Cet article peut paraître technique. Mais il décrit parfaitement les mécanismes de la financiarisation de la biologie médicale : actions des groupes de pression à Bruxelles et à Paris, multiplication des normes à la demande et pour les grands groupes, mise en œuvre du gouvernement des juges européens. Et pour finir regroupement des petites structures de proximité dans des oligopoles financiers. Après les cliniques c’est au tour des laboratoires de biologie médicale d’être absorbée par le monde de la finance. Pour le bien des patients ? Guillaume Lamarque fait le point.
Le secteur de la santé vit au rythme effréné des réformes qui tentent de remédier à des situations économiques désastreuses. Le principe de rationalisation est ainsi régulièrement martelé par les principaux décideurs de la santé publique, Ministre de la Santé en tête. Face à cet objectif, la loi HPST dite Hôpital, Patients, Santé et Territoires apporte de profonds changements au système de soins notamment sur le plan hospitalier. Ce chamboulement plonge également le secteur de la biologie médicale dans les aléas de modernisation avec l’obligation de passer sous les fourches caudines de la certification. En cause, l’ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale, publiée au journal officiel de la République française le 15 janvier 2010 (1) qui vient d’être abrogée. Posant de nombreux problèmes, sur la forme (passage en force suite à l’article 20 de la loi HPST) et le fond, cette ordonnance a été annulée en attendant la confirmation à venir de cette décision par le Sénat.
L’arène mercantile de la santé
Mais que se cache-t-il derrière cette nouvelle exigence pour le monde des laboratoires de biologie ? Peut-on parler de réforme bienveillante à l’égard du patient avec pour objectif de favoriser le développement de l’accès aux soins ou de lui permettre d’accéder à un système de meilleure qualité ? Ou alors sommes nous entrés de plein pied dans l’arène mercantile de la sacro-sainte rentabilité et de la financiarisation de la santé? Regardons cela de plus près.
A l’instar de ce que l’on observe dans le secteur hospitalier avec la mainmise de grands groupes privés (Vitalia, Générale de Santé, Medipole, etc.) sur les cliniques, les laboratoires sont désormais la proie de groupements mais aussi d’investisseurs dont la priorité n’est certainement pas le bien-être du patient mais plutôt celui des actionnaires. Une perspective corroborée par les propos de Thierry Bouchet, président du groupement Bio Paris Ouest rapportés dans le Figaro (2) « Un laboratoire de biologie valait 100% de son chiffre d’affaires il y a un an, il en vaut aujourd’hui 130% voire parfois 170% ». Les vautours de la finance lorgnent donc en direction d’une nouvelle manne financière. Mais il ne s’agit pas d’une nouveauté.
Les groupes financiers à l’assaut de la biologie médicale
La financiarisation du secteur de la biologie médicale résulte de différents coups de boutoir de groupes financiers. Le plus emblématique a été initié par Labco, véritable regroupement de laboratoires à l’initiative de biologistes et de non-biologistes, d’économistes de la santé et de gestionnaires. Ce groupe composé d’une société holding (Labco SAS), compagnie financière, avait pour ambition de se développer. En découle, le rachat par la holding Labco SAS de 120 laboratoires en France. En 2007 Labco SAS, leader européen, invoquant une violation du droit communautaire sur la libre concurrence et le libre établissement traine la France pour la première fois devant les tribunaux européens. En cause le quota, jugé insuffisant, de 25 % de capitaux extérieurs à la profession pouvant participer au financement de ces Sociétés d’Exercice Libéral (SEL) contre 75 % à des biologistes. Un tel pourcentage ne correspond pas aux attentes dévorantes des magnats de la finance. Il s’agit dès lors de forcer la France à changer sa réglementation concernant l’ouverture du capital des SEL des laboratoires d’analyses médicales.
L’Union européenne au service de la capitalisation de la biologie médicale
La France est sommée de modifier sa réglementation notamment en promouvant une ouverture plus importante du capital des laboratoires de biologie médicale à des investisseurs extérieurs. Ce qui débouche sur un deuxième recours contre la France et l’Ordre des Pharmaciens en 2008. Bruxelles saisit ainsi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) au motif que la réglementation relative aux laboratoires d’analyses de biologie médicale porte atteinte à la liberté d’établissement. Parallèlement à cette exigence d’ouverture du capital, l’UE incite la France à s’engager sur la voie de la réduction du nombre de laboratoires et d’une restructuration du secteur. Il s’agit d’une des toutes premières brèches qui va profiter à de grands groupes privées. La France ainsi que l’ordre des pharmaciens sont condamnés en décembre 2010 (3). Le processus d’atomisation du secteur de la biologie est en cours.
