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L’économie de la méfiance

L’économie de la méfiance

par | 25 février 2011 | Société

L’économie de la méfiance

La situation économique est étrange. Les grands pays développés souffrent d’une crise profonde de la croissance et de l’emploi alors même que la période actuelle est marquée par de formidables innovations technologiques. Comment expliquer une telle contradiction ? Par les inconséquences du libre-échangisme mondial ? Par l’irresponsabilité des politiques de crédit et la création artificielle de monnaie ? Par l’ampleur du prélèvement du secteur financier sur le secteur productif ? À ces causes majeures, nous en ajouterons une autre: l’économie de la méfiance. Explications.

Dans l’antiquité gréco-latine Hermès/Mercure était le dieu des marchands, c’était aussi le dieu des… voleurs. Preuve s’il en était besoin de la méfiance collective vis-à-vis de la fonction marchande. Mais dans une société traditionnelle la méfiance est tempérée par l’interconnaissance des acteurs et une pratique de l’échange mettant souvent face à face des acteurs de taille comparable. Il n’en va pas de même à l’ère des échanges mondialisés et des grands oligopoles.

Méfiance des consommateurs

Aujourd’hui le développement du grand commerce s’est fait sur la base de la tromperie : campagnes de publicité vendant des images, non des produits ; ahurissement du client sous un déluge d’informations trafiquées ; techniques de « marketing » manipulant le consommateur par l’emballage et la disposition des produits sur les rayons.

Le client est aussi souvent trompé sur l’origine de ce qui lui est proposé et abruti par des campagnes de communication mensongères « verdissant » les produits ou les présentant complaisamment sous un angle « terroir », « équitable » ou « humanitaire ».

La relation client/agent commercial est aussi biaisée : l’assureur, le vendeur de voiture ou d’électroménager, le « conseiller de clientèle » d’une banque, l’« assistant de copropriété », tous sont « commissionnés » en fonction de leur capacité à augmenter la marge de leur employeur non en fonction de la pertinence de leur avis pour le client.

Client qui finit à juste titre par devenir méfiant car l’industrialisation des procédures commerciales n’est trop souvent qu’une professionnalisation de la tromperie. Professionnalisation de la tromperie qui est aussi souvent mal vécu par les opérateurs téléphoniques, les techniciens et les ingénieurs en relations avec les clients.

Méfiance des producteurs

Malgré l’analyse marxiste centrée sur l’exploitation du travail par le capital, l’entreprise – familiale ou grande – a longtemps été considérée comme une communauté associant les propriétaires, les salariés et les dirigeants, parfois même les clients. Dans ce système traditionnel le travailleur loyal avait souvent la garantie de l’emploi à vie, voire l’assurance d’un bon déroulement de carrière. L’entreprise était souvent un ilot de stabilité.

Tout cela a moins cours aujourd’hui. La concurrence mondiale a rebattu les cartes et fait disparaître dans les pays développés des dizaines de millions d’emplois industriels. Les délocalisations se sont multipliées ; délocalisations parfois justifiées pour sauver l’entreprise mais parfois engagées simplement pour augmenter la valeur à court terme des actions et les primes des managers. Quand une entreprise qui se porte bien délocalise ou « dégraisse », elle brise le lien qui l’unissait à ses salariés. Et elle brise la confiance de millions de salariés à l’égard de leurs employeurs.

Aujourd’hui un salarié rationnel n’a pas intérêt à s’investir psychologiquement dans une entreprise. Dans la mesure où rien ne lui est garanti dans la durée, il a au contraire intérêt à maximiser son avantage à court terme : minimiser son effort par rapport au revenu obtenu ou utiliser l’entreprise comme simple marchepied. Ce qui par contrecoup développe aussi la méfiance des employeurs à l’égard des employés.

Il y eu dans les années soixante, une volonté politique (« la participation ») d’associer le capital et le travail. C’est précisément à l’inverse qu’on a assisté : il y a désormais opposition manifeste entre le capital et le travail. Même si par le biais des assurances-vie, des fonds de pension et des caisses de retraite bien des travailleurs sont aussi des capitalistes anonymes qui s’ignorent…

Méfiance des épargnants

Les bulles spéculatives successives troublent aussi les épargnants qui ne savent plus guère comment se protéger. Il est clair en tout cas qu’ils ne peuvent pas faire confiance aux banques pour les conseiller…

Refonder le pacte social

La société marchande a détruit la confiance. La mondialisation a détruit les rapports de proximité.

Loin d’assurer mécaniquement l’optimum, cette situation est coûteuse car plus les marchés s’élargissent, plus les coûts de transaction et d’acquisition de l’information augmentent. Les grands marchés ont leur propre limite : les tricheurs y sont plus à l’aise que les autres. A contrario l’échange loyal implique des petits groupes. En ruinant les bases morales des sociétés, le capitalisme mondialisé accomplit la prophétie de Schumpeter : le capitalisme s’autodétruit. La relocalisation de l’économie de marché est une urgence. Et le patriotisme économique une condition de sa survie.

Andrea Massari
21/02/2011

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