public, à une subversion complètement ancrée dans le néo-libéralisme et le relativisme des valeurs, avec la consécration institutionnelle de l’« ethno-masochisme ». C’est aussi la démonstration flagrante du processus d’inversion que subit le modèle de la démocratie libérale qui, par excès d’égalitarisme radical et sociétal, en vient à métastaser dans son contraire, dans le repli communautariste et la tyrannie des minorités.
Jure Georges Vujic
15/03/2021
Source : Correspondance Polémia
Crédit image : « L’archer », l’une des deux sculptures composant l’ensemble « Indiens » de Meštrović à Chicago [Domaine public]
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