L’immigration légale revient au Parlement le 17 avril. Polémia publie ci-après deux articles écrits par Pascale-Marie Deschamps, pour « Enjeux-Les Échos » qui, en raison de leur complémentarité, pourraient n’en faire qu’un. Dans un premier temps, l’auteur amorce le prochain débat parlementaire en présentant les résultats de l’étude de trois économistes sur la contribution des migrants à la croissance. En second lieu, Jean-François Copé (UMP), Marine Le Pen (FN) et David Assouline (PS) font part de leurs réactions. Polémia
Les immigrés stimulent la croissance
« Cet article propose une évaluation quantitative des interactions entre, d’une part, le produit intérieur brut ( PIB) par habitant et le taux de chômage et, d’autre part, l’immigration permanente en France métropolitaine sur la période 1994-2008. » Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly voudraient clore une polémique qui dure depuis des années : l’immigration a-t-elle ou non un effet positif sur la croissance et les Français ? Formés à l’université Paris I, les trois économistes universitaires n’ont qu’une religion, les données, et une seule liturgie, les modèles économétriques les plus dépouillés, c’est-à-dire non conditionnés par des hypothèses théoriques déconnectées de la réalité, et non biaisés par des arrière-pensées politiques.
300 millions d’euros par an
Les résultats de leur étude sont on ne peut plus probants. Les chercheurs ont en effet mis en évidence un « taux d’élasticité positif et significatif ». En clair cela signifie que pour la période considérée (1994-2008), lorsque le taux de migration (nombre de migrants rapporté à la population totale) augmentait de 1%, alors le PIB par habitant augmentait lui d’environ 5 euros par personne et par an. A l’unité, cette somme peut sembler faible, mais multipliée par les 67 millions d’habitants de l’Hexagone, on obtient un gain de 300 millions d’euros. Plus précisément encore, les économistes ont calculé ce taux d’élasticité par catégorie de migrants.
Effet positif des migrants familiaux
Or, à rebours des perceptions immédiates, c’est l’arrivée des migrants familiaux qui provoque l’effet positif significatif sur le PIB par tête. Autrement dit, les femmes, qui forment la majorité de cette catégorie, non seulement travaillent, mais ajoutent à la richesse des Français. En revanche, l’effet de la migration des travailleurs sur la croissance, dont on aurait pu spontanément supposer qu’il serait visible… ne l’est pas. « Non significatif », estiment les économistes. Autrement dit, « on ne peut pas conclure ». « C’est ce qui arrive parfois lorsque les effectifs sont faibles, ce qui en l’occurrence est le cas pour la migration de travail », explique Hippolyte d’Albis.
Un PIB en croissance joue comme un aimant
Inversement, et pour valider leurs modèles, les chercheurs ont également mesuré l’effet attractif ou repoussoir que les conditions macroéconomiques sur le territoire pouvaient avoir sur l’immigration. Et de fait, un PIB en croissance joue comme un aimant sur l’ensemble des catégories de migrants, ainsi que catégorie par catégorie (migration de travail et migration des familles). La conjoncture a donc un effet procyclique sur les mouvements de population. En revanche, la corrélation entre taux de chômage et flux de migration se révèle muette, ne permettant pas de conclure à un effet positif ou négatif. De même, les résultats ne savent pas dire si l’effet procyclique d’un PIB en croissance est dû à des changements des politiques migratoires (restriction ou encouragement) consécutifs au climat macroéconomique ou à l’ajustement spontané des migrants.
Bénéfices : la France au dessus de la moyenne de l’OCDE
Dernier point, les comparaisons internationales. Hippolyte d’Albis et ses coauteurs concluent que « la migration semble plus favorable à l’activité économique en France que pour la moyenne des pays de l’OCDE ». Les chercheurs ne s’avancent pas au-delà car, hormis l’Australie et la Nouvelle-Zélande, rares sont les pays qui disposent de séries statistiques assez longues pour mener des études similaires. La procédure habituelle pour établir des comparaisons à partir d’une base de données importante est donc de mêler les séries courtes ou incomplètes de plusieurs pays comparables en termes de population et structure économique. Inconvénient majeur de cette méthode : elle ne livre que des moyennes. C’est dire le caractère novateur de l’étude de ces trois chercheurs et la puissance de leurs résultats.
