Par Camille Perez, juriste ♦ L’année qui vient sera évidemment marquée par la prochaine élection présidentielle. Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national, sera confrontée à plusieurs problématiques sérieuses. La perte de crédibilité, la pasteurisation de son discours et la probable candidature d’Éric Zemmour. Si Marine Le Pen est pour l’instant créditée d’intentions de vote confortables, rien n’est joué, d’autant que certains éléments viennent l’handicaper, comme le montre ce texte de Camille Perez que nous partageons auprès de nos lecteurs.
Polémia
Dans la plupart des organisations, la stabilité des équipes est un objectif stratégique. Le va-et-vient incessant, désigné en anglais « turn-over », est le symptôme d’une mauvaise gestion. Combattu au sein des entreprises, des administrations et des partis politiques, le turn-over empêche de capitaliser expérience et connaissances. Il est généralement considéré comme une menace pour la pérennité d’une organisation, sauf au RN où il est une véritable stratégie. Marine Le Pen, totalement incapable de fidéliser ses élus, génère, par son management brutal et autoritaire, un turn-over ahurissant que les dernières élections régionales illustrent très bien.
Les élections régionales de Marine Le Pen : le début de la fin
75 % de turn-over en un seul mandat
En décembre 2015, le parti (encore baptisé Front national) était à son apogée avec plus de 27 % des suffrages. 358 conseillers régionaux sont élus, un résultat historique pour le mouvement.
Ces 358 élus étaient présentés à l’époque comme la nouvelle armature du parti. Dotés d’un statut et d’une indemnité, ils devaient en théorie permettre la « professionnalisation » et « l’implantation » du FN. Mais 5 ans et demi plus tard le bilan est tout autre : seuls 90 conseillers régionaux sortants (soit un quart des élus de 2015) ont été reconduits dans leurs fonctions en juin 2021. Cela signifie que les trois quarts des conseillers FN de 2015 n’ont pas été réélus : un turn-over record de 75 %.
Cette non-reconduction est en partie due à la contre-performance du RN en 2021 (seulement 19% des suffrages et 252 élus). Mais cette faible fidélisation est avant tout liée aux multiples départs et purges observés tout au long du mandat. Une centaine de conseillers régionaux avaient déjà quitté le RN entre 2016 et 2021 : un chiffre énorme et sans comparaison avec les autres partis. La commission nationale d’investiture du RN (CNI) a accentué le phénomène en éliminant au 1er semestre 2021 de nombreux sortants. Cette CNI, loin de chercher à fidéliser les cadres du mouvement, est un outil permettant à Marine Le Pen et sa garde rapprochée (le fameux clan BBR, Briois-Bilde-Racheline) d’évincer les profils jugés problématiques : proches de Marion Maréchal, sympathisants de la Manif pour tous, personnalités trop indépendantes, élus implantés pouvant devenir des barons locaux…
« Quand on a voté RN une fois, on y reste. » Marine Le Pen se trompe-t-elle ?
Trois exemples emblématiques : Pays de la Loire, Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté
Un décompte précis (1) permet de confirmer que ce turn-over touche tous les groupes régionaux RN. Citons le cas emblématique des Pays de la Loire, terre de mission pour le FN/RN qui avait obtenu 13 élus en 2015 grâce au score honorable de 19,7 %. Suite aux diverses purges et scissions, aucun des 13 sortants n’a été réélu en juin 2021. Des catholiques traditionalistes (menés par Pascal Gannat) aux philippotistes (par exemple Alain Avello)… tous les profils ont été progressivement évincés.
Le groupe RN Occitanie a lui aussi été largement purgé. Marine Le Pen a commencé par reléguer au second plan Julien Sanchez, président sortant du groupe RN Occitanie et maire de Beaucaire, pourtant connu pour ses états de services irréprochables au sein du FN/RN. Elle a imposé comme tête-de-liste, contre l’avis des conseillers régionaux RN, Jean-Paul Garraud, ancien LR totalement inconnu en Occitanie. Ce parachutage d’un transfuge LR (au détriment d’un candidat implanté) démontre l’incapacité du RN à capitaliser sur ses meilleurs éléments. Ensuite, sous couvert de « stratégie d’ouverture » la CNI a écarté des places éligibles de nombreux cadres méritants. Seuls 15 anciens élus RN, sur les 40 de 2015, siègent encore aujourd’hui au Conseil régional Occitanie.
En Bourgogne-Franche-Comté (BFC), la campagne du RN a été émaillée par les polémiques suscitées par son chef de file Julien Odoul. Proche du clan BBR, il a purgé ses listes pour n’y maintenir que 3 sortants en zone éligible (lui-même et ses deux fidèles lieutenants). Même en ajoutant à ce trio le parachutage de Thomas Laval (ancien philippotiste du Grand Est revenu au RN), on ne décompte que 4 anciens dans l’actuel groupe RN BFC alors qu’il y avait eu 24 élus en 2015.
Dépenses élevées, charges de personnel énormes… Le RN est-il bien géré ?
MLP = Marine La Purge, machine à créer des mécontents
Cette très faible fidélisation des cadres n’est pas spécifique aux conseillers régionaux. En 2019, le groupe RN nouvellement élu au Parlement européen de Strasbourg ne comptait que 6 reconductions parmi les 24 élus de 2014 (là encore un turn-over de 75% sur un seul mandat). L’instabilité est de mise également dans les fédérations où les délégués départementaux sont très régulièrement évincés.
Cette valse permanente est en fait une stratégie qui permet à Marine Le Pen, malgré ses carences et ses échecs répétés, de garder la main sur le parti. En brisant toute personnalité un peu trop affirmée et en faisant régner la peur parmi les cadres, Marine Le Pen garantit sa place ad vitam aeternam. Ce turn-over permanent, cause et conséquence d’une ambiance délétère, contraste avec le « rassemblement » vanté par le RN.
Face à Darmanin, Marine Le Pen entre logiciel dépassé et sous-motorisation
Le bilan humain de Marine Le Pen à la tête du FN/RN est aussi catastrophique que son bilan financier : ce parti manque cruellement de cadres expérimentés et implantés. Surtout, en générant 75% de mécontents parmi ses propres troupes, le RN alimente une véritable armée de réserve de militants déchus qui ne manqueront pas de reprendre le combat, en dehors du RN, dès qu’une offre politique alternative se présentera à eux.
Une dernière remarque. Les députés européens élus en 2019 et les conseillers régionaux élus en 2021 sont prévenus : si lors du renouvellement de leur mandat Marine Le Pen est encore aux manettes , les trois quarts d’entre eux passeront au tourniquet.
À méditer sans attendre…
Camille Perez
30/08/2021
(1) Nombre de conseillers régionaux de décembre 2015 réélus en juin 2021 : Auvergne-Rhône-Alpes (6), Centre (3, dont un ancien de PACA), Grand Est (12), Pays de la Loire (aucun), Nouvelle Aquitaine (7), BFC (4 dont un ancien du Grand Est), Bretagne (5, seule région où les anciens sont majoritaires au sein du groupe RN), Occitanie (15), PACA (15 dont un ancien d’Occitanie), Ile de France (4), Hauts-de-France (12), Normandie (7).