La victoire de l’équipe de France en Coupe du monde de football en 1998 a donné lieu à un double délire : émotionnel et interprétationnel. Huit ans plus tard, il n’en reste rien. Raison de plus pour en faire l’analyse et prendre du recul. Explications.
Un consensus de Krivine à Le Pen
Le succès de l’équipe de France durant la Coupe du monde 1998 fit l’objet d’un formidable emballement médiatique. La victoire finale des « bleus » déboucha dans de nombreuses villes et bourgades sur des défilés automobiles avec oriflammes et drapeaux reprenant la chorégraphie de la Libération de Paris.
Les classes économique, politique et médiatique communièrent dans la même émotion.
De Le Pen à Krivine le consensus fut unanime pour saluer l’exploit des joueurs tricolores.
Huit ans plus tard ce souvenir est encore utilisé comme viatique politique. Ainsi le numéro deux du mouvement de Philippe de Villiers, le MPF, Guillaume Peltier, essaie de se faire pardonner son passage au Front National de la Jeunesse (FNJ), à la fin des années 1990, en faisant valoir qu’il y avait soutenu l’équipe de France de football. Ainsi explique-t-il aux journalistes qu’à défaut d’être politiquement correct, il était déjà footballistiquement correct !
Reste que tout le discours conformiste d’accompagnement de la Coupe du monde de 1998 à propos de la France multiraciale unie et de retour en tête sur la scène économique mondiale n’a pas résisté aux faits.
La transmutation économique du pays n’a pas eu lieu
Confondant le monde de la fiction sportive et celui de la réalité, bien des commentateurs ont affirmé que la victoire de l’équipe de France se traduirait par le retour de la puissance et de la croissance françaises.
Le géopolitologue socialiste Pascal Boniface voyait même dans la Coupe du monde « un moyen de l’indépendance nationale » pendant qu’à l’occasion du retour du succès pour l’équipe de France, en 2000, lors de la Coupe d’Europe, Laurent Joffrin du « Nouvel Observateur », saluait le 6 juillet 2000 la transmutation du pays : « Une équipe a changé une nation. Depuis deux ans on sait qu’un lien indéfinissable s’est tissé entre les résultats de 22 hommes et l’esprit de 60 millions d’autres. Le pays des brillants seconds est devenu celui des gagnants méthodiques, de la confiance conquérante. Dans la mondialisation comme dans le football, la France ne subit plus le match ».
Les faits se sont chargés de rappeler la réalité. L’heure est aux « déclinologues » qui démontrent, sans peine, que la France recule sur la scène économique internationale en termes de croissance, d’exportations, d’innovation et que ses déséquilibres financiers et sociaux la tirent toujours plus vers le bas.
Au demeurant une simple étude de l’histoire de la Coupe du monde de football suffit à montrer une déconnection totale entre les succès footballistiques d’un pays et sa situation générale. Ainsi, de 1966 à 2002, la Coupe du monde a été remportée trois fois – en 1970, 1994, 2002 – par le Brésil, « pays d’avenir et qui le restera », deux fois par l’Argentine – en 1978, quatre ans avant la sanglante défaite des Malouines, et en 1986, année précédant de peu la grande banqueroute financière ; quant à la seule victoire de la Grande-Bretagne, elle remonte à 1966 ; elle n’est donc pas contemporaine des années Thatcher mais précède la longue période de déclin travailliste des années 1970.
La vérité oblige à dire que le rayonnement d’une nation ne passe pas par le football. D’ailleurs la puissance mondiale dominante, les États-Unis d’Amérique, est totalement absente de cette fiction sportive et ne s’en porte pas plus mal !
La France black-blanc-beur a vécu
Le 14 juillet 1998, le directeur du « Monde », Jean-Marie Colombani, éditorialise ainsi sur la victoire de l’équipe de France :
« Quelque chose a changé ou peut changer la conscience collective ayant trait à notre propre identité telle qu’elle s’est affirmée à travers un grand spectacle planétaire : multiracial, c’est-à-dire noir, blanc, beur ».
Le directeur du Monde ne fait ici que reprendre l’opinion politico-médiatique dominante ainsi exprimée par l’urbaniste Roland Castro, le 10 juillet 1998 :
« Les Français sont […] devenus physiquement mondiaux. »
Pour tous les commentateurs, la France est devenue un Brésil d’Europe et c’est grâce à l’apport de joueurs maghrébins et noirs que l’équipe de France a gagné. Une série de faits va démonter ces analyses et ces prophéties complaisantes :
- La prétendue supériorité d’une équipe multiraciale, affirmée lors de la Coupe du monde de 1998, a été tournée en dérision, en 2002, lorsque l’équipe de France a été éliminée (sans avoir marqué un seul but) par l’équipe du Danemark, exclusivement composée de descendants de Vikings et dont l’un des joueurs, parfaitement scandinave, Jon Dahl Tomasson, fut le meilleur buteur de la Coupe du monde 2002 ;
- Le prétendu rôle intégrateur du football a montré son échec lors du match amical (!) France/Algérie du 5 octobre 2001 : tous les joueurs de l’équipe de France (sauf Zidane, d’origine algérienne) furent, dès leur entrée, sifflés par le public de banlieue présent au Stade de France, avant que le match soit finalement interrompu par l’invasion de la pelouse par les supporters, généralement juridiquement de nationalité française, de l’Algérie ;
- Les tenants du « foot citoyen » qui militent pour un « ballon arc-en-ciel » estiment que « fédérer toutes les cultures, c’est l’une des grandes vertus du football. Ce métissage, cet apprentissage, cette découverte, cette connaissance de l’autre, font son identité » ; mais dans le même temps les militants du football intégrateur doivent reconnaître que « les équipes communautaires se multiplient et ce repli identitaire ne va pas toujours dans le sens de l’ouverture et de la mixité des cultures » (éditorial du 6 juin 2005) ;
- Plus gravement, à l’occasion des matchs de foot amateur, le nombre des violences entre joueurs et/ou contre les arbitres ne cesse d’augmenter et ces agressions sont souvent commises sur des bases ethniques ;
- Le football comme opium de l’intégration a échoué. En 2003, le forum de l’Association des anciens élèves de l’ENA, Agorena, avait organisé un débat sur « le sport et l’argent » entre Jean-Marie Leblanc, président de la Fédération cycliste, et Frédéric Thiriez, président de la Ligue professionnelle de football. Ce dernier avait repoussé toute question venant de la salle sur les affaires (dopage, corruption) dans le football avec ce seul argument : « Vous n’avez pas le droit de dire cela, car c’est grâce au football qu’il y a la paix dans les banlieues. » Les émeutes de novembre 2005 sont venues apporter un cinglant démenti à ce point de vue totalitaire ;
- Enfin, quel que soit le parcours de l’équipe de France 2006, son image métissée black-blanc-beur résiste mal à sa réalité : en dehors des trois gardiens de but (blancs) on y trouve 16 joueurs noirs pour seulement trois joueurs blancs (dont le nouveau sélectionné Franck Ribéry qui s’est converti à l’islam pour épouser une beurette) et un joueur beur : Zidane, rappelé de sa retraite par des voix venues d’ailleurs en février 2005.
Difficile donc d’y voir, même avec beaucoup d’indulgence, une représentation du kaléidoscope français et de croire, comme l’affirma Olivier Besancenot en 2004, que « l’équipe de France de foot est plus représentative que la chambre des députés ».
En vérité, un peuple peut-il se reconnaître dans une équipe qui lui renvoie une image si différente de lui-même ?
Guillaume Benec’h
Première diffusion le 29/05/2006