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L’entropie dans l’Histoire (1/4)

L’entropie dans l’Histoire (1/4)

par | 15 mars 2015 | Société

L’entropie dans l’Histoire (1/4)

« Dès lors, considérer que « La nation, c’est la guerre » est une antienne de la doxa d’aujourd’hui. »

Introduction conclusive

L’Histoire, conçue comme l’identification objective d’événements passés, est envisageable comme la manifestation de la recherche de l’optimum écosystémique. L’écosystème est l’espace où sont optimisés l’usage des ressources et le contingentement des contraintes auxquelles sont soumis les individus, les populations et les communautés. L’écosystème est donc l’espace où, par des relations de réciprocité, ces entités se perpétuent. Envisagée ainsi, l’Histoire est la chronologie de crises majeures provoquant des ruptures irréversibles pour tendre vers l’optimum écosystémique. Nos génomes sont l’épicentre de cette dynamique. Ils réunissent des gènes spécifiques à l’origine de nos déterminismes biologiques et comportementaux en tant qu’individus, populations, communautés, lignées.

L’entropie est alors envisageable comme le moyen d’explorer de nouvelles postures et organisations écosystémiques. Dit en termes plus hermétiques, l’entropie est un facteur d’exploration de l’espace des phases des systèmes vivants à tous niveaux, des procaryotes à la biosphère.

La discipline de référence pour étayer cette vue est l’Ecologie intégrant la Thermodynamique et la Sociobiologie. Quatre articles courts vont nous permettre d’appréhender l’Histoire sous cet éclairage.

Article I de l’Entropie dans l’Histoire : le conflit comme moyen de survivre durablement

Victor Serge et Ilya Prigogine

A l’occasion d’un exposé sur Victor Serge, figure de la Révolution russe, un historien résumait l’histoire de ce territoire à l’alternance de périodes longues, très rigides, entrecoupées de périodes plus courtes où tout était possible. Ainsi, proche de nous, à la Révolution russe succède le glacis stalino-bréjnévien. Aux errances gorbatcho-eltsiniennes succède la stabilité poutinienne…, jusqu’à maintenant. On verra ensuite. Dans des périodes plus reculées, l’ancienne Russie est déstabilisée au Temps des troubles (1598-1613) pour être extraordinairement stable de Pierre le Grand jusqu’à Nicolas II. De telles alternances sont observables partout, mais en Russie cela est particulièrement contrasté.

Issu de ces contrées, le physicien russe francophone Ilya Prigogine a résumé l’évolution des systèmes en non-équilibre thermodynamique (vivant ou non-vivant) par la succession d’états stationnaires longs et d’états marginaux brefs. Physiquement, la distinction entre ces deux états est caractérisée par la capacité ou non du système à absorber le « désordre ». En termes physiques, cela correspond aux situations où l’amplitude d’une fluctuation thermodynamique, donc d’origine entropique, est inférieure ou non à la longueur de cohérence du système. Pour les spécialistes, le modèle de référence pour formaliser ces situations est les équations de Lyapounov appliquées à la stabilité des systèmes dynamiques.

Que Prigogine, personne de haute culture connaissant parfaitement les vicissitudes de son pays, ait été à l’origine du modèle bio-physico-chimique qu’il a inventé ne ferait aucun doute pour un épistémologue. Personnalité scientifique majeure du XXe siècle, il eut l’intuition d’analyser la crise écologique ou environnementale en prenant appui sur la notion d’entropie qu’il a contribué à préciser. Ces travaux ont irrigué une multitude de disciplines, dont l’écologie. L’histoire envisagée à travers cette grille de lecture nous permet de saisir les raisons des changements profonds et des ruptures affectant nos écosystèmes artificiels que sont les sociétés humaines. L’histoire à travers ce prisme métapolitique n’est que la succession de stabilités et de ruptures brutales. Les ruptures ultimes sont les guerres intraraciales, c’est-à-dire celles opposant des individus semblables, distinguables uniquement par leurs emblèmes et leurs uniformes.

Pourquoi la guerre ?

Aujourd’hui, le fait est que nous vivons un état stationnaire depuis 1945. Le monde est en paix. Aucun conflit n’a opposé frontalement les grandes puissances. Certes, il y eut des morts lors de guerres périphériques, mais aucune n’atteignit les sommets de 1914-1918 et de 1939-1945. En outre, elles n’ont pas changé grand-chose à l’ordre du monde issu du dernier conflit mondial. Beaucoup voient dans ce succès le résultat de la disparition de l’état-nation dissous dans des ensembles fédérateurs. Dès lors, considérer que « La nation, c’est la guerre » est une antienne de la doxa d’aujourd’hui.

