[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]Période de vacances d’été 2017 – Pendant la période de vacances d’été, Polémia se met au repos du lundi 10 juillet au jeudi 31 août 2017. Voulant éviter à nos lecteurs tout assoupissement pendant ladite période, notre équipe a planifié un calendrier de mises en ligne d’articles déjà diffusés au cours des mois passés mais dont l’intérêt est toujours d’actualité et qui auraient pu échapper à certains d’entre eux…[/colored_box]
Par Hervé Bouloire, collaborateur parlementaire et essayiste ♦ Collaborateur politique et parlementaire, réinformateur, Hervé Bouloire nous livre ici un décryptage – vu de l’intérieur – de la défaite de François Filon : un candidat qui n’a pas su totalement choisir entre contrition et confrontation et qui a fini défait par une campagne de diabolisation à laquelle 30 ans de vie politique confortable comme notable ne l’avaient pas préparé. Polémia
Au vu des résultats, il serait un peu hâtif de dire que François Fillon a perdu seulement parce qu’il a fait une mauvaise campagne. Il a avant tout manqué la qualification à cause d’une image désastreuse imprimée et entretenue par les médias, renforcée au fur et à mesure que les « affaires » tombaient. L’image était si négative qu’il devenait difficile de redresser la barre pour transformer un élu mis en cause en candidat hors-Système, et ce, malgré tous les efforts des entourages. François Fillon a pâti de la conjonction la plus désastreuse, celle qui unit le calendrier d’une campagne présidentielle à un agenda médiatique et judiciaire offensif, fait hélas sans précédent dans une élection en France. Il est également hâtif d’accuser tel soutien (Sens Commun) ou de dénoncer le discours (une tentative de libéral-conservatisme, les mesures « choc » du programme, etc.). Des candidats plus sulfureux, dans le passé, ont pu tenir et continuer leur carrière politique malgré des attaques constantes. Mais il reste important de savoir comment Fillon a pu perdre. Surtout quand cela se voit de l’intérieur. Il y a eu plusieurs erreurs, certaines de nature structurelle, imputables à la personnalité du candidat, d’autres de nature conjoncturelle, quelquefois évitables, sans être totalement contrôlables.
Avant tout, un candidat peu préparé à la tempête
Commençons d’abord par le personnage, car c’est la première donnée qui joue incontestablement. La personnalité de chaque homme politique a toujours une conséquence sur la machine qu’il chapeaute, dans ses réussites comme dans ses échecs. François Fillon, c’est l’élu-notable, certainement grand travailleur, mais à qui les choses sont venues trop naturellement, sans véritable adversité : élection à l’Assemblée nationale en 1981, ministre en 1993, premier ministre en 2007, etc. François Fillon a baigné dans la politique depuis son plus jeune âge, mais pas toujours dans les rudes combats ad hominem. Peu familier aux attaques personnelles lancées par les médias, Fillon a découvert trop tardivement le rude univers de la diabolisation sans pitié : celle qui touche la famille et les proches ; celle qui instille le doute chez les amis et les électeurs ; celle qui aboutit à créer une image négative qui paralyse les bonnes volontés. Les mises en cause du Canard enchaîné, puis les polémiques qui ont suivi, sans jamais cesser, ont affaibli une personnalité peu préparée à affronter des médias violemment hostiles.
Un candidat mal « calibré » à l’égard de la diabolisation
François Fillon a découvert en janvier 2017, donc à ce qui devait être la dernière et ultime marche de sa carrière politique, une diabolisation. Trop longtemps bercé dans un univers consensuel, il lui devenait difficile de devenir en si peu de temps le candidat paria et hors-Système. Ainsi, les Le Pen (père, fille ou petite-fille) ont vécu avec la diabolisation. Marine Le Pen est quasiment née avec. Il est difficile, pour un élu du sérail, de s’improviser grand résistant. On imagine mal un Fillon s’érigeant en Lech Walesa ou Vaclav Havel. Le gène de la dissidence ne s’acquiert pas toujours sur le tard. A cela s’ajoute le côté réservé et secret du personnage, ce qui ne facilite pas toujours le travail, surtout pour l’entourage, lequel a découvert, en même temps que la presse, certains comportements réels ou supposés du candidat. Enfin, les revirements et les rétropédalages (l’engagement de ne pas se présenter en cas de mise en examen…) ont donné une image confuse et contradictoire. Quant au ton du candidat, il a trop facilement oscillé entre celui d’un candidat hors-Système et celui d’un notable de centre-droit. Bref, un discours hémiplégique à l’image des ambiguïtés du personnage.
