Par Johan Hardoy ♦ Un livre est récemment paru en français sur le travail forcé des prisonniers d’opinion et des minorités ethniques en Chine : Made in China d’Amelia Pang (Éditions Globe, 350 pages, 22 euros). La journaliste américaine Amelia Pang, dont les origines sont ouïghours et chinoises, est l’auteur d’un livre bien documenté sur les camps de rééducation par le travail forcé qui quadrillent la Chine. Son livre rappelle l’existence de ces « goulags chinois » dans lesquels des millions de détenus participent aux exportations économiques florissantes du pays par le biais d’un vaste système de sous-traitance dissimulée.
Des messages clandestins venus de Chine
En 1994, Chen Pokong, un ancien leader étudiant soumis au travail forcé dans une carrière de la province de Guangdong, réussit à faire parvenir clandestinement une lettre à un militant sino-américain des droits de l’homme. En réaction à la description de conditions de détention relevant de « traitements cruels, inhumains et dégradants », une vague internationale de condamnations lui permet d’émigrer en Amérique, où il est désormais connu comme commentateur politique.
Depuis lors, des clients occidentaux découvrent parfois des messages de prisonniers chinois cachés dans des produits importés de Chine.
En 2012, une ménagère américaine trouve ainsi une lettre écrite trois ans plus tôt dans un mélange de mauvais anglais et d’idéogrammes chinois. Son auteur, Sun Yi, est un ingénieur détenu depuis 2008 dans le camp de Masanjia (province du Liaoning).
L’intéressé raconte que les prisonniers, qui n’ont comparu devant aucun tribunal, vivent dans des conditions d’hygiène déplorables, sont brutalisés, mal nourris et travaillent plus de quinze heures par jour et sans repos hebdomadaire pour fabriquer des produits d’exportation à vil prix (jouets, vêtements, composants électroniques, etc.).
Comme lui, de nombreux détenus sont des pratiquants du Falun Gong, un mouvement spirituel qui promeut une gymnastique traditionnelle privilégiant les exercices respiratoires. Ces pratiques, diffusées dans le grand public dans les années 1980 et 1990 au point de compter jusqu’à soixante-dix millions d’adeptes, ont en effet été interdites en 1999 par le Parti communiste chinois soucieux d’éliminer un potentiel contre-pouvoir politique.
Le « goulag chinois »
Inspirés du goulag soviétique, les premiers camps de travail chinois ont ouvert dans les années 1930. Après la mort de Mao en 1976, ses successeurs ont construit encore davantage de camps pour emprisonner quiconque était vaguement qualifié d’« ennemi du peuple ».
Malgré son abolition officielle en 2013, le système de « rééducation par le travail » (« laogaï ») reste à ce jour le plus vaste dispositif de travail forcé sous de nouvelles dénominations telles que « centres de désintoxication et d’isolement obligatoires » ou « centre d’éducation légale ».
La population incarcérée comprend diverses catégories : des intellectuels, des militants ou des journalistes critiques du régime ; des adeptes du Falun Gong ; des chrétiens, musulmans et bouddhistes tibétains ayant pratiqué en-dehors des lieux de culte approuvés par l’État ; des membres de minorités ethniques (Tibétains, Ouïghours ou Kazakhs) ; des « pétitionnaires » (une procédure légale qui déplaît parfois aux autorités) ; des ruraux dépourvus d’autorisation de travail dans les villes ; des délinquants (y compris juvéniles) et des criminels adultes.
À l’inverse des détenus des établissements pénitentiaires, ils n’ont pas eu droit à un procès ou eu accès à un avocat. Leurs peines « officieuses », qui peuvent atteindre jusqu’à quatre ans, ont été prononcées par des bureaux de sécurité publique.
Dans le cadre du travail forcé, ceux qui n’atteignent pas leurs quotas de production sont torturés et privés de sommeil. La mortalité est importante, encore aggravée par une carence en soins médicaux.
Par ailleurs, de nombreuses preuves tendent à établir que des prélèvements d’organes sont effectués sur des prisonniers d’opinion en vue d’alimenter le lucratif marché des greffes, ouvert tant aux Chinois qu’aux étrangers voyageant en Chine. En 2000, quatre-vingt-onze hôpitaux pratiquaient des transplantations ; en 2006, mille ! Dans le même temps, le pays ne possédait pas de système fonctionnel de dons volontaires d’organes. En 2005, le vice-ministre chinois de la santé a d’ailleurs admis que plus de 95 % des greffes provenaient de prisonniers exécutés.
