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« L’Effondrement de la civilisation occidentale » de Naomi Oreskes et Erik M. Conway

« L’Effondrement de la civilisation occidentale » de Naomi Oreskes et Erik M. Conway

par | 5 septembre 2017 | Médiathèque

« L’Effondrement de la civilisation occidentale » de Naomi Oreskes et Erik M. Conway

Un texte venu du futur

♦ André Murawski, conseiller régional Hauts-de-France

L’Effondrement de la civilisation occidentale est un opuscule assez original. Abordant le thème du réchauffement climatique, Naomi Oreskes, historienne des sciences et spécialiste en prospective, et Erik M. Conway, historien à la NASA, ont en effet signé un ouvrage qui est à la fois un roman d’anticipation et un essai composé d’une interview des auteurs et d’une postface d’actualité.

L’ensemble forme un plaidoyer pour la prévention d’un désastre climatique, mais aussi une illustration du déni de la réalité que les pouvoirs publics peuvent manifester et, à l’occasion, réprimer, à l’égard d’autres problèmes sociétaux.


Un court roman d’anticipation…

En 2393, un historien chinois consulte les très abondantes archives permettant de comprendre les raisons pour lesquelles le monde a subi vers 2050 une catastrophe climatique sans précédent dans l’histoire de l’humanité, et qui a abouti à l’effondrement de la civilisation occidentale entendue non seulement comme espace géographique, mais également comme système économique et politique « néolibéral ».

5-bis-Leffondrement-de-la-civilisation_Les effets de la production de gaz à effet de serre ont d’abord été observés sous la forme d’une élévation de la température de la planète. Davantage de chaleur dans l’atmosphère signifiant davantage d’énergie à dissiper, on vit des tempêtes devenir plus puissantes, des déluges plus massifs et des sécheresses plus terribles. Peu à peu, les vagues de chaleur firent apparaître une pénurie en eau et en denrées alimentaires, provoquant en Occident un exode vers les zones à moindres risques et qui était aggravé par l’immigration massive issue d’Afrique et d’Asie. Finalement, la hausse du niveau des mers provoqua l’effondrement total.

60 à 70% des espèces disparurent. Les efforts entrepris trop tard pour faire baisser la température furent un échec. Les gaz à effet de serre devaient finalement être absorbés par un lichen mis au point par une généticienne japonaise, mais il fallut plusieurs centaines d’années pour que les sociétés survivantes se reforment. Seule la Chine avait pris les mesures qui s’imposaient, son organisation en puissant Etat centralisé et autoritaire ayant permis le subventionnement et la mise en œuvre d’un protectionnisme qui favorisa l’émergence et l’épanouissement d’une industrie des énergies renouvelables. La même organisation facilita la protection des populations au moment de la hausse du niveau des mers.

…qui aboutit à un constat sévère…

Les auteurs de L’Effondrement de la civilisation occidentale exposent l’attitude des pays développés à propos des conséquences à terme d’une économie basée sur ce qu’ils nomment la « combustion du carbone ». Dans les années 1960, l’opinion couramment admise était que « la solution de la pollution est la dilution », autrement dit, que la terre se régulait naturellement. Cette opinion changea cependant au fil du temps lorsque des études montrèrent que « les activités humaines changeaient considérablement les processus physiques et biologiques de la planète ».

L’idée fondamentale est que les hommes savaient ce qui allait se passer. Ils disposaient du savoir-faire technologique et des capacités nécessaires pour effectuer une transition ordonnée vers une économie qui n’aurait pas été pareillement productrice de dioxyde de carbone et de vapeur d’eau, lesquels ont pour effet de retenir la chaleur dans l’atmosphère. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette inaction.

La première tient dans l’hyper-spécialisation des scientifiques. Celle-ci aurait entravé la recherche sur les systèmes complexes, tandis que les critères de preuve de cause à effet auraient été trop sévères. Cela aurait amené les politiques à conclure qu’ils disposaient de plus de temps qu’ils n’en avaient en réalité.

La deuxième réside dans l’action des intérêts industriels et financiers. Ceux-là contestaient les conclusions des recherches scientifiques en s’appuyant sur les laboratoires qu’ils finançaient et en bénéficiant de l’appui des médias. L’opinion avait alors le sentiment que la vérité scientifique restait incertaine. Le désir de développement des pays émergents venait à l’appui de ces positions.