La Cour a reconnu le droit de la France à encadrer le secteur de la biologie médicale en limitant à 25 % la détention par des non-biologistes du capital des laboratoires mais en revanche a opposé à la France une fin de non recevoir concernant l’interdiction faite aux biologistes de détenir une participation dans plus de deux sociétés constituées en vue de l’exploitation en commun d’un ou de plusieurs laboratoires d’analyses de biologie médicale. La CJUE a clairement dénoncé les manquements de la France aux obligations en matière de liberté d’établissement.
Convergence du système financier et normatif
On assiste à la convergence du système financier et normatif impulsée par la technocratie européenne. Dans ce contexte, les préconisations de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) datant d’avril 2006 recommandent une nécessaire refonte de la réglementation de la biologie médicale afin de tendre vers l’efficience des examens. Ces orientations font dès lors le lit de la réforme actuelle de la biologie médicale. C’est dans ces conditions que Monsieur Michel Ballereau a remis à Madame Roselyne Bachelot-Narquin, le 23 septembre 2008, un rapport (4) reposant sur plusieurs points clés:
- – l’accréditation obligatoire des laboratoires de biologie médicale selon la norme européenne NF EN ISO 15189 ;
- – la modification de la définition du laboratoire de biologie médicale, hospitalier ou libéral, en « …imposant au laboratoire de biologie médicale de participer à l’offre de soins… » et en « …permettant l’existence de laboratoires multisites sur un territoire de santé… » ;
- – accroître l’efficience des dépenses par la réorganisation des laboratoires de biologie médicale et par « …une diminution sélective de prix portant sur les examens dont les analyses sont automatisées et l’interprétation standardisée. » avec, à la clef, « …une économie d’environ 100M€ net, sur trois années consécutives… ».
Dans la perspective de ne pas céder aux sirènes de la finance des gardes fous sont avancés dans le rapport Ballereau : la réalisation d’analyse sur site ou la limitation du nombre de sites, l’absence de monopole au sein d’une région ou encore un nombre imposé de biologistes avec une présence obligatoire. Mais ces règles n’ont pas survécu à l’ordonnance.
Objectif : normaliser les 5800 laboratoires à taille humaine
Mais c’est surtout les principes coercitifs de l’ordonnance du 13 janvier 2010 qui révolutionnent le secteur des laboratoires de biologie médicale. Elle repose sur la volonté de mettre au pas l’ensemble des 5 800 laboratoires français en vertu de la norme qualité ISO 15189. Cette norme ISO véhicule de nouveaux principes qui participent à une remise en cause du modèle de fonctionnement des laboratoires. Cette ordonnance risque de conduire à la concentration de laboratoires dont on sait qu’elle aboutira à la mainmise de cette offre médicale par de grands opérateurs via un savant maillage sur les territoires. Cette orientation est déjà largement amorcée en Europe.
Vers des chaines de laboratoires
Le but de cette réforme préside clairement à la disparation des milliers de petits laboratoires à taille humaine qui seront substitués par des chaînes de laboratoire détenus par des actionnaires. Les petits laboratoires de proximité ne pourront assurer le coût de la certification. Il s’agit avant tout de museler ces petites structures en les obligeant à se regrouper pour pouvoir supporter l’énorme effort financier exigé pour se conformer à la nouvelle réglementation instaurée par un pouvoir technocratique qui ne supporte, quelque soit la sphère, aucun particularisme. Evidemment les autorités revendiquent le bien-fondé du regroupement des laboratoires. Ironie de l’histoire, les groupements de laboratoires qui se sont plaints d’une atteinte à la libre concurrence vont désormais se retrouver en situation quasi-monopolistique en phagocytant l’ensemble des petites structures.
Adieu la proximité avec les patients, la réalisation d’analyse sur place, la qualité des résultats des différents examens, la rapidité des délais de rendus, la notion d’urgence. De telles mesures ne feront qu’accentuer l’existence d’inégalités déjà prégnantes en termes de santé sur le territoire français. Un paradoxe de plus pour cette république Une et Indivisible.
Guillaume Lamarque
10/03/2011