Le Conseil d’État serait-il favorable à la fraude à la demande d’asile ? La rigueur du droit français est légendaire. Néanmoins André Posokhow soulève un cas où elle est prise en défaut. Il s’agit du droit administratif qui régit les demandes d’asile dont le nombre ne fait qu’augmenter pour atteindre aujourd’hui plus de 80.000 cas par an. Ce droit d’asile est un véritable labyrinthe législatif et réglementaire à la disposition d’une kyrielle de juridictions. Une poule n’y retrouverait pas ses petits. En la circonstance, c’est le Conseil d’État qui est en cause. La juridiction suprême, par un retour de jurisprudence, s’est mise en situation de favoriser la fraude en fournissant au demandeur d’asile le bon moyen qui lui permettrait de contourner toutes les chausse-trappes de la loi et de la réglementation. Ce texte est technique, mais André Posokhow expose avec clarté sa démonstration.
Polémia
Un cadre juridique en principe strict et clair
Dans un État civilisé et républicain comme est censée l’être la France, il existe en principe une hiérarchie des textes qui créent le droit. Les textes strictement français qui jouissent de la plus haute autorité sont les textes constitutionnels. Puis vient la loi, expression de la volonté du peuple et votée par ses élus au Parlement. Enfin viennent les décrets, les arrêtés, les règlements, les circulaires administratives, etc.
Les actes réglementaires doivent respecter les jurisprudences des tribunaux et notamment ceux du Conseil d’État. Et c’est là que les choses se gâtent. En effet un esprit empreint des principes classiques du droit s’incline devant ces jurisprudences sous les conditions qu’elles respectent la volonté du peuple, qu’elles se bornent à interpréter et clarifier les textes législatifs et améliorer leur compréhension, qu’elles ne soient pas en contradiction les unes avec les autres, qu’elles soient cohérentes dans le temps, qu’elles ne soient pas vulnérables à l’esprit du temps et aux idéologies qui traînent et, surtout, qu’elles ne créent pas de nouvelles règles de droit à la place des autorités légitimes. Dans le cas contraire nous nous trouverions devant un gouvernement des juges.
Dans le cas du Conseil d’État on peut s’interroger. Un excellent exemple est fourni par le phénomène des « empreintes inexploitables ».
Un coup pour la fermeté
Le règlement de l’Union européenne du 18 février 2003, dit « Dublin II », a pour objectif de déterminer l’État responsable de l’examen pour chaque demande d’asile présentée sur le territoire européen.
En France, toute personne qui se présente en préfecture pour solliciter son admission provisoire au séjour au titre de l’asile doit faire relever ses empreintes digitales sur une borne électronique. Ce relevé sert à déterminer si, pour arriver en France, elle a transité par un autre État ou si elle y a déjà déposé une demande d’asile.
En 2011, selon l’OFPRA,
« près du tiers des premières demandes en procédure prioritaire (24,3%) émanent de ressortissants de pays de la Corne de l’Afrique, ayant volontairement mutilé l’extrémité de leurs doigts dans le but de rendre la lecture de leurs empreintes digitales inexploitables ».
Le 2 novembre 2009, le Conseil d’État, lui-même, avait considéré que l’impossibilité de relever les empreintes digitales d’un demandeur d’asile en préfecture permettait de considérer que celui-ci ne se conformait pas à l’obligation de se soumettre à son identification.
Par une circulaire du 2 avril 2010, le ministre de l’Intérieur demandait aux préfets, en cas d’empreintes inexploitables, de convoquer de nouveau le demandeur dans un délai d’un mois afin de « permettre la reconstitution de ses empreintes digitales ». Dans l’hypothèse où le relevé demeurait infructueux, le préfet devait procéder « à un ultime relevé dès que le demandeur se présentera dans vos locaux. S’il s’avère que ses empreintes sont toujours inexploitables, vous lui retirerez immédiatement son autorisation provisoire de séjour. »
Il est ainsi possible de relever, aussi bien de la part de la haute juridiction administrative que de celle du pouvoir exécutif, une volonté de fermeté et le souci de faire respecter les règles républicaines sans lesquelles le droit d’asile est bafoué. Désormais, le Soudanais de base, candidat à l’entrée dans notre beau pays, qui se mutile en pleine connaissance de cause pour forcer notre réglementation, n’est plus autorisé à demeurer en France.
La loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a précisé la portée de l’article L.741-4 4° du CESEDA qui prévoit qu’un refus d’autorisation provisoire de séjour peut être notifié en cas de recours abusif ou frauduleux à la demande d’asile : « […] Constitue une demande d’asile reposant sur une fraude délibérée la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d’induire en erreur les autorités ». Ainsi le législateur concrétisait les textes précédents et donnait à cette fermeté la valeur et la portée de la loi. Notons que ces dispositions relèvent du simple bon sens. Comment accueillir en France un individu qui ne veut pas que le pays d’accueil sache qui il est ?
La circulaire du 17 juin 2011 relative à la mise en œuvre de la loi du 16 juin 2011 mentionne que le nouvel article L.741-4 doit être appliqué aux demandeurs d’asile rendant « volontairement impossible l’identification de leurs empreintes ». Cette circulaire a été validée par le Conseil d’État.
