Note de lecture de Roger Vétillard, médecin cancérologue-pneumologue, né à Sétif en 1944, passionné par l’histoire de l’Algérie contemporaine, chercheur et auteur de nombreux ouvrages.
« Il n’en demeure pas moins que l’islamisme progresse dans la société, alors que les berbères se battent pour…».
Ce livre n’est pas disponible en France. Je remercie Gilbert Meynier de m’avoir fait connaître cet ouvrage. Amar Ouerdane est un Kabyle né en 1945, qui émigre en 1968 en France et en Suède, avant de rejoindre le Québec en 1969. Militant de la cause berbère, il obtient une maîtrise en sciences politiques à Montréal en 1983. Désormais canadien, il n’en reste pas moins un défenseur de la cause des Berbères de son pays natal.
Chacun connaît les particularités des régions berbérophones d’Algérie et notamment de la Kabylie. On se souvient du « printemps berbère » (Tafsut Imazighen) des années 80 ou encore des événements d’avril 2001 qui ont vu les Kabyles mettre en avant leurs particularités volontairement ignorées par les pouvoirs publics algériens. Les médias internationaux ont largement rendu compte de ces manifestations qui ont revêtu par moment un aspect de soulèvement populaire et entraîné une répression démesurée avec plus de cent jeunes Kabyles tués, de nombreux blessés et prisonniers.
Pour Amar Ouerdane cette révolte et la répression du régime algérien trouvent leur source dans l’arabo-islamisme imposée à l’Algérie par le FLN et ses alliés. Il faut remonter aux années qui ont précédé la guerre d’Algérie et non comme beaucoup le pensent – ainsi Boualem Sansal dans son essai accusateur : Gouverner au nom d’Allah / Aux premières années de l’Algérie indépendante (Gouverner au nom d’Allah: Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, Gallimard, Paris, 2013). Les oppositions entre « arabo-islamiques » et « berbéristes » se sont manifestées dès la création du PPA, puis du MTLD et de l’OS. Les arabo-islamistes, influencés par les Frères Musulmans et avant 1945 par Chekib Arslan, nient la réalité berbère de l’Algérie au nom de la religion, mais aussi luttent pour imposer un panarabisme à visage tiers-mondiste, à influences baasiste et égyptienne. Or le peuple algérien est avant tout berbère, même si une partie majoritaire de ses composants l’a oublié. Ramener tout à la religion musulmane, c’est renier ses racines, l’organisation sociale, la langue, l’écriture, bref toute la culture amaziγh.
Pour Ouerdane ce refus de s’accommoder de la démocratie, de ne pas être soumis à des lois inventées pour un peuple nomade, de nier la réalité berbère de l’Algérie est une constante des gouvernements algériens qui préfèrent une définition arabo-musulmane de l’Algérie en référence au slogan des Oulémas proféré depuis les années 1930 : « L’Algérie est ma patrie, l’arabe est ma langue, l’islam est ma religion ». Ce que nous dit l’auteur nous permet de rappeler toute la symbolique et la pérennité dont est porteuse la culture qui constitue l’axe autour duquel se sont développées les agitations kabyles. Elles étaient une réponse, une controverse à l’occultation de l’héritage culturel des différentes composantes du peuple algérien. C’était le refus d’accepter cette opposition artificielle qui était mise en avant par le pouvoir entre la culture, la bourgeoisie francophone et les masses arabophones.
Si en Algérie, officiellement le régime se déclare tiers-mondiste, progressiste, anti-impérialiste et reçoit pour ces belles paroles l’adoubement de l’intelligentsia occidentale, il n’en demeure pas moins que l’islamisme progresse dans la société, alors que les berbères se battent pour l’autonomie syndicale, la laïcité, la séparation du temporel et du spirituel, la démocratie, l’amélioration de la condition de la femme, avec l’aide des militants en exil. Faut-il parler de la brève ouverture démocratique qu’ils avaient réussi à obtenir au début des années 90 sous le gouvernement de Mouloud Hamrouche, expérience malheureusement rapidement interrompue pour revenir aux errements précédents. Et pour notre auteur, en Algérie «il n’y aura pas de révolution démocratique sans une refondation totale de l’État policier en État de droit et cet État ne pourra qu’être fédéral ». Un livre important qui n’est pas directement accessible commercialement en Europe mais qui permet de mieux comprendre l’évolution d’un pays maghrébin qui a conservé d’importants liens avec la France.
Roger Vetillard
02/11/2014
Source : Metamag
Les Berbères et l’arabo-islamisme en Algérie, Un ouvrage d’Amar Ouerdane, KMSA éd., 259 p, Québec 2003