Le martyr des Ouïghours
Dans la région autonome du Xinjiang, le « hashar » (travail forcé) impose aux membres des populations turciques âgés de dix-huit à soixante-cinq ans de travailler plusieurs semaines par an dans le cadre de programmes agricoles et de travaux publics, sans rémunération et à charge pour eux de pourvoir à leur nourriture, leur logement et leurs frais médicaux (les heures de travail perdues devant être compensées par un membre de la famille ou par le paiement d’une amende).
Le gouvernement chinois affirme avoir supprimé ce programme depuis des dizaines d’années, ce que démentent des organisations de défense des droits de l’homme. Un quart des douze millions de turciques serait ainsi enfermé dans des camps de travail.
Bien que leurs politiques officielles proscrivent le travail forcé, des grandes marques occidentales, notamment Nike, Apple et BMW, sont accusées de s’approvisionner auprès d’usines intégrées dans ces complexes carcéraux.
Le gouvernement chinois a également transformé cette région en État policier de haute technologie en y disséminant des caméras de reconnaissance faciale à intelligence artificielle.
Outre l’intérêt économique d’exploiter une main-d’œuvre gratuite et la lutte contre une dissidence qualifiée de « terrorisme », le régime cherche à effacer l’identité ethnique du Xinjiang par diverses méthodes telles que des stérilisations et des avortements forcés, des mariages interethniques avec des Chinois relocalisés et la substitution du mandarin à la langue locale.
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Que faire ?
Amelia Pang considère que les consommateurs doivent agir à leur niveau pour dénoncer et boycotter les entreprises chinoises utilisant de véritables esclaves modernes. Elle propose également la création d’un label « sans Laogai » pour promouvoir les entreprises et les marques vertueuses.
Cette « consommation éthique » pourrait ne pas être si dérisoire qu’elle le paraît à première vue car la Chine, pays fortement exportateur, n’est évidemment pas insensible à la perspective de moindres débouchés commerciaux en Occident.
Une prise de conscience des consommateurs s’impose d’autant plus que les Chinois se sont jusqu’ici adaptés sans trop de difficultés à une législation occidentale peu regardante, dans les faits, sur les conditions de production des marchandises.
Ainsi, en 1992, les États-Unis ont signé avec la Chine un protocole d’accord censé permettre à des émissaires américains d’inspecter les sites de travail forcé suspectés de fabriquer des produits d’exportation, mais les Chinois ont pu aisément le contourner en mentionnant simplement, pour le lieu d’origine, « travail pénitentiaire » au lieu de « travail forcé » !
En 1995, des fonctionnaires américains ont dû attendre dix ans pour visiter une usine. Depuis 2009, toutes les requêtes similaires restent en instance.
Au total, seule une entreprise américaine confectionnant des pinces à relier a été condamnée aux États-Unis en raison d’un recours au travail forcé chinois, plus de vingt ans après que l’une de ses concurrentes ait prouvé ses liens avec les camps de travail chinois !
Une loi de 2016 a certes supprimé une clause autorisant l’entrée sur les marchés américains de produits fabriqués par des enfants, des prisonniers et des travailleurs forcés au cas où la production intérieure ne pourrait satisfaire la demande du consommateur, mais il reste difficile de réunir suffisamment de preuves pour véritablement empêcher ces marchandises de pénétrer dans le pays.
Au printemps 2020, sous la présidence Trump, le Congrès américain a adopté l’Uyghur Human Rights Policy Act aux fins de sanctionner les responsables chinois impliqués dans le fonctionnement des camps de rééducation du Xinjiang.
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La région du Xinjiang est stratégique pour Pékin dans le cadre du projet titanesque de « nouvelle route de la soie ».
Si l’administration Biden est pour le moment moins préoccupée par la puissance chinoise que par le conflit en Ukraine, nul doute que les États-Unis s’efforceront, comme ils l’ont fait récemment avec la neutralisation des infrastructures des gazoducs Nord Stream, d’entraver par tous moyens l’avancée des liaisons maritimes et des voies ferroviaires devant traverser l’Asie pour parvenir jusqu’en Europe.
La poursuite de cet objectif devrait logiquement conduire le Département d’État américain à instrumentaliser les légitimes revendications des nombreuses minorités ethniques des régions concernées.
D’un point de vue éthique, ces considérations géopolitiques ne peuvent servir de prétexte pour ignorer ou même minimiser les horreurs commises par le Parti communiste chinois envers les minorités ethniques et autres prisonniers d’opinion.
Le travail de sensibilisation d’Amelia Pang mérite donc d’être amplement diffusé afin que les consommateurs occidentaux s’interrogent en conscience sur l’origine réelle des produits « made in China » qui leur sont proposés.
Johan Hardoy
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