Méthodologie La base : les titres de séjour
Les données sur lesquelles les chercheurs ont basé leur étude, ce sont « les titres de séjour de plus d’un an accordés entre 1994 et 2008 aux étrangers en provenance des pays tiers et décomposés par motifs d’admission. » Les chercheurs ont travaillé sur le nombre réel d’autorisations de séjour long (et parfois de travail) attribuées à des ressortissants non européens établi par l’Ined après retraitement des statistiques du ministère de l’Intérieur. Ces données se distinguent par leur exhaustivité contrairement à celles obtenues par des enquêtes. Surtout, elles dénombrent des flux alors que la plupart des études précédentes devaient se contenter d’un chiffrage en stock (nombre d’étrangers présents à une date donnée). Ces statistiques permettent également de décomposer les entrées par motifs d’admission. Pour les besoins de l’étude, les économistes les ont regroupées en trois catégories.
Trois catégories de migrants
La première concerne les migrants qui se sont vus accorder un titre de séjour d’au moins un an pour motif de travail, soit 4.300 à 20.800 titres par an et 7,6% en moyenne du total des titres délivrés ; des hommes en grande majorité (68%).
La deuxième dénombre les migrants autorisés à entrer en France pour motifs familiaux – en majorité des femmes. En font partie les « conjoints d’étrangers » (au titre du regroupement familial), les « conjoints de Français » et « ascendants et descendants de Français ». Ces deux motifs représentent en moyenne 27% des autorisations, soit 10.800 à 57.100 titres par an. Cette catégorie regroupe aussi les titres pour le motif « vie privée et familiale » (les familles accompagnant des travailleurs avec un titre de séjour d’un an et plus, tels que les bénéficiaires des cartes « compétences et talents » ou les scientifiques). Ces titres de séjour donnent accès au marché du travail.
La dernière catégorie comptabilise les autres migrants : notamment les étudiants (17.700 à 51.300 titres par an) ; ils ont le droit d’avoir un emploi à temps partiel. Les visiteurs sont souvent des demandeurs qui ont des liens de famille avec les résidents ; ils n’ont pas accès au marché du travail. Les retraités (motif créé en 2004) n’ont pas le droit de travailler, mais les régularisés et les réfugiés le peuvent.
Un modèle basé sur les travaux de deux Nobel d’économie
Ces chiffres ont été ensuite passés à la moulinette de modèles économétriques qui permettent d’évaluer l’effet d’une variable sur une autre. Ces modèles VAR, pour vectoriels autorégressifs, qui ont valu à Christopher Sims et à Thomas Sargent le prix Nobel d’économie en 2011, sont très souvent utilisés en macroéconomie pour mesurer, par exemple, l’impact de la hausse des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires sur la croissance. Hippolyte d’Albis et ses coauteurs les ont utilisés pour mesurer l’impact de l’immigration extra-européenne légale sur le PIB français par habitant (mesuré à travers les séries mensualisées de l’Insee). Cet indicateur est plus fin que le PIB lui-même. En effet, le niveau global de richesse peut augmenter à population inchangée (productivité) ou mécaniquement, parce que les nouveaux arrivants y apportent leur propre part. En revanche, si le PIB par tête augmente, c’est que la contribution de la population nouvelle est supérieure à la contribution moyenne.
Peut-on mesurer l’effet de l’immigration sur les comptes sociaux ?
Soit, l’immigration contribue à l’augmentation du PIB par habitant. Mais qu’en est-il de son effet sur les comptes sociaux (retraite, santé) ? La réponse lapidaire serait de rappeler que les comptes sociaux étant une des composantes du PIB, cet impact positif ou négatif, s’il existe, est pris en compte dans l’étude globale. Mais, de fait, cette recherche ne distinguant pas l’effet de l’immigration sur les grands agrégats qui composent le PIB, la question reste posée : les migrants compensent-ils leur « coût social »? En 2004, Jacques Bichot, professeur à l’université Jean Moulin (Lyon 3), avait estimé à « 8 milliards le coût annuel net de l’immigration pour le système français de protection sociale », en se fondant sur le chiffre estimé de 1 million d’immigrés et enfants d’immigrés (hors Union à Quinze) inactifs ou au chômage. En 2010, Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, chercheurs associés à la chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » animée par Jean-Hervé Lorenzi, ont élargi la focale et montré que « la contribution nette globale de l’immigration au budget des administrations publiques serait positive et de l’ordre de 3,9 milliards d’euros pour l’année 2005. » Moins qualifiés et plus exposés aux aléas de la conjoncture, les migrants contribuent en effet moins que les autochtones aux régimes sociaux durant leur vie active, mais une fois à la retraite ils coûtent aussi moins, le solde annuel global devenant alors positif.