Il est vrai que les grands conflits depuis les guerres de la Révolution française ont comme pivot l’Etat-nation, seul capable de mobiliser les millions d’hommes appelés à porter les armes. Avant cela, pourtant, il y eut des conflits gigantesques comme la Guerre de Trente Ans, la Guerre de Sept Ans, etc., mais généralement celles-ci étaient le fait de chevaliers encadrant des cohortes de déclassés sociaux qu’une guerre de succession de quelque chose permettait d’occuper, assimilant dans cet esprit la guerre à de l’hygiène sociale pour les plus optimistes.

Cependant, ces morts et les désolations créées étaient déjà de trop, suscitant l’imagination pour les limiter. Ainsi, tout le monde aujourd’hui revendique les propos de Montesquieu qui dans De l’esprit des lois affirme que « Où il y a des mœurs douces, il y a du commerce », et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces. A cela les marxistes répondront que l’essence du commerce, c’est le capitalisme ; que celui-ci conduit à l’impérialisme ; et l’impérialisme à la guerre – guerre que le maréchal Helmut von Moltke portait aux nues : « La guerre est sainte (…). Elle empêche les hommes de tomber dans le plus répugnant matérialisme. » Ce à quoi Maupassant répondait : « Entrer dans un pays, égorger l’homme qui défend sa maison (…) et laisser derrière soi la misère et le choléra : voilà ce qu’on appelle ne pas tomber dans le plus hideux matérialisme… ». Etc.

Indépendamment des justifications possibles de la guerre se pose ainsi la question de ses déterminants avec comme seule réponse qu’il est impossible de les identifier à une seule cause. Les motifs pour faire la guerre sont innombrables. Un seul constat s’impose : c’est un phénomène récurrent dont il convient encore de réfléchir sur ses causes premières, amenant la vox populi à clamer que « la guerre est dans l’homme ». Allant plus loin, Ernst Jünger a pu écrire dans La Guerre comme expérience intérieure : « La guerre n’est pas instituée par l’homme (…), elle est loi de la nature. »

Un écologue ne pourrait désavouer ces propos car le conflit est immanent à la nature. Votre voisin est votre garde-manger, mais vous êtes son garde-manger. Et pourtant, tous vivent les uns à côté des autres. C’est donc cette loi de la nature irrépressible que nous allons éclairer à la lueur de l’écologie, de la thermodynamique et de la sociobiologie sur le fondement d’une idée-clé : les compétitions intra- et inter-espèces garantissent paradoxalement la pérennité des lignées interagissant.

Pourtant, l’heure n’est pas à l’exaltation de ces attitudes. Les générations nées pendant ou après le baby-boom n’ont jamais porté les armes et donc n’ont jamais participé à ces ordalies décisives. Une conscience de soi réduite à l’individu domine nos esprits actuellement.

Cependant, la conclusion s’imposant est que la guerre, ou le conflit en général, participe au façonnage des écosystèmes artificiels et à leur rééquilibrage, l’écosystème étant le lieu où les individus et les lignées constitutives se perpétuent. Le conflit est alors envisageable comme un phénomène éliminant les constituants et pratiques obérant la perpétuation des parties viables, mais aussi une réaction à la croissance de l’entropie irréversible que subit toute structure en non-équilibre thermodynamique. Il s’agit dans tous les cas de pérenniser leurs lignées constitutives.

Ainsi envisagé, le moteur de l’Histoire n’est pas le cheminement vers une fin, mais la perpétuelle adaptation à des changements. L’histoire est la manifestation de nos gènes, c’est-à-dire de la Vie, à se perpétuer. Nos aïeux qualifiaient cela de « vitalisme ». Ceci se fait à travers des génomes, des individus, des lignées, des populations, des communautés à la recherche d’un optimum écosystémique inaccessible en raison, d’une part, des changements perpétuels de la géosphère, et, d’autre part, de la croissance irréversible de l’entropie selon le second principe de la thermodynamique. Paradoxalement, la Vie ou plutôt nos gènes imposent ces ordalies que sont les guerres pour survivre. A l’issue de ces conflits, les systèmes politiques se recomposent sur des bases plus efficientes. Les personnalités dirigeantes changent ; des peuples entrent dans l’histoire ou en sortent ; les populations se restructurent sur des fondements plus viables ; les communautés se recomposent, etc. En résumé, l’ordre métapolitique mute.

C’est cette entropie consubstantielle à tout système en non-équilibre thermodynamique qui anime cette dynamique.

Frédéric Malaval
09/03/2015

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