Après la publication de l’unique biographie de l’écrivain et journaliste François Brigneau (Collection Qui suis-je ? aux Éditions Pardès), Anne Le Pape propose une étude passionnante sur une autre figure marquante de la droite radicale française dans son ouvrage Léon Daudet, critique littéraire (Éditions de Flore, 270 pages), que préface avec brio l’écrivain Stéphane Giocanti. Trop souvent oublié ou rapidement jugé, l’œuvre du « gros Léon », qui compte plus de cent-vingt volumes et environ neuf-mille articles de presse, est propice, comme l’écrit avec ferveur Anne Le Pape, à la découverte de la littérature, de la vie et de nous-mêmes.
Sous les meilleurs auspices littéraires
Léon Daudet est né en 1867, rue Pavée, dans le quartier du Marais à Paris.
Son père, Alphonse, est un écrivain célèbre et sa mère, Julia, tient un salon renommé qui amène le jeune garçon à côtoyer des personnalités telles que Victor Hugo, Anatole France, Flaubert, Maupassant, Zola, Renan, Tourgueniev, Huysmans ou Drumont.
Il entreprend plus tard des études de médecine avant de s’orienter vers une carrière de journaliste et d’écrivain. Le milieu médical inspirera un de ses romans les plus célèbres, Les Morticoles.
Une conversion au royalisme
En 1904, sous l’influence de Charles Maurras, Léon Daudet « entre dans la lumière après trente-six ans d’obscurité », selon son expression, en devenant « réactionnaire jusqu’à en perdre le souffle ».
Quatre ans plus tard, il parraine le nouveau quotidien L’Action française, le journal du mouvement royaliste, dont la devise est « Tout ce qui est national est nôtre ».
En 1919, il est élu député à l’Assemblée nationale. Seul de son bord politique, il y siège cinq ans durant lesquels ses dons de polémistes animent les débats parlementaires.
Après la mort restée mystérieuse d’un de ses fils en 1923, il refuse d’admettre la thèse officielle du suicide et accuse la « police politique républicaine » d’avoir assassiné l’adolescent. Des procès s’ensuivent et Léon Daudet est condamné pour diffamation à cinq mois de prison ferme. Après deux mois d’incarcération, il s’évade de façon rocambolesque de la prison de la Santé avant de se réfugier à Bruxelles pendant deux ans et demi.
De retour à Paris après avoir été gracié, il reprend ses activités de journaliste et d’écrivain jusqu’à sa mort à Saint-Rémy-de-Provence en 1942.
Au-delà du pamphlétaire
Stéphane Giocanti déplore vivement que « des historiens ballots » réduisent son œuvre à une dizaine de pamphlets jugés acrimonieux et outranciers, dont la violence est d’ailleurs souvent « nuancée ou corrigée par le comique, qui allait du grotesque au calembour, de la pitrerie à la gouaille ».
Il retient davantage le « mémorialiste d’une importance égale à celle de Saint-Simon », le « commentateur formidable des rues et des secrets de Paris », le « journaliste rempli de passion et de détails révélateurs de la vie politique » et l’ « historien engagé des mœurs et des idées politiques de son temps », dont l’œuvre permet au lecteur d’« entrer dans un siècle fabuleusement riche de vie artistique française ».
Le critique littéraire
Anne Le Pape s’est plus particulièrement intéressée au critique « à l’instinct sûr, au jugement prophétique, qui marque l’histoire intellectuelle de son époque. Rappeler qu’il fut le découvreur de Proust, de Bernanos, de Céline, est en soi assez parlant, mais il a apporté compréhension et soutien à bien des auteurs talentueux ».
Grand portraitiste, Léon Daudet s’imprègne tout d’abord d’un ouvrage en prenant en compte la personnalité de l’écrivain, avant de guider le lecteur sur le chemin des découvertes. Il existe, en effet, une hiérarchie artistique : « Il y a un excellent, un médiocre et un mauvais en littérature. » Le bon critique doit « sentir » l’esprit d’une œuvre sans chercher à collectionner les détails et les « choses périphériques ».
Un critère majeur de la valeur d’un livre est l’amour de la vérité exprimée par son auteur : « Le beau langage a toujours été celui de la sincérité absolue et résolue ». Au-delà de toute opinion politique et bien qu’il juge sa pensée faible et hésitante, il considère Vallès comme un des plus grands polémistes français. De même, il défend le génie de Rousseau face à Maurras qui le condamne sans appel, ou encore celui de Bloy malgré des lignes insultantes rédigées contre son père et lui dans son Journal.