La troisième procède de l’idéologie néolibérale qui, à l’état pur, ne reconnaissait pas la notion de coûts externes et qui ne prévoyait donc aucun mécanisme de prévention des dommages à venir. Pour l’école néolibérale, le fondamentalisme du marché était supposé efficace. Mais il était aussi et surtout supposé être l’unique solution qui préservait les libertés individuelles. Le refus d’admettre la possibilité que le marché échoue et le but suprême de préserver les libertés individuelles aboutirent pourtant paradoxalement à une diminution des libertés.

…et qui met en évidence des réalités inquiétantes

Au nom de la préservation des libertés individuelles, la théorie néolibérale exposerait une certaine méfiance à l’égard du principe de précaution qui n’est pourtant que la formulation théorique de ce qui passait autrefois pour du simple bon sens. De plus, un effet pervers observable serait la concentration du pouvoir entre les mains d’une élite économique et politique qui perpétuerait le système en rendant très difficile l’expression de conceptions différentes.

Selon les auteurs, « utiliser la concurrence à de bonnes fins est fondamentalement une idée forte, mais elle ne fonctionne pleinement que si on la tempère par la nécessité de s’attaquer aux échecs du marché et aux coûts externes ». A défaut, les auteurs présupposent qu’un régime autoritaire sera plus apte à gérer un désastre climatique qu’une société libre ne le serait. Dans le roman, le retour de l’autocratie en Chine est justifié par la nécessité de combattre la crise climatique.

Dans l’interview qu’ils donnent à la fin de l’ouvrage, les auteurs parlent de « hard SF », de la science-fiction « dure » pour indiquer que rien dans l’ouvrage n’est pure invention. Concernant le genre choisi, ils précisent que travailler sur le mode fictionnel permet à des historiens de s’affranchir de la source, au moins partiellement.

Surtout, l’ouvrage cite des exemples concrets de dérives de nature liberticide, tels que le Sea Level Bill, adopté en 2012 par l’Etat de Caroline du Nord et niant la hausse du niveau de la mer. On peut se demander à ce stade sur quels fondements une loi peut intervenir pour dicter une vérité (ou une erreur) en matière de recherche scientifique. La voie réglementaire n’est pas en reste puisqu’on apprend que « les services du gouverneur de Floride, Rick Scott, ont défendu aux fonctionnaires de cet Etat d’employer, oralement ou par écrit, les expressions “changement climatique” ou “réchauffement de la planète” dans leurs analyses sur la hausse du niveau marin ». Plus loin dans le roman, des scientifiques sont incarcérés pour avoir « compromis la sécurité et le bien-être publics par des menaces indûment alarmistes ».

***

L’Effondrement de la civilisation occidentale est un roman-essai qui ambitionne de nous informer sur les effets de l’activité humaine sur le climat. La postface ajoute à l’intention des auteurs en résumant les derniers événements survenus au niveau international en matière de prise de conscience et de politique des Etats.

Mais au-delà de l’aspect écologique, c’est aussi l’idéologie qui sous-tend l’économie mondialisée qui est pointée du doigt. Les auteurs dénoncent la subordination des considérations environnementales aux intérêts financiers par l’intermédiaire d’un système politico-médiatique qui, sous prétexte de défendre les libertés, finit au contraire par les restreindre avant de s’effondrer dans une catastrophe mondiale.

Enfin, une réelle aberration est mise en évidence lorsque la loi devient un outil d’orientation, voire de limitation de la recherche. Comment ne pas se reporter ici à la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui dispose que « l’imprimerie et la librairie sont libres », tandis qu’un siècle plus tard, les lois Pleven en 1972, Gayssot en 1990, Taubira en 2001, Lellouche en 2002 ou encore Perben en 2004, dont le nombre à lui seul pose question, sont venues « orienter » cette liberté ?

André Murawski
Conseiller régional Hauts-de-France
20/07/2017

Erik M. Conway et Naomi Oreskes, L’Effondrement de la civilisation occidentale, Les Liens qui libèrent éditions, avril 2014, 128 pages.

Correspondance Polémia – 21/07/2017

Image : 1re de couverture

 

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