« Précisons que dans la Ve République, cette approche suscite des réactions hostiles, que ce soit à l’égard de la sociobiologie ou de la thermodynamique du non-équilbre ».
L’écologie au service de l’Histoire
Rappels d’écologie
La vision écologiste repose sur l’intégration des différentes manifestations du vivant allant du gène à la planète-terre ; pour le moment. Les catégories intermédiaires sont le génome, l’individu, la population, la communauté, l’écosystème. Au-dessus de ces catégories, on trouve la biosphère, la géosphère, et, pour homo sapiens, dans une approche très réductrice, l’artisphère et la noosphère. Le génome est une association de gènes stables dans le temps s’exprimant à travers un individu, dont la réunion à ses semblables crée une population, qui, associée à d’autres populations, forme une communauté, qui, inscrite dans un substrat géoclimatique, devient un écosytème. Au dessus, …
Une présentation sommaire de l’écologie ayant été déjà faite dans Polémia, nous invitons le lecteur à relire les articles publiés par le soussigné : « Regard écologique sur le surclassement social et son lien avec l’immigration », « Regard écologique sur la dette souveraine », « Ecoracialisme », « Prophétie », etc.
En résumé, le fonctionnement de tout ceci repose sur des transferts d’énergie entre différentes entités, mais pas seulement. L’énergie est associée à de la matière et à des informations, l’ensemble étant qualifé de flux néguentropiques. Le physicien Erwin Schrödinger (Nobel 1933), auteur de Qu’est-ce que la vie ? (1944), est un des savants à l’origine de cette notion. Le modèle de référence qui en est issu repose sur l’identification de toute manifestation du vivant à une structure dissipative, notion issue de la thermodynamique du non-équilibre.
Cherchant à comprendre le moteur de tout ceci, des écologues réunis dans la catégorie des biosociologues considèrent que le gène et son conservatisme motivent toutes les manifestations supragénétiques se réalisant par une dialectique gène-milieu cherchant à réaliser l’optimum énergétique. Ce modèle est ultradominant aujourd’hui ; couplé à une conception de la vie reposant sur la sélection naturelle, non pas conçue comme la victoire du plus fort – ineptie de ses contempteurs – mais du plus adapté. Précisons cependant que dans la Ve République, cette approche suscite des réactions hostiles, que ce soit à l’égard de la sociobiologie ou de la thermodynamique du non-équilbre.
Rappels de thermodynamique
Parmi les principaux concepts issus des travaux portant sur le rôle de l’entropie dans la structuration des systèmes se sont imposées les notions de branche thermodynamique, d’état stationnaire, d’état marginal, de point de bifurcation, de structure dissipative, etc. Le siège d’un état stationnaire est une structure dissipative. C’est là que s’exercent les forces animant un système en non-équilibre thermodynamique. Pour les spécialistes, une structure dissipative se caractérise par les relations de réciprocité de Lars Onsager (Nobel 1968), où, « en thermodynamique des systèmes hors équilibre, ces relations de réciprocité relient des quantités nommées flux et forces dans le cadre de systèmes hors de l’équilibre global, mais suffisamment proches de celui-ci pour être régis par une certaine forme d’équilibre local » (Wikipedia). Les biologistes dans le sillage de Claude Bernard parlent d’homéostasie. Les thermodynamiciens parlent de situations proches de l’équilibre, bien qu’en non-équilibre thermodynamique toutefois. Il faudrait trouver de nouveaux mots, car cela crée de la confusion…
Une structure dissipative est un système séparé de son milieu par une limite et dont elle est distinguable. Son existence est conditionnée à la dissipation de flux néguentropiques. Cette dissipation est à l’origine d’une production d’entropie conformément au second principe de la thermodynamique et à l’équation du bilan entropique. L’entropie réversible est rejetée dans le milieu. En revanche, la part irréversible reste dans le système dont elle est une des composantes. La distinguabilité du système à l’égard du milieu est due à sa complexité qui est supérieure. Une distinction est faite entre les structures biotiques et les structures abiotiques, comme un tourbillon, par exemple. Ilya Prigogine s’est souvent appuyé sur les cellules de Bénard pour illustrer sa conception d’un système dissipatif abiotique.
Un exemple de structure dissipative biotique est un organisme, comme vous ou moi. Pour vivre, nous devons manger, nous chauffer, être éduqués, etc. Cela requiert de la matière, de l’énergie et des informations. Nous devons aussi rejeter les déchets issus de la dissipation de ces flux (entropie réversible). Ainsi, toutes les grandes villes sont constellées de stations d’épuration pour traiter nos eaux noires issues des toilettes avant qu’elles soient rejetées dans les fleuves et rivières. En revanche, nous ne pouvons rien faire contre l’entropie irréversible. Nous vieillissons irrémédiablement. L’issue en est un retour à l’équilibre thermodynamique, c’est-à-dire la destruction de la structure : la mort. Mais nos gènes assurent la continuité par la reproduction. La vie est donc envisageable comme l’enchâssement de structures de complexités différentes transférant entre elles de la matière, de l’énergie et des informations. L’écosystème est l’espace où ces échanges sont optimisés entre des constituants différents, garantissant leur perpétuation en s’associant ainsi. La notion de pyramide écologique est une image simple, mais pertinente, pour résumer cette conception. Ces échanges se font par la prédation, par la symbiose, par le parasitisme, mais aussi par le don. Tout ceci permet l‘entretien de la complexité et, dans une perspective évolutionniste, la complexification.
