Accueil | Société | Les déboires des patrimoines artistiques nationaux

Les déboires des patrimoines artistiques nationaux

Les déboires des patrimoines artistiques nationaux

par | 9 juin 2015 | Société

Les déboires des patrimoines artistiques nationaux

À propos de La Madone à l’escalier de Nicolas Poussin, prêté en ce moment par le musée de Cleveland pour l’exposition Poussin et Dieu au Louvre, Pierre Rosenberg, membre de l’Institut, ancien directeur du Grand Louvre, il y a quelques années, avait été gravement mis en cause dans un article intitulé : « L’exemplaire histoire de l’attribution de « La Madone à l’escalier » » (Valeurs de l’Art, 52, mars-avril 1998, p. 49-56), dont il aurait pu attaquer l’auteur, A. Crex, en diffamation … à condition que ce dernier ait menti… Voici le résumé du long récit de M. Crex.

En marge de l’exposition :  Poussin et Dieu au musée du Louvre (du 2 Avril 2015 au 29 Juin 2015)

Les patrimoines artistiques au cours des deux siècles précédents ont acquis une dimension sacrée, qui rappelle nos gloires passées et préserve les contours de nos civilisations. Ceci explique le fanatisme mis au service de leur appropriation à travers le monde, en même temps que l’augmentation fabuleuse des prix du marché de l’art depuis un siècle.

Sans être américanophobe primaire, on peut dire que sur le plan des razzias d’œuvres d’art, les Américains avaient justifié une fois de plus lors de la guerre en Irak un vice répandu chez eux. La rumeur courrait en effet que le pillage du musée de Bagdad par des Irakiens en 1991, qui revendaient ses œuvres à l’armée américaine, avait été organisé dans le but de fournir des fondations et des collections privées américaines….

Des exemples abondent d’œuvres volées en Europe et dans d’autres parties du monde à la faveur de tragédies locales, qui, ayant trouvé place dans les musées des États-Unis, n’étaient récupérées qu’avec les plus grandes difficultés, même si leur célébrité justifiait amplement de leur origine. Ainsi l’exemple de la tête de Shiva d’Angkor (1) achetée par le Met. de New York, qui ne la rendit qu’après d’âpres tractations sous l’égide de l’Unesco.

On peut citer également l’inestimable butin des fouilles de Lydie, acquis en toute connaissance de cause par le même musée, qui ne fut restitué que grâce à une procédure introduite par le musée d’Ankara sur le sol américain. En fin de compte, la pression juridique devait amener le Directeur du Metropolitan museum de New York à négocier, mais sans que ne soit jamais reconnue une malhonnêteté quelconque. Car la mentalité américaine impute toujours la responsabilité de leurs spoliations aux pays qui se laissent dépouillés par les autochtones… : c’est plus facile pour se débarrasser de toute culpabilité !

Que dire alors du tableau de La Madone à l’escalier de Nicolas Poussin ? Peintre français magnifique du XVIIe siècle, dont le petit nombre de pièces en France ne permet aucune diffusion pédagogique de son évolution stylistique, par défaut d’originaux significatifs présents dans nos musées, alors que son influence a perduré plus de deux siècles après sa mort !?

Ce tableau, donc, fut montré à notre célèbre « œil » (2), et depuis, membre de l’Institut, Pierre Rosenberg, le même qui s’était illustré par un cri d’alarme chapeautant un article du Point (3) : « France, ton patrimoine fout le camp » !

Dans un premier temps, la conservation du Louvre évitait délibérément la donation de la « Madone à l’escalier » par sa propriétaire, Mlle Bertin-Mourot, qui témoignait de son intention (4) Puis, notre futur académicien faisait courir le bruit qu’il s’agissait là d’une simple copie de l’œuvre soi-disant « authentique » conservée à Washington ; cette « attribution provisoire » devant décourager sa préemption par les musées de France et favoriser son achat à « bas prix » par le conservateur de Cleveland, dûment prévenu de ce sabotage patrimonial… légal.

Ce qui n’empêcha pas, une fois la vente conclue, l’héritière du tableau d’être assignée par l’Administration des douanes pour exportation frauduleuse d’une œuvre authentique de notre peintre national, la « Madone » de Washington n’étant en fin de compte qu’une copie, toujours d’après le département du Louvre…

Melle Bertin-Mourot, de son côté, après quatorze ans de procédures avait obtenu gain de cause, mais n’en perdait pas moins dans l’aventure juridique tout l’argent que lui avait rapporté la « fausse copie » !

Le musée de Cleveland prête ce chef d’œuvre au Louvre…. Il n’empêche ! Cette pièce essentielle ne sera jamais rendue à la France.

Claudie Fournier-Christol
08/06/2015

Notes

  1. Le Roux, R. Paringaud, Razzia sur l’art, Paris 1999.
  2. Valeurs actuelles, 13 avril 2001
  3. Le Point, 30 mars 2001, n° 1489
  4. Valeurs de l’Art, mars-avril 1998, n° 52

Cet article vous a plu ?

Je fais un don

Je fais un donSoutenez Polémia, faites un don ! Chaque don vous ouvre le droit à une déduction fiscale de 66% du montant de votre don, profitez-en ! Pour les dons par chèque ou par virement, cliquez ici.

Voir aussi