Un candidat hésitant à désigner l’ennemi
François Fillon a été bon quand il a montré les crocs et accepté de désigner l’ennemi, ce qui, en politique, est une nécessité. Fillon a su crier au complot, taper – certes timidement – sur la magistrature et dénoncer les cabinets noirs. A titre personnel, l’auteur de ces lignes peut témoigner de deux moments de claires reprises en mains. Après les rudes coups du 25 janvier 2017 (première salve, dans le Canard enchaîné, sur l’affaire « Pénélope ») et du 1er mars 2017 (l’annonce d’une convocation devant les magistrats), le candidat s’est ressaisi à deux reprises. Au tout début du mois de février 2017, le candidat a repris quelque peu l’initiative quand il a lancé un tract dénonçant ouvertement la chasse à l’homme. C’était le 3 février. De même, la réunion publique en plein air du Trocadéro, le 5 mars 2017, lancée à la barbe des barons des Républicains, a été un excellent coup tactique, réalisé en temps record et permettant au candidat d’obtenir un sursis. Malheureusement, à cause de la maladresse du candidat, des attaques incessantes et, peut-être, d’une fatigue aggravant la situation, l’offensive ne s’est pas poursuivie. La mise en cause du cabinet noir a été lancée trop tardivement, de même que les références à « Emmanuel Hollande ». Il aurait certainement fallu attaquer plus tôt un candidat faussement centriste que certains ont cru fragile parce qu’il ne passait pas par les primaires. Fillon a cru qu’il affronterait le PS ou même qu’il devrait s’en prendre à Marine Le Pen, sous-estimant qu’un pouvoir à l’agonie est encore capable de coups bas en laissant prospérer la candidature d’Emmanuel Macron… Inversement, François Fillon s’est révélé faible quand il annoncé faire confiance à la justice, quitte à demander l’accélération de la procédure (!). De même ne pouvait être qu’incohérente l’annonce du retrait de sa candidature en cas de mise en examen : on connaît la suite… En temps de crise, il ne faut pas transformer l’ennemi en acteur neutre ou même en ami. Vous n’avez pas d’autre choix que de le désigner comme tel. Fillon pouvait faire du Trump. Il s’est résigné à une défaite, se sentant faiblement capable de tout supporter sur ses épaules.
Une mise en place laborieuse et compliquée de la machine politique du candidat
François Fillon a également pâti d’une mise en place trop laborieuse de son équipe de campagne. Le candidat a été victime en partie des primaires et de l’inertie qu’elle secrète. Expliquons-nous : trop facilement, la primaire donne au gagnant la certitude qu’il va gagner la présidentielle et que la victoire est acquise, une fois obtenue l’onction des sympathisants. Mais la vive campagne des primaires aboutit aussi à épuiser paradoxalement un candidat, lequel peut avoir la tentation de considérer qu’il a déjà fait l’essentiel dans le combat de la conquête des électeurs. La mise en place d’une équipe relativement opérationnelle a pris trop de temps entre le soir du 27 novembre 2016 et le mois de janvier 2017. En effet, la primaire donne, certes, un gagnant, mais elle impose aussi l’obligation de définir un nouvel organigramme, en prenant en compte les membres des équipes des autres candidats. Le résultat est donc une mise en place un peu laborieuse. Le Conseil national des Républicains du samedi 14 janvier 2017 a donné clairement l’impression d’un camp politique sans chef. On peut noter que les équipes Macron ont, elles, agi selon un bon « timing » – on nous pardonnera cet affreux anglicisme –, sans avoir à subir des primaires, en travaillant activement depuis avril 2016, aboutissant ainsi à la création d’une inédite équipe militante au service d’un candidat conformiste, mais capable de reprendre le modus operandi de l’action politique classique (collages, tractages, boîtages, etc.). Indépendamment du fond véhiculé par le candidat, Macron est peut-être le candidat qui a su le mieux utiliser le facteur temps, saisissant les moments opportuns, sur fond d’une présidence impopulaire, d’un PS déliquescent et d’une droite mal remise d’affrontements internes.