Hippolyte d’Albis
Récipiendaire en 2012 du Prix du meilleur jeune économiste de l’année pour ses travaux d’économie démographique, Hippolyte d’Albis est agrégé et docteur d’économie. Après avoir passé cinq ans à l’École d’économie de Toulouse, il est désormais professeur à Paris I et à l’École d’économie de Paris. Il est chercheur associé à l’Ined et à la chaire « Transitions démographiques, transitions économiques » animée par Jean-Hervé Lorenzi, et membre de l’Institut universitaire de France.
Pascale-Marie Deschamps
Rédactrice en Chef
Enjeux Les Échos
04/04/2013
L’immigration favorable à la croissance : réactions de Jean-François Copé, Marine Le Pen et David Assouline
Nous venons de voir plus haut qu’une étude, menée par trois économistes sur la contribution des immigrants à la croissance en France, conclut à une émigration favorable à l’activité économie nationale. On lira ici les réactions de François Copé (UMP), de Marine Le Pen (FN) et de David Assouline (PS) aux résultats de cette étude : si les commentaires de Jean-François Copé et de Marine Le Pen sont tout à fait dans la ligne du parti qu’ils dirigent, on ne sera pas non plus surpris par la force de l’argument idéologique de David Assouline. Polémia
Jean-François Copé : « L’enjeu est de réussir l’assimilation »
« Selon cette étude, l’immigration familiale augmente le PIB. Est-ce à dire qu’il suffirait d’ouvrir les vannes de l’immigration pour créer de la croissance ? Ce serait absurde. Certes, le PIB augmente quand la population croît, parce qu’une part des nouveaux arrivants contribue à la production nationale, mais aussi parce que cela engendre un surcroît de dépenses publiques : allocations familiales, logement, santé… Or cette logique d’une économie dopée par la dépense publique explique la crise du modèle français. La croissance doit reposer sur la production, l’innovation, l’export, pas sur de la consommation financée par la dette!
Limiter la question migratoire à l’agrégat du PIB est réducteur. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité d’accueil dans des conditions favorables à l’intégration (emploi, logement, éducation…). C’est la capacité des populations immigrées à s’approprier la langue, les valeurs et la culture françaises [ et non l’inverse, pourrions-nous ajouter – NDLR). L’échec de l’intégration et le développement du communautarisme ont sur le long terme un coût très supérieur aux 300 millions d’euros de hausse du PIB! Aujourd’hui, nous devons réduire l’immigration, pour réussir l’assimilation. »
Marine Le Pen : « D’autres études sont bien plus justes
« Elles montrent un impact très négatif de l’immigration massive sur la croissance et les comptes publics. Je les crois beaucoup plus justes, dans la mesure où toute immigration supplémentaire dans un pays qui compte déjà des millions de chômeurs et de pauvres alourdit mécaniquement la facture sociale, d’autant que l’immigration est souvent peu qualifiée et beaucoup plus largement au chômage que la moyenne. Elle pèse à la baisse sur les salaires. Les études sur l’impact de l’immigration oublient de surcroît un aspect essentiel : les violences communautaires et la montée des tensions nées de l’immigration pèsent très lourdement sur les comptes de la nation. »
David Assouline : « Non, les étrangers ne sont pas responsables du chômage »
« Cette étude sur l’impact de l’immigration légale de longue durée sur la croissance vient apporter un démenti cinglant aux discours populistes et xénophobes qui se développent de manière préoccupante depuis quelques années. L’extrême droite ne cesse de stigmatiser les étrangers en faisant peser sur eux la responsabilité du chômage mais aussi, plus largement, celle de la crise économique à travers les accusations d’assistanat et de bénéfice massif des prestations sociales. Pourtant, cette étude montre que l’immigration légale n’est pas un poids pour l’économie, mais un moteur de croissance. De plus, la France ne fait pas partie des pays de l’OCDE les plus ouverts aux migrants. En tout état de cause, les travailleurs installés régulièrement en France et qui apportent tant à notre pays ne peuvent pas, quelle que soit la conjoncture, être remerciés par la stigmatisation et le rejet. Au contraire, nous devons faire en sorte qu’ils trouvent toute leur place dans notre république laïque. »
Pascale-Marie Deschamps
Rédactrice en Chef
Source : Enjeux Les Échos
04/04/2013