Une des caractéristiques essentielles de la complexité est l’apparition d’émergences aux propriétés irréductibles à celles de leurs constituants. Ainsi, les caractéristiques d’un homo sapiens lambda ne sont pas réductibles à celles de son foie ou de son cerveau, ou, mieux encore, à celles des milliards de bactéries que nous abritons. Idem, le comportement d’un individu engagé dans un processus collectif n’est pas réductible à son comportement quand il est esseulé. Le plus doux des hommes peut se transformer en guerrier redoutable à l’occasion d’une guerre vitale, alors que le voyou terrorisant son voisinage se révèle être un pleutre lorsque la violence est généralisée. Les savants qualifient de « complexité d’émergence » l’irréductibilité du Tout aux parties.
C’est sous ce dernier éclairage que sont envisagés les déterminants de l’évolution des structures dissipatives. Le monde vivant, aujourd’hui comme hier, apparaît alors comme une infinité de structures dissipatives intégrées les unes aux autres. La biosphère en est le cadre commun. La multiplicité des types d’êtres vivants est envisagée alors comme le résultat de l’évolution biologique qui se déroule sur notre planète depuis des dizaines de millions d’années. En assimilant la biosphère à une structure dissipative, cette évolution est la conséquence du flux ininterrompu d’énergie arrivant à la surface de la terre depuis des milliards d’années qui a fait naître, puis a modelé et diversifié peu à peu la biosphère, permettant l’accumulation d’une quantité d’informations sans cesse croissante transmise de génération en génération par le système des molécules d’ADN. La biosphère est le résultat d’un nombre immense de transformations, et chaque espèce actuellement présente a une très longue histoire qui remonte à l’apparition de la vie sur la Terre. Mais l’émergence de l’humanité, puis de la société industrielle, ont profondément modifié les rythmes et les cycles naturels. Le recours à des énergies fossiles a permis d’augmenter dans des proportions énormes la quantité d’énergie disponible, mais aussi la production d‘entropie. La crise écologique en est la conséquence.
L’entropie
Ilya Prigogine (Nobel 1977) a donné à l’entropie une nouvelle dimension. Sur ces fondements, elle est tout à la fois facteur de désagrégation des systèmes en non-équilibre thermodynamique conformément au Second Principe, mais aussi facteur d’exploration de l’espace des phases. L’entropie est alors envisageable comme l’élément permettant à tout système d’explorer les situations garantissant sa stabilité. Ces travaux se sont inscrits à une époque où dominait l’idée que le désordre était facteur d’ordre.
Les économistes ont ainsi souligné la destruction créatrice immanente au capitalisme, lui garantissant sa supériorité sur tous les autres modèles économiques. Les biologistes, dans le sillage de Darwin, ont envisagé l’aléa génétique comme le moyen pour la vie d’explorer de nouvelles formes, de nouveaux comportements afin d’avoir toujours une solution en cas de changement drastique du milieu. Finalement, la récursivité du hasard et de la nécessité s’est imposée après que Jacques Monod (Nobel 1965) eut popularisé cette association par le titre d’un de ses plus fameux ouvrages. Mais, avant lui, d’autres philosophes plus hermétiques avaient déjà souligné cette consubstantialité. On citera Démocrite, saint Thomas d’Aquin et d’autres innombrables. À la lueur des enseignements de la science contemporaine, les historiens de la philosophie auraient sans aucun doute beaucoup à écrire sur l’histoire de cette relation.
Retenons à notre niveau qu’il y a donc un véritable effet paradoxal de l’entropie. Elle est à la fois menace et espoir. Elle soulève toutefois une ambiguïté majeure : l’entropie ne se définit pas ni ne se mesure, la condamnant encore à alimenter le discours de philosophes, mais pas complètement celui des scientifiques. Les précédents articles ont tenté d’approcher l’essence de ce concept.
Le plus pertinent est de l’associer au désordre, intuition qu’eut Boltzmann, qui, lui, est une notion accessible à tous. Aussi, il s’agit désormais d’envisager le rôle du désordre dans le fonctionnement des écosystèmes et particulièrement des écosystèmes artificiels à l’origine de l’Histoire car le changement est inscrit en eux. Le modèle issu du cours de Jacques Chanu sur les branches thermodynamiques éclairera cette vue.
Celui-ci distingue les états stationnaires des états marginaux. Dans les premiers, l’ordre règne, l’entropie est limitée à des seuils ne compromettant pas la stabilité des systèmes. Puis, conformément au Second Principe, cette entropie croît, engageant le système vers plus d’instabilité jusqu’au moment où les désordres créés suscitent un changement d’état. Le système entre alors en état marginal où toutes les possibilités d’évolution vont s’opposer jusqu’à la détermination de l’optimale à l’origine d’un nouvel état stationnaire, jusqu’à… et ainsi de suite. Les biologistes ont noté que les systèmes issus de ces états marginaux sont en général plus complexes que les précédents. Les évolutionnistes ont ainsi envisagé l’apparition de nouvelles formes comme l’occupation de nouveaux espaces écologiques rendus possibles par la complexification de formes disparues ou maintenues à des stades moins complexes et dans des espaces écologiques plus grands. Ainsi, les bactéries existent toujours, mais homo sapiens domine la planète aujourd’hui. Malgré un Second Principe de la thermodynamique condamnant au désordre toute structure en non-équilibre thermodynamique, la complexification est une donnée incontestable et incontestée par les évolutionnistes. Ceux-ci, en effet, n’observent pas de régressions adaptatives dans les processus d’adaptation des lignées à leurs milieux. Lorsque l’une d’entre elles atteint son potentiel maximum de complexification, et alors que la croissance de l’entropie continue, elle disparaît, ouvrant les espaces désertés à d’autres formes d’occupation… écologiques.
Frédéric Malaval
18/03/2015