Une équipe parfois fébrile, trop récente et connaissant peu le candidat
Une autre difficulté s’est posée au candidat : la présence de personnes arrivées trop tardivement autour de Fillon, notamment après 2012, c’est-à-dire après l’épisode de Matignon. Cette équipe, qui a accompagné le candidat, notamment pendant les primaires du 20 et 27 novembre 2016, s’est persuadée qu’elle pouvait facilement gagner la présidentielle, oubliant que l’histoire ne repasse pas les mêmes plats, fussent-ils excellents. Certains noms de la « fillonie » étaient trop récents. Pourtant, la moindre action politique peut supposer un certain ancrage dans le temps et une familiarisation, même indirecte, avec l’homme que l’on soutient. Cela vaut pour tout le monde, y compris pour des permanents ne travaillant pas directement avec le chef. Dans la mesure où il restait un candidat largement connu du public, Fillon ne disposait pas de la possibilité de partir à zéro, à la différence de Macron, dont la dynamique et la récente apparition sur la scène politique a compensé l’absence d’entourages originels. Nicolas Sarkozy a au moins eu l’art de travailler avec des personnes qui l’avaient accompagné depuis plusieurs décennies, venant parfois des deuxième et troisième cercles.
L’absence ou l’arrivée tardive de fillonistes historiques
La mise en place d’une équipe de campagne suppose un certain dosage : il faut bien sûr, des « nouveaux », mais faut aussi garder des « historiques » qui ont eu l’occasion de connaître, même indirectement, le candidat. Ainsi, dans l’équipe de campagne, il était significatif que l’on trouvait assez peu d’entourages des parcours précédents de Fillon : sa présidence de certains exécutifs locaux, son passage à Matignon, etc. Ce n’est qu’au mois de mars 2017 que certains « historiques » sont revenus, mais tardivement. A cela s’ajoute le fait que certains permanents, issus des autres équipes des candidats aux primaires, ont quitté le QG au moment de la tempête, notamment en mars 2017, dans le second…
Une présidentielle encore vécue sur le mode de la primaire
L’équipe de François Fillon a semblé avoir traité la présidentielle sur le mode de la primaire, autrement que sur celui du groupe restreint, persuadé que, même en cas de crise, le candidat gagnera, comme il l’avait fait dans les primaires. La diabolisation du candidat a renforcé ces comportements des fidèles d’entre les fidèles, sans toujours faciliter les contacts avec l’extérieur (élus, etc.), entraînant la croyance que la « chance » du candidat compenserait les épines d’une diabolisation constante. La tentation a été aussi grande de penser que l’on pouvait agir sans la machine, même affaiblie et pas toujours productive des Républicains, ce qui est resté une erreur. A chaque fois que certains ont pensé s’en passer, les nécessités d’avoir un maillage territorial important poussaient à la nécessité de recourir à la formation Les Républicains. Le résultat est que le QG de François Fillon a dû, bon gré, mal gré, travailler avec le siège de la rue de Vaugirard.
L’engrenage du temps limité
Le temps peut aussi bien être un ami qu’un ennemi. Pour François Fillon, le temps long s’est transformé en temps restreint avec les affaires et les différentes pressions, le tout sur fond de premier tour qui devenait éliminatoire. François Fillon s’est donné 15 jours, sous-entendant qu’après il était jetable, s’est heurté aux annonces des convocations et aux attentes de chaque parution de l’édition du Canard enchaîné… Fillon ne maîtrisait plus le tempo politique. La campagne de terrain, trop longtemps suspendue au feuilleton des affaires et au lâchage des élus, n’a repris qu’au début du mois de mars, à un mois et demi du premier tour. Paradoxalement, la longue période issue des primaires, inaugurée par trop de temps morts, s’est transformée en calendrier serré et épuisant.
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Quelques semaines avant le 23 avril, la défaite semblait inéluctable. Malgré une dynamique militante, le reste n’a pas suivi. Le reste ? Évidemment, c’est tout le corps social et électoral. Les minorités font le monde, mais elles peuvent se heurter à un mur. L’image publique était trop facilement endommagée pour permettre un quelconque redressement. Pourtant, la campagne n’était pas inintéressante, et la synthèse libérale-conservatrice se révélait originale dans l’histoire de la droite. La campagne de Fillon démontre comment une victoire supposée acquise, selon un scénario improbable (une qualification aux primaires), peut se transformer en chemin sans retour vers la défaite (une attaque médiatico-judiciaire). Une histoire à méditer pour les futurs candidats. Un appel à davantage se forger face aux sirènes de certains instruments qui s’érigent en prescripteurs sans vergogne.
Hervé Bouloire
26/04/2017
Voir aussi :
Les trois fautes de François Fillon (par Michel Geoffroy)
Le lâchage de Fillon par certains élus : les médias font-ils les carrières politiques ? (du même auteur)
Correspondance Polémia – 27/04/2017
Image : François Fillon, face à une situation délicate