Par François Peray, essayiste et collaborateur politique ♦ La campagne municipale parisienne a pris des airs de petite campagne présidentielle. Elle a été focalisée par les médias autour de trois candidates : Hidalgo, Buzyn, Dati. Rachida Dati a – jusqu’ici – bien sorti son épingle du jeu : avec l’aide de Mimi Marchand et du photographe Olivier Coret elle a multiplié les unes des Magazines. Sera-ce suffisant pour emporter la partie ? François Peray en doute : pour lui – même à Paris – l’enracinement local compte et les maires d’arrondissement sont autant de chefs de village.
Alors résistance de l’enracinement local et du travail de terrain ou succès de l’esbroufe médiatique ? Réponse les 15 et 22 mars.
Polémia
Dopée par des sondages flatteurs, encouragée par une presse dite de droite, Rachida Dati talonnerait Hidalgo et serait en mesure de prendre Paris. Du baume au cœur pour beaucoup qui ne supportent plus la gestion calamiteuse de l’Hôtel-de-Ville depuis 2001 (insécurité de certains quartiers, malpropreté de la ville, endettement faramineux, etc.). Certains se mettent à rêver d’une victoire. Sont-ils sérieux ? On peut craindre l’existence d’une fausse dynamique, qui fait renouer la droite avec ses mauvais penchants : la confiance aveugle aux sondages et le faible impact des unes ou des brèves que l’on peut lire ici et là dans la presse. Et Si Rachida Dati n’avait vraiment rien appris des errements d’une droite qui cherche vainement à reprendre la mairie de Paris ?
1. Une confiance aveugle en les sondages
Le raisonnement de Rachida Dati est simple : il faut multiplier les unes, les interviews et les brèves pour faire monter les sondages et autres enquêtes d’opinion ; il faut faire la course aux journalistes pour qu’ils créent de la notoriété qui influencera ensuite les sondés ; il faut faire du buzz pour attirer l’attention que l’on espère transformer en intentions de vote, puis en suffrages exprimés. Résultat : Dati est devant Hidalgo, ou derrière – mais de très peu -, oscillant entre 24, 25 et 26%. Réconfortants, les chiffres ne sont pas pour autant flatteurs. Certainement pas pour Hidalgo, qui n’attire en fait qu’un quart d’électeurs parisiens, mais pour Dati non plus, ce n’est pas la panacée. Faut-il rappeler que NKM était partie, en janvier 2014, la fleur au fusil, avec des sondages la plaçant devant Hidalgo ? Et encore, l’ancienne tête de la liste de la droite parisienne caracolait à 39 %…
2. Une campagne parisienne, qui ignore la dimension locale du scrutin
On peut toujours rappeler que Paris connaît un turn-over dans sa population (déménagements fréquents intra ou extra-muros) ou que les parisiens sont plus sensibles que les autres français à tout ce qui est national. Pourtant, Paris, c’est aussi 17 arrondissements (les 1er, 2ème, 3ème et 4ème arrondissements ont été regroupés au sein d’un même secteur depuis 2017) avec des maires parfois implantés et des « écosystèmes » particuliers. Électoralement parlant, les parisiens ne votent pas pour le maire de Paris, mais d’abord pour un maire d’arrondissement. La question du choix de l’édile de Paris ne se posera qu’aux 163 conseillers de Paris, dont il est fort prévisible que la plupart seront désignés au second tour, le 22 mars prochain. C’est eux qui feront leur tambouille pour reconduire Anne Hidalgo ou lui trouver un successeur. La loi électorale est peut-être injuste – après tout, n’aurait-on pas pu imaginer la destination du maire de Paris au suffrage universel direct, sans préjudice d’une élection dans chacun des arrondissements ? -, mais elle a l’avantage d’enraciner le scrutin parisien dans un espace concret. Qu’on le veuille ou non, certains maires d’arrondissements sont aussi devenus des maires de village. Sur ce plan n’opposons pas exagérément Paris et le reste de la France. Si les arrondissements ont des compétences plus limitées qu’une commune, doit-on nier empiriquement une réalité concrète qui va au-delà d’un simple découpage administratif et d’une entité juridique. Faisons une comparaison : les départements ont beau avoir été institués en 1790 selon une logique géométrique, ils ont fini par s’enraciner auprès des habitants et des élus. Le problème est que Dati « parisianise » à tout prix le scrutin pour le réduire à un affrontement avec Anne Hidalgo. Elle oublie qu’il y a 17 combats à mener, tous différents les uns des autres.
3. Tout pour le logo, tout pour ma pomme !
Dati se revendique de droite – c’est à mettre à son crédit -, pense utiliser le logo LR comme une précieuse manne et se met en avant. Sur ce plan, elle rappelle beaucoup les démarches des candidats du FN aux élections locales : la campagne sur leur étiquette, voire sur leur nom (notons cependant que le RN a eu l’habileté de sous-traiter la campagne parisienne à l’essayiste Serge Federbusch, ce qui prouve que même un parti jacobin peu s’émanciper de la tyrannie du logo dans un scrutin local). Mais pas plus. Quand il s’agit du plus localisé des scrutins qu’est le scrutin municipal, il est impossible de faire une campagne sans parler des gens ou du territoire dans lequel on aspire à être élu. Pas la peine de débiter des éléments de langage (les EDL) que l’on retrouve d’ailleurs chez les autres candidats (la police municipale armée, même Villani est pour !). Il faut bien sûr parler de propreté ou de sécurité, mais encore faut-il le faire concrètement. Cela suppose de parler du commerce du coin, du jardin d’à-côté ou de la rue d’en-face. De discuter avec l’électeur le plus rouspéteur ou de convaincre l’éternel râleur. On ne peut que regretter la fâcheuse manie des parachutages que Rachida Dati reprend, notamment dans l’est parisien ou dans le 15ème arrondissement. Ainsi, elle met des candidats qui connaissent peu leur terrain avec comme risque prévisible de leur faire mordre la poussière… Pourquoi dénoncer les erreurs commises par la droite depuis 2001, si ce n’est pour faire strictement la même chose ? Dati fait comme Séguin ou Tiberi qui avaient chacun cru intelligent de parachuter des candidats dans tous les arrondissements, y compris là où la droite aurait pu rester…
4. La méfiance envers les talents : pas une tête ne doit dépasser
On se doute que la politique c’est clanique et verrouillé, que les équipes décisionnaires sont restreintes. Mais en contrepartie, il faut savoir faire émerger des talents et encourager ceux qui, dirions-nous familièrement, ont du « potentiel ». C’est vital, sous peine d’atrophie. Or Rachida Dati se méfie instinctivement de tout ce qui peut rayonner. D’où cette stratégie stupide d’écarter des maires d’arrondissement rodés (Philippe Goujon, dans le 15e arrondissement) ou des profils prometteurs (Pierre Liscia, dans le 18e arrondissement, qui a réussi à faire une campagne concrète et subliminalement identitaire en parlant des problèmes du crack à la Porte de la Chapelle). Mais la méfiance de Dati touche aussi les listes qu’elle a balancées. Ainsi, sur telle affiche, la candidate de l’arrondissement est plus petite que Rachida !
5. La méconnaissance de l’éparpillement électoral
Il y a une chose que l’irruption du macronisme a apporté un politique : la liquéfaction du champ électoral. Évidemment, il y a aura toujours des français – et donc des parisiens – de droite et de gauche, mais cela ne se reflète plus systématiquement dans la révolue bipolarisation LR-PS. Rachida Dati croit que l’équation est simple : la droite, c’est LR, la gauche, c’est le PS. Or on s’aperçoit que l’éparpillement, révélé par les enquêtes d’opinion avec toutes les limites qu’elles peuvent avoir, change tout. Comment expliquer, par exemple, un certain attrait pour Cédric Villani ? Il attire peut-être la gauche du macronisme, mais pas que. De même, l’attirance pour les écologistes ne saurait être vue sous un prisme exclusivement de gauche.
6. Le grand écart des convictions et la valse des idées
Elle visite les églises, mais ménage les LGBT. Dati pratique le grand écart. Sur l’affaire Polanski, elle ose même dire qu’on ne peut dissocier l’œuvre de l’auteur, foulant au pied toute tradition culturelle et scientifique en matière de critique. Par définition, on dissocie l’œuvre de son auteur. On se doute que les lecteurs du marquis de Sade ne sont pas nécessairement des libertins… Était-elle obligée de dire une telle absurdité pour plaire aux médias ? On pourrait multiplier les exemples d’indécision ou de « tchatche » creuse. Pourquoi se vouloir très à droite, si c’est pour chercher à rassurer la masse centriste – ou centrale – des électeurs parisiens ? On notera que sur ce plan, Serge Federbusch a pu égrener certains axes d’un programme à droite sans forcément susciter une vive réprobation (comme la réouverture aux voitures des voies sur berges de la rive droite qui, au demeurant, peut sembler contestable). Cela montre qu’il n’est pas difficile de parler de sujets sensibles et que le « en même temps » n’est pas une posture rhétorique obligatoire.
7. L’ignorance de l’échec des Républicains aux européennes de mai 2019
Ils étaient partis avec des sondages flatteurs, animaient des meetings enflammés : les Républicains se sont retrouvés sur le carreau, loin derrière LREM, pourtant conspué à cause de la crise des « Gilets jaunes ». Pourtant, ils ont eu droit à des couvertures chocs de magazines en pleine campagne électorale ! On a l’impression que cet échec n’a pas été médité. Pire : que les pièges d’une onction médiatique trompeuse n’ont pas été dénoncés. Rachida Dati a préféré continuer dans la stratégie du bunker : s’enfermer dans un parti délégitimé et démonétisé.
François Peray
13/03/2020
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Simon Kirby [CC BY 3.0]