Son refus de tout académisme le conduit à affirmer qu’ « en médecine, en littérature, en art, on ne peut rien faire de bon si l’on se parque dans une école, si l’on se fie à une doctrine ». « Une des grandes qualités du véritable écrivain, c’est précisément sa résistance au milieu, sa lutte contre l’ambiance et contre le penchant », comme en témoignent magnifiquement Rabelais, Montaigne, Molière, le Candide de Voltaire ou encore Nietzsche qui a « désengourdi » la littérature de son époque.
« Critique, c’est évocation », disait-il. Deux « romans » sont ainsi consacrés à Rabelais et Shakespeare, considérés comme de véritables compagnons.
Ouvert aux littératures étrangères (il lit Goethe dans le texte), il décèle des parentés entre écrivains de divers pays, comme entre Thomas Hardy et Rosny aîné, parents par l’inspiration, ou encore entre Balzac et Shakespeare.
Sa vénération initiale pour Hugo décroît fortement avec l’âge car sa réflexion l’amène à refuser ce qui constitue l’essence du XIXe siècle, le romantisme. Il loue toujours les « magnifiques dons de poète » de son « idole de jeunesse », mais déplore « le représentant éloquent de la déraison et de la démesure, dont l’influence sur l’esprit public a été nocive ».
Tout en jugeant divertissants ses articles polémiques, il se déprend également de Zola dont le naturalisme lui évoque un « romantisme de l’égout ».
À l’opposé, son estime va grandissante pour Drumont, Bloy ou Barbey d’Aurevilly.
Le rire et la sensibilité
L’ironie de Daudet consiste souvent à grossir des traits de caractère. À l’instar de Rabelais, il défend une certaine vision ironique de la vie, signe de bonne santé chez les individus comme dans les œuvres artistiques : « La postérité se place souvent du côté des rieurs, car la raison choisit bien souvent de s’exprimer par une intelligence joyeuse. »
Son amour et sa connaissance profonde de la langue française lui permettent d’exceller dans l’art des formules frappantes ou dans les jeux de mots railleurs sur les noms propres. Paul Valéry, qu’il n’estime guère, devient « Paul valait-rien », Abel Hermant se voit désigné comme « l’Abel au bois d’Hermant », tandis que le schéma d’une pièce de Dumas fils est ainsi résumé : « J’aime mon mari, je ne puis me défaire de mon amant et j’ai une cousine, ma meilleure amie, qui aime à la fois mon mari et mon amant. Que me conseillez-vous ? »
Léon Daudet goûte également les néologismes et les remarques au ton familier. Il admire les verdeurs stylistiques et la musique du langage de Céline, qui bénéficie d’ailleurs de sa voix lors du choix du Goncourt en 1933.
Selon lui, le plaisir que prend un écrivain à manier les mots et la syntaxe est comparable à celui d’un peintre qui joue avec la couleur et la lumière. Chez Ronsard ou Villon, « la lumière commande la cadence ». Colette écrit quant à elle une langue nourrie de concret, de couleur et de chair, alors que Flaubert sent le « renfermé » et que les personnages d’Ibsen n’ont « jamais bu une goutte de vin » !
Cette sensualité littéraire doit pourtant aller de pair avec une forte discipline intellectuelle et romanesque, selon une conception classique et un souci de l’ordre que l’on retrouve au cœur de la conception maurrassienne.
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En 1929 dans Paris vécu, Rive droite, Léon Daudet s’est exprimé sur l’antisémitisme auquel il a parfois été sommairement réduit en raison de son parcours politique : « Il y a belle lurette que j’en suis détaché de toutes manières […]. Je ris quand j’apprends que des personnes me croient encore dans le même état moral vis-à-vis des fils de Sem qu’il y a trente ou vingt-cinq ans. […] Dans toute cette affaire de décomposition et de l’enjuivement de l’État français, c’est la démocratie qui est coupable et non le Juif. Cela Drumont n’a jamais voulu le comprendre, pas plus qu’il n’a voulu admettre que la thèse des deux races, l’une envahissante – le Franc – l’autre envahie – le Gaulois – anéantie par Fustel de Coulanges, était une erreur. »
Johan Hardoy
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