Par une note interne datée du 3 novembre 2011, le directeur général de l’OFPRA, fonctionnaire respectueux des textes, a prescrit aux chefs de division géographique de prendre des décisions de rejet pour les demandeurs d’asile placés en procédure prioritaire en raison de l’impossibilité pour les préfectures de lire leurs empreintes digitales. Plus de cinq cents demandes ont ainsi été rejetées sans entretien.
Un coup pour le laxisme
Jusque-là tout semblait aller bien. Cependant le ver était dans le fruit, c’est-à-dire dans la loi elle-même. Celle-ci prévoit que ces dispositions s’appliquent uniquement lorsque le demandeur d’asile fournit de fausses informations ou en dissimule « afin d’induire en erreur les autorités ». Selon la loi du 16 juin 2011, l’intention doit être établie pour que l’admission provisoire au séjour soit refusée. S’agissant des empreintes digitales inexploitables, le même raisonnement doit être retenu : l’altération doit avoir été effectuée volontairement.
La fraude ne sera donc pas jugée sur les faits : des empreintes digitales effacées, mais sur l’intention. Mettons à part le fait que se passer le bout des doigts à l’acide avant de répondre à une convocation à une préfecture laisse présumer l’intention, du moins pour un fonctionnaire d’intelligence moyenne. Mais surtout comment déceler l’intention, probablement profonde et complexe au plan psychologique, de l’impétrant qui ne parle pas un mot de français et pour le sabir duquel les services administratifs ne disposent pas des interprètes adéquats ?
Et, d’un seul coup, stupeur et retournement ! À la suite d’un recours introduit par la CFDA (Coordination française pour le droit d’asile), groupement d’associations en lutte pour le mascaret migratoire, le juge des référés du Conseil d’État a suspendu la note interne de l’OFPRA par une décision du 11 janvier 2012, confirmée au fond le 3 octobre 2012 : le juge a affirmé que « l’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la fraude n’est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d’asile concernés ».
Cette position a été confirmée par la Cour nationale du droit d’asile dans une décision de sections réunies du 21 février 2012, qui a considéré que :
« s’il revient à la Cour, en tant que juge de plein contentieux, non d’apprécier la légalité de la décision du directeur général de l’OFPRA, mais de se prononcer elle-même sur le droit du demandeur à une protection au titre de l’asile en substituant sa propre décision à celle de l’office, il en va autrement lorsque le demandeur d’asile a été privé de la garantie essentielle d’un examen particulier des éléments qu’il a présentés à l’appui de sa demande; qu’il appartient en ce cas à la Cour d’annuler la décision attaquée et de renvoyer la demande à l’examen de l’Office. »
Les palinodies du Conseil d’État
Ainsi, aux termes de ce qu’il faut bien appeler du charabia incompréhensible pour le commun des mortels, la CNDA a décidé d’annuler la décision attaquée et se défausse sur l’Office qui est ainsi pris à contre-pied. Elle ne l’a fait que parce qu’elle a été encouragée par la décision du Conseil d’État.
Celui-ci n’est pas cohérent avec lui-même et se contredit. Voilà une instance qui, en 2011, a validé la circulaire du 17 juin 2011 relative à la mise en œuvre de la loi du 16 juin 2011 et qui, en 2012, un an après, subordonne l’intérêt public du combat contre la fraude aux intérêts des demandeurs d’asile. Cette décision a une portée gigantesque au moins au plan moral. L’intérêt national, le respect de la loi et la lutte contre la fraude doivent s’effacer devant les procédés de ces demandeurs dont tout le monde sait qu’ils mentent, trichent et fraudent ! Et pour quelles raisons ? Ne serait-ce pas le changement de majorité politique, contrairement à toutes les règles de neutralité et d’impartialité politiques auxquelles des magistrats doivent s’astreindre ? Très probablement, mais l’idéologie a sa place dans la motivation de cette démarche et ce contre la volonté du peuple français dont les élus ont voté la loi du 16 juin 2011.
Comment un citoyen moyen pourrait-il s’y reconnaître dans ce salmigondis de textes successifs et contradictoires émanant de plusieurs autorités (sept en l’occurrence) dont on comprend difficilement l’autorité et les compétences réciproques dans cette affaire.
Plus grave apparaît le fait qu’une loi a été votée, que la circulaire d’application a été publiée et qu’une décision du Conseil d’État la rend inopérante alors que l’on ne comprend pas en quoi consiste précisément l’ « atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d’asile ». En réalité c’est la loi et également un règlement de l’Union européenne qui sont bafoués et abaissés sur simple recours d’une coordination d’associations et par connivence idéologique. Cette affaire constitue une illustration de ce qu’est le gouvernement des juges contre le vote des citoyens.
Échec à la loi et victoire des fraudeurs
Enfin, au plan concret, cette décision du Conseil d’État porte un coup très dur à la lutte contre la fraude à la demande d’asile et l’immigration irrégulière car l’altération des empreintes digitales rend en pratique l’étranger inexpulsable, aucun pays n’acceptant de délivrer un sauf-conduit à une personne démunie de toute possibilité d’identification. Le faux demandeur d’asile restera par conséquent en France. C’est ce que lui-même et ses complices voulaient. Ils ont gagné contre le vote du Parlement français.
André Posokhow
11